Céline Lelièvre, associée DCL Avocats (Photo David: Laurent / Wili)

Céline Lelièvre, associée DCL Avocats (Photo David: Laurent / Wili)

Madame Lelièvre, pourquoi avoir choisi de lancer votre propre cabinet d’avocats en mars 2009 ? 

« Nous avions l’idée de mettre en place un schéma d’activité particulier pour un cabinet d’affaires différent des structures classiques impliquant une organisation pyramidale. Nous souhaitions continuer à produire personnellement et offrir un service axé sur la proximité. Grâce à nos trois spécificités, nous gérons toute la vie d’une société, de la constitution à la mise en place des contrats (conditions générales de vente, contrat de travail) en passant par les questions de recouvrement. Nous recherchons ainsi à réaliser du travail sur mesure, sans recourir à des modèles préétablis, par exemple. Cette philosophie est appréciée par nos clients, pour qui nous sommes des partenaires, et qui nous consultent parfois sur des questions étrangères au droit.

Qui sont justement vos clients ?

« Nous comptons essentiellement des PME, très occupées avec leurs activités quotidiennes. Nous travaillons aussi avec des cabinets d’avocats étrangers, qui nous consultent au sujet d’un de leurs clients disposant d’une antenne à Luxembourg.

Observez-vous l’émergence de problématiques particulières liées à la crise en matière de droit du travail ?

« Ce sont des problématiques récurrentes qui sont quelque peu amplifiées avec la crise. Les licenciements économiques sont de plus en plus courants. D’un côté, les salariés ont des revendications plus importantes par crainte de ne pas retrouver un emploi ; de l’autre, les employeurs sont le plus souvent embarrassés quand ils doivent, à regret, se séparer de quelqu’un de compétent pour des raisons de coût.

Comment envisagez-vous votre rôle à cet égard ?

« Nous essayons de faire plus de médiation et de transaction que de litige, tant du côté de l’employeur que du salarié. Aucune des parties n’est jamais assurée de gagner au tribunal, et la procédure peut prendre des années. Or, pour se relancer dans un nouveau projet, il vaut mieux avoir l’esprit libre que d’être occupé avec une procédure au tribunal. D’une manière générale, notre travail implique une grande gestion de l’humain. Toutefois, si nous estimons qu’il peut être important de défendre un dossier devant les juridictions compétentes, nous accompagnons nos clients dans ce processus.

Les PME ont-elles des besoins spécifiques en termes de conseils ?

Elles ont un vrai besoin d’écoute et de réactivité. Une structure importante demandera un avis alors qu’une PME demandera une solution, souvent tout
de suite. Par exemple, en droit du travail, les sociétés de plus grande taille pourront avoir des problématiques liées à la coordination des compétences entre le comité mixte ou le représentant du personnel, alors que des entités de plus petite taille auront des questions plus proches de l’exploitation.

Observez-vous une tendance générale à l’augmentation des activités dans le secteur ICT auquel vous vous intéressez depuis plusieurs années ?

« Ce domaine d’activité peut nous apporter du travail par le biais de petites entreprises qui s’établissent au Luxembourg en raison de l’arrivée de géants. Celles-ci viendront plus facilement vers les plus petits cabinets. L’existence de deux catégories de cabinets d’avocats, des petits et des grands, correspond bien à la réalité économique du pays. Il n’y a pas que de grandes institutions financières à Luxembourg, loin de là.

Quelle est la perception du Luxembourg de la part de vos nouveaux clients ?

« Ils sont souvent très agréablement surpris et rassurés, car ils peuvent se projeter et bénéficier d’une certaine stabilité. L’attitude du pays vis-à-vis des normes communautaires, souvent transposées telles quelles, assure une vraie sécurité juridique, ce qui n’est pas négligeable.

Devez-vous mettre des arguments en avant pour attirer de nouveaux clients ?

« Nous réalisons parfois un travail pédagogique. Certaines personnes approchent le Luxembourg pour un mythe, aussi fiscal soit-il. Il convient alors d’expliquer en détail le contexte luxembourgeois. Il reste donc de fausses idées à briser et des explications à donner pour différencier le modèle luxembourgeois du modèle chypriote, au même titre que nous avons dû différencier le Grand-Duché de l’Irlande lorsque cette dernière a rencontré des difficultés il y a quelques années.

Les défis sont-ils similaires pour les grands et petits cabinets d’avocats ?

« Chacun doit affronter ses propres défis. Pour les plus petits, les maintiens de la proximité, de l’efficacité et du pragmatisme seront des priorités. Pour notre cabinet, une croissance trop rapide pourrait remettre en question notre mode de gestion. Nous savons en effet tout ce qui se passe dans l’étude, nous connaissons nos clients qui peuvent nous appeler de façon transversale. Les grosses structures, qui devront justement gérer leur taille, évoluent quant à elles dans leurs « propres marchés » et traitent d’opérations que nous ne pourrions pas gérer en termes de ressources humaines. Cette honnêteté intellectuelle est importante pour nous, nous renvoyons donc parfois des dossiers vers des confrères.

Y a-t-il une concurrence forte entre les cabinets sur les coûts ?

« Tout le monde peut travailler. La concurrence existe, mais elle est moins forte que celle qui existe en France, par exemple. La crise entraîne parfois des mouvements bénéfiques, car des clients se tournent vers des cabinets comme les nôtres. Chacun y trouve son compte.

Quelles sont les raisons qui poussent un collaborateur à vouloir rejoindre un cabinet en fonction de sa taille ?

« Le passage dans un grand cabinet est souvent effectué en début de carrière pour se former et enrichir un CV. Une fois plus expérimentés, les collaborateurs peuvent se tourner, s’ils le souhaitent, vers une plus petite structure pour compléter leur formation en couvrant différentes activités.

Trouvez-vous facilement de nouveaux collaborateurs ?

« Nous rencontrons une difficulté liée au cursus des candidats. Nous constatons qu’il y a de plus en plus de profils qui disposent d’expériences parallèles ou d’équivalence alors que nous recherchons plutôt des collaborateurs qui ont fait des études de droit. Ces dernières permettent, en effet, d’acquérir un raisonnement juridique que le passage dans une école de commerce ne permet pas toujours d’aborder.

Quels sont vos prochains chantiers ?

« Nous allons essayer de grandir sans quitter la production, nous n’avons pas l’ambition d’ouvrir un bureau à New York ! Nous voulons élargir notre volet de clients et nos domaines de compétences. L’intérêt de la profession est de toujours compléter notre formation, ce qui est riche sur le plan intellectuel. Je pense notamment au droit administratif, au droit de la concurrence qui sont des matières qui vont forcément devenir de plus en plus importantes avec la globalisation.

Quels sont vos moyens pour conquérir de nouveaux clients ?

« Nos plus grands apporteurs d’affaires sont nos clients actuels. Nous publions également différents articles régulièrement, ce qui nous apporte une certaine visibilité. Nous intervenons aussi durant différentes formations et conférences.

Que pensez-vous de l’entreprenariat au féminin et des associations qui militent en sa faveur ?

« Ces associations permettent de montrer que c’est possible. C’est ce type d’initiatives qui permettra de faire évoluer les mentalités. Mais il faudra beaucoup d’années pour que la situation actuelle change en raison de la tradition culturelle. Au fond, les femmes se mettent peut-être des barrières là où il n’y en a pas forcément. »