« La plupart des grandes entreprises ont connu une détérioration de leurs ratings »   (Photo : David Laurent / Wide)

« La plupart des grandes entreprises ont connu une détérioration de leurs ratings »  (Photo : David Laurent / Wide)

Madame Zago, Etimine n’est pas une société très connue, mais pourtant elle réalise un chiffre d’affaires de près de 100 millions d’euros par an… Quelle est son activité ? Et dans la structure, quel est votre rôle ?

« Nous sommes, en fait, la filiale d’une société turque - Eti Maden GM -, qui est le leader mondial dans l'exploitation et la commercialisation du bore. Ce matériau a de nombreux usages industriels, dans le secteur des semi-conducteurs, pour certains verres spéciaux, et bien d’autres choses. Sur le plan mondial, c’est une sorte de duopole : l’énorme majorité des réserves se trouvent en Turquie, et dans une moindre mesure aux USA. Nous importons du minerai raffiné de Turquie, et nous le vendons dans différents pays. Ces dernières années, l’environnement économique a beaucoup évolué, et donc le rôle de la direction financière a accompagné ce mouvement. Si nous sommes la filiale d’un grand groupe, nous n’employons au Luxembourg qu’une quinzaine de personnes. Cela veut dire que le rôle du directeur financier est de faire ‘tout’… Je suis multi-casquettes et généraliste. Le défi, c’est de réussir à remplir sa mission, comme peut le faire une grande entreprise : nous avons les mêmes problématiques et les mêmes impératifs, notamment du fait de notre activité internationale. Et comme je suis partie prenante à différents endroits de la chaîne, je me retrouve à avoir, d’une certaine manière, l’œil sur tout.

Le métier a-t-il évolué ces dernières années ?

« Lorsque j’ai commencé, Excel en était encore à ses balbutiements, il était difficile de l'utiliser, ne serait-ce que pour de simples fonctions. Aujourd’hui, de nombreux outils existent et sont accessibles : beaucoup peut être fait, sans pour autant avoir besoin de déployer un ERP comme SAP. On peut donc travailler plus ‘sérieusement’, en relevant l'un de nos défis, à savoir réussir à atteindre le niveau qualité exigé, avec des petits volumes et des entités variées. Aujourd’hui, on peut avoir un accès à certains outils financiers avec la même facilité que les grandes multinationales. Par exemple, auparavant, il fallait régulièrement réclamer à nos filiales leurs excès de trésorerie : ces demandes ‘embêtaient’ un peu tout le monde, car les processus étaient lents et fastidieux. Avec la directive sur les paiements, le rapatriement automatique est enfin devenu rentable, même avec de faibles montants. Comme je l’ai dit, ces outils étaient auparavant réservés aux très grandes entreprises, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Le fait d’avoir ces nouvelles possibilités ne veut pas dire que l’on n’a plus rien à faire, mais que l’on peut se libérer du temps pour d’autres tâches, plus essentielles, plus stratégiques. Par exemple, nous avons plus de temps pour nous informer sur la situation de crédit de nos clients, ou pour analyser nos chiffres. Avant on passait plus de temps à les préparer et je tenais plus un rôle de 'compteur de petits pois', comme disent les Allemands.

Comment fonctionnez-vous avec le reste de l’équipe, par exemple avec l’équipe commerciale ? La crise a-t-elle influencé vos pratiques ?

« Le rôle d’un commercial, chez nous, est plus vaste que le simple fait de vendre. Nous avons un système qui centralise toutes les informations client, et cela nous aide tous à mieux effectuer la gestion du risque client. Paie-t-il ? A-t-il des difficultés passagères ?
Quant à la crise, en 2008, nous avons constaté que notre exposition aux risques était beaucoup trop grande. C’est à ce moment qu’avec l’équipe, nous avons renforcé les outils d’analyse et de protection en place… Le but, c’est de s'exposer ‘juste assez’, pas trop… en prenant en compte les législations nationales. Par exemple, dans certains pays, même si nous demandons – et obtenons – un prépaiement, si l’entreprise fait faillite, on peut avoir à restituer les sommes perçues… Les législations sur les créances sont très compliquées et très variables d’un pays à l’autre. C’est pourquoi nous prenons les décisions commerciales en équipe, entre les commerciaux, la direction financière, la direction générale et le service juridique…
L’impact de la crise, c’est, en fait, qu’à un moment donné, nous sommes devenus trop prudents. Si un client voulait encore commander alors que ses factures échues n’étaient pas payées, on pouvait se trouver dans des situations de litige… Nous avons ainsi dû faire face à deux cessations de paiement, et nous avons alors perdu pas mal d’argent. C’est la raison pour laquelle, encore une fois, la réduction des encours est l'un de nos objectifs.


Pour simplifier, nos clients sont soit de très grosses entreprises, soit des PME, qui travaillent sur des secteurs très divers. La plupart des grandes entreprises ont connu une détérioration de leurs ratings, ce qui exige donc que l’on fonctionne avec plus de prudence qu’auparavant. Et l’autre difficulté, c’est que certains groupes imposent leurs conditions, notamment en France… Pour être sincère, il arrive que les textes de loi ne soient pas respectés… ce qui est clair, c’est que nous ne voulons pas que les grandes entreprises profitent du rapport de force avec le fournisseur que nous sommes, pour trouver des crédits moins chers que ce qu’elles pourraient obtenir d'une banque… Ainsi, nous avons systématisé, en cas de non respect des délais de paiement, l’exigence d’intérêts de retard. C’est une question de principe, et nous voulons faire le maximum pour faire perdre les mauvaises habitudes… Nous ne sommes pas une banque gratuite.
Dans le même temps, les commerciaux ont conscience des défis auxquels les entreprises clientes doivent faire face. Nous travaillons avec plusieurs d’entre elles, de concert, depuis de nombreuses années, et les réflexes sont bien rentrés dans les mœurs. Nous sommes, par exemple, plus cléments avec les PME, notamment celles qui ont toujours eu un bon comportement avec nous.

