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Pour Nico Binsfeld: «On ne vise pas assez les maillons situés entre les techniciens et les ingénieurs universitaires.» 

Créée dans le sillage du traité de Lisbonne, la carte bleue européenne est un titre de séjour uniquement délivré à des professionnels spécialisés dans des métiers en pénurie. Son objectif, à travers l’Espace économique européen (l’UE, plus la Suisse et les pays scandinaves), est de faciliter l’établissement de travailleurs en provenance du monde entier.

Au Luxembourg, ce laissez-passer cible particulièrement les profils ICT, recherchés en permanence. Parmi les conditions générales, il faut notamment un contrat de travail et un diplôme de l’enseignement supérieur ou attester d’une expérience professionnelle ciblée d’au moins cinq ans.

Pour 2014, le ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration compte 261 premières cartes délivrées et 219 renouvellements. En 2015, il y a déjà 135 premières délivrances et 86 dossiers de renouvellement. «Jusqu’à présent, le niveau de salaire requis a été dissuasif. La blue card a surtout concerné des spécialistes très poussés. Chez Post Telecom, par exemple, sur 150 personnes, ce cas de figure ne concerne que deux spécialistes sécurité, respectivement jordanien et finnois», souligne Nico Binsfeld, membre du conseil d’administration de l’ICT Luxembourg depuis juillet 2014, en charge du volet formation.

Symbole fort, le ministère de l’Économie s’est engagé à réduire le seuil salarial fixé jusqu’ici à 3x le salaire moyen. C’est chose faite depuis l’arrêté du gouvernement en conseil du 22 mai dernier, qui fixe un multiple de 1,2. Dans le cas d’un métier pour lequel un besoin particulier a été constaté, le salaire minimum passera de 55.886,40 à 57.556,80 euros par an.

Le Mémorial du 2 juin précise que huit professions liées au secteur des télécoms et des TIC sont plus spécifiquement concernées: mathématicien, actuaire et statisticien; analyste de systèmes; concepteur de logiciels; programmeur d’applications; concepteur de sites internet et multimédia; spécialiste de bases de données; administrateur de systèmes et spécialiste réseaux. À ce stade, il n’est pas encore prévu d’étendre la mesure à d’autres secteurs.

Pour Nico Binsfeld, la nouvelle mouture de la carte bleue pourrait permettre de recruter davantage d’informaticiens «moyens» hors UE. «Les besoins de main-d’œuvre se font sentir à tous les niveaux, des développeurs Java aux spécialistes mobilité ou virtualisation. Nous n’avons pas seulement des postes à pourvoir pour les top spécialistