Bernard Lhermitte: «Les projets réglementaires sont très contraignants car ils nécessitent beaucoup d'investissements.» (Photo: Jessica Theis)

Bernard Lhermitte: «Les projets réglementaires sont très contraignants car ils nécessitent beaucoup d'investissements.» (Photo: Jessica Theis)

Monsieur Lhermitte, comment évolue, selon vous, la perception de la fonction de CIO?

«En dehors de l’influence de la crise et des nouveaux besoins qu’elle génère, notre fonction est perçue sous un nouveau jour à l’aune du développement de la sphère digitale. Qu’il s’agisse de réseaux sociaux, de transmission de l’information, de mobilité, d’exploitation des données… de nombreuses innovations sont étroitement liées à l’IT. Nous sommes donc davantage considérés comme des ‘business part­ners’, participant à la réussite commerciale de la société. J’ajoute que cette évolution de la perception de la fonction dépend aussi du positionnement interne que le responsable du département met en place. Nous devons continuer à nous ouvrir à nos collègues en utilisant les moyens de communication justement permis par les innovations techniques.

Comment est structurée votre équipe?

«Parmi nos 110 collaborateurs, dont des ressources externes, une majeure partie – soit 80 personnes – est consacrée aux développements applicatifs à destination de nos métiers. Nous avons mis en place des équipes dédiées à un métier en particulier comme le private banking, le retail, le commercial banking, la salle des marchés… mais aussi des équipes mixtes qui regroupent des compétences plus techniques. Outre le champ applicatif, une vingtaine de collaborateurs est dédiée aux aspects de gestion de l’infrastructure.

Quelles sont les compétences que vous recherchez pour alimenter cette équipe au fur et à mesure?

«Nous recherchons avant tout des compétences techniques qui seront complétées par une maîtrise progressive des métiers de la banque sur le terrain. L’approche recherchée pour conduire l’équipe résulte de la combinaison du professionnalisme des grands groupes, tels que celui auquel nous appartenons, et du pragmatisme des entités de taille moyenne ou petite, telle que celle d’ING au Luxembourg.

Quelle est la valeur ajoutée que vous voulez apporter à ING via l’action de votre département?

«L’IT participe activement à la mise en œuvre de la stratégie de l’entreprise et l’influence à différents égards. Je pense par exemple à la manière dont nous voulons nous positionner via une offre dite ‘multicanal’. Nous sommes, avec nos confrères du marketing, l’une des parties prenantes importantes pour ce projet qui s’articule autour du slogan ‘direct if possible, advice when needed’. Nous voulons, au travers d’une plateforme transversale, servir nos clients tantôt au travers d’un canal plus classique comme une agence bancaire, tantôt au travers d’une application mobile. Notre valeur ajoutée réside donc dans la mise en place de l’architecture et de l’infrastructure nécessaires pour assurer les réponses en temps réel aux clients, tout en rendant notre plateforme prédictible, c’est-à-dire adaptée en fonction des besoins du client. Nos choix stratégiques dans ce type de projets sont donc déterminants.

Comment vous assurez-vous de l’adhésion à la notion d’innovation en interne?

«Un programme intitulé ‘Let’s innovate’ est ouvert à tous les collaborateurs de la banque. Les équipes IT ont bien entendu la possibilité de soumettre leurs idées à cette occasion et éventuellement de voir leur idée récompensée et, pourquoi pas, concrétisée.

Quels sont vos chantiers dans la sphère du mobile banking?

«Nous avions opté, dans un premier temps, pour une application limitée aux devices Apple en raison de la taille du marché luxembourgeois. Nous travaillons actuellement à la refonte de cette application pour d’autres types de supports. Nous en profitons pour faire évoluer le design de nos solutions mobiles ainsi que la technologie utilisée. Nous continuons à investir dans le mobile car nous remarquons que le client y trouve une complémentarité avec nos services classiques, ainsi qu’une accessibilité de plus en plus importante à ses yeux.

Comment effectuer les arbitrages entre investissements innovants et évolution pragmatique?

«Il est nécessaire de s’appuyer à la fois sur les bonnes personnes, d’écouter son équipe et les spécialistes qui vous entourent, tout en tirant profit de sa propre expérience pour, au final, prendre les bonnes décisions. Le développement de la première version de notre application mobile est un bon exemple de cet état d’esprit puisque nous l’avons installée avec l’aide de nos collègues français d’ING Direct. Nous en avons récupéré la matrice et réussi, en seulement trois mois, à l’adapter à notre marché. C’est ce que j’appelle une synergie intelligente, d’autant qu’elle s’observe dans les deux sens. D’autres entités du groupe ING se sont en effet montrées intéressées par notre plateforme dédiée au private banking, ainsi que notre ‘payment engine’.

Les projets réglementaires en cours impactent-ils fortement votre agenda?