Les risques de change vous impactent-ils fortement ?

« Nous avons effectivement aujourd’hui encore des risques de change – même si l’arrivée de l’euro a changé bien des choses. Mais nous avons encore du dollar américain ou de la livre sterling dans nos comptes. Nous couvrons cependant nos positions, grâce aux établissements bancaires avec lesquels nous travaillons. Nous devons régulièrement leur expliquer que nous ne faisons pas de spéculation, mais que nous avons véritablement des transactions à couvrir. Elles veulent alors bien faire des efforts, pour trouver des solutions adaptées à nos besoins. Nous avons recours alors à certains produits dérivés, mais que nous utilisons avec grande prudence, en prenant en compte les pires scénarii dans nos calculs. D’ailleurs, en parlant des taux de change, c’est encore un point grandement facilité. Il y a à peine quelques années, il fallait encore payer pour les avoir. Aujourd’hui, grâce à Internet, on a l’information en temps réel. Il y a d’autres données publiques, facilement consultables, qui sont du même ordre, et ceci nous donne l'opportunité, en tant que PME, de mieux fonctionner. Tout cela nous permet d’être plus subtils dans notre gestion.
La conséquence, c’est que nous avons plus de visibilité sur notre situation, et plus de compétences dans l’entreprise. Et donc, d’avoir un autre niveau de service qu’avec une équipe qui devrait se limiter à des exercices purement comptables.
Parmi les variables qui sont importantes pour nous, il y en a qui pèsent plus que les taux de change. Ce qui ne pèse pas, ce sont les prix de la matière première : ils sont négociés et fixés avec la maison mère. À nous de nous débrouiller avec ces conditions de base. L’actionnaire aura son profit, et nous le nôtre… même si tout est reversé en dividendes, il faut avoir suffisamment de profits, pour pouvoir couvrir les risques éventuels. Il y a par exemple les coûts des transports maritimes qui, ces derniers temps, peuvent varier excessivement. Mais de manière générale, notre défi du moment c’est de réussir à vendre nos quantités allouées… Il y a quelques années, nous pouvions avoir du mal à obtenir les volumes de matière première suffisants… Il est déjà arrivé d’avoir plus de demande que d’offre ! Ceci dit, les prix de la matière première sont relativement stables. »

Les banques vous ont-elles demandé plus – trop – avec leurs propres difficultés ? Le resserrement de leurs règles prudentielles a-t-il eu des conséquences ? Arrivez-vous à négocier ?

« On doit prêter attention à des questions plus juridiques. Des outils de couverture de risque, par exemple, demandent plusieurs relectures, et négociations avec les banques ou autres partenaires. Encore récemment, une proposition de contrat reçue faisait 50 pages. Nous les lisons, moi et notre service juridique. C’est en prenant le temps de les décortiquer, que l’on réussit à éviter des erreurs. C’est également la seule manière pour réussir à renégocier.
L’environnement bancaire, avec Bâle II et Bâle III, a bien changé… Du jour au lendemain, on s’est retrouvé avec une forte réduction de nos lignes de crédit. Au Luxembourg, les banques ont malgré tout encore du cash, et donc sont capables de prêter. Le fait que nous ayons de bonnes relations bancaires depuis longtemps aide également. Nous avons toujours expliqué et communiqué les difficultés que la situation économique pouvait nous causer. Nos interlocuteurs ont donc compris qu’ils avaient intérêt à maintenir les bonnes relations existantes. C’est en fait la même démarche que celle que nous menons avec nos clients. S’ils nous préviennent qu’ils vont avoir des problèmes de trésorerie qui ne sont pas structurels, on peut s’arranger avec eux, et de manière plus souple que s’ils se contentent de ne pas nous payer – auquel cas nous sommes moins indulgents.

Pourquoi le Luxembourg, pour une société comme Etimine ?

« Notre présence au Luxembourg est historique. Le gouvernement turc voulait écouler sa production en Europe. Il y avait un trader ici, au Grand-Duché, un indépendant, qui jouait ce rôle. Il a été racheté plus tard. Nous y sommes restés, car le Luxembourg a un certain nombre de points forts très marqués. Parmi ceux-ci, le multilinguisme est critique, ainsi que sa situation géographique, centrale, en Europe… même si la grosse partie de nos activités, et si les entrepôts de marchandise sont situés en dehors du Grand-Duché.

En tant que trader, n’avez vous pas de temps en temps le sentiment de travailler « hors-sol », sans conscience que vous vendez des matériaux « réels et physiques ?

« Non, on a les échantillons, on voit la marchandise, nous ne travaillons pas uniquement sur de l’air, sur du vent. Quand il y a des problèmes, on a des suivis à faire avec les clients, on ne travaille pas qu’avec du virtuel. Nous avons conscience que nous traitons de véritables produits, de la matière, même si mes collègues commerciaux ont plus ce rapport que moi. »


PARCOURS - Un intérim consolidé

Âgée de 43 ans, Katherine Zago a commencé sa carrière chez Deloitte, après un BTS en commerce international et un Betriebswirtschaft obtenu à Paderborn en Allemagne. Elle a rejoint Etimine pour une mission d’intérim, avant d’y rester… « Le directeur financier de l’époque avait démissionné. Je ne devais au départ y être que pour un intérim de trois mois… qui s’est transformé en contrat de travail… C’était il y a plus de quinze ans. »