«Ils nécessitent ou ont nécessité une évaluation des applications disponibles, et nous avons appliqué le principe ‘reuse, before buy, before build’. Ce fut le cas dans le cadre du projet de mise en conformité avec SEPA (single euro payments area, l’espace unique de paiement en euros, ndlr). Pour éviter de devoir modifier régulièrement les applications existantes, nous avons défendu la mise en place d’une nouvelle solution qui est partagée désormais au niveau de notre groupe. Plus généralement, les projets réglementaires sont très contraignants car, à l’instar de Fatca, ils nécessitent beaucoup d’investissements, en argent et en temps, et cela de manière transversale, dans toute la banque.

Pensez-vous que l’ICT luxembourgeois soit bien positionné à l’échelle internationale?

«Nous avons, quoi qu’il arrive, tout intérêt à soutenir le développement de l’ICT et les investissements dans les infrastructures du secteur afin, par percolation, de soutenir la santé globale de l’économie luxembourgeoise. Reste que les compétences sectorielles ne sont pas encore tout à fait connues sur le plan international, notamment au sein de notre propre groupe. Un travail de promotion sur le moyen et le long terme est encore nécessaire. L’un des axes de promotion pourrait être la mise en avant des compétences acquises par le secteur ainsi que la culture de protection des données héritée de la place financière.

Quels sont vos projets pour 2014?

«Nous avons terminé la mise à jour de nos infrastructures, ce qui était déjà un projet important en soi. Durant les prochains mois, nous mènerons nos actions en fonction d’un portefeuille de projets, eux-mêmes délimités par un budget précis. Le but ultime de nos actions sera de viser l’excellence opérationnelle, le tout guidé par une approche très centrée sur nos clients.

Qu’en est-il de votre approche à l’égard de l’outsourcing?

«Étant donné que nous menons différents projets couvrant un spectre très large d’applications, nous devons nous consacrer à notre cœur de métier et, par conséquent, recourir aux services de PSF afin de nous délester de tâches connexes. Nous avons déjà réalisé cette démarche à l’égard de notre helpdesk, de nos impressions de masse, mais aussi le recours à la gestion de devices mobiles et du wi-fi en tant que services externalisés, etc.

Le nouveau bâtiment va aussi occuper votre agenda durant les prochains mois…

«Nous avons planifié le déménagement vers notre siège – qui sera situé sur le parvis de la gare – en deux temps. D’ici à mars prochain, nous transiterons vers le bâtiment Drosbach tout en maintenant nos data centers dans nos bâtiments de la rue Piret et de la route d’Esch. Lorsque nous aurons occupé nos nouvelles installations, nous procéderons à une externalisation de nos data centers.

Quels sont les prochains défis pour les CIO de la place?

«L’objectif de devenir un business partner doit subsister, quoi qu’il arrive. Nous devons cependant faire face à un contexte délicat régi d’une part par une pression sur les coûts, ce qui nous poussera à faire plus avec moins, et d’autre part une attente technologique de plus en plus forte. L’évolution des technologies signifie en effet de mettre sur le marché le plus rapidement possible les solutions innovantes qui permettront aux entreprises de se distinguer. L’un de nos autres défis est de gérer ces évolutions technologiques en interne, notamment à l’égard de l’utilisation de devices personnels des collaborateurs sur le lieu de travail (la tendance ‘bring your own device’, ndlr) pour répondre au besoin d’accéder à tout moment à l’information recherchée. Nous devrons, en collaboration avec le management de l’entreprise, imaginer les procédures et l’architecture adéquates pour encadrer cette tendance sans la freiner.

Comptez-vous sur une méthode particulière pour appréhender cette tendance?

«Nous croyons beaucoup aux méthodes agiles. L’an dernier, nous avons opté pour la méthode dite ‘Scrum’ qui permet de développer des solutions via la mise en place de groupes de travail mixtes, regroupant des spécialistes IT et des experts du métier concerné. Outre des bénéfices en termes de rapidité de mise sur le marché d’une solution ou de maîtrise des coûts, nous visons aussi de la sorte une cohésion en interne et une adhésion des collaborateurs à ce qui est délivré.»

Parcours

Fidèle à sa passion des facultés de Namur (Belgique)

Bernard Lhermitte se définit volontiers comme un «pur produit ING». Car il a trouvé dans la banque au lion orange un employeur lui permettant d’évoluer, en passant, dans ce cas, de chef de projet à responsable d’équipe… jusqu’à diriger, depuis 2008, l’ensemble de l’informatique de l’acteur bancaire. Détenteur d’un master en informatique (B), Bernard Lhermitte dirige une équipe de quelque 110 collaborateurs (parmi les 800 que la banque emploie au Luxembourg) en voulant leur faire partager l’amour d’un métier qui présente autant d’opportunités pour chaque employé que de nouvelles technologies. Chez ING depuis 23 ans, il a pu mesurer l’évolution de la place financière et, par ricochet, celle de CIO. Un métier qui est devenu au fil des ans de plus en plus central dans une banque, de quoi valoriser une fonction et l’emmener vers le statut de «business partner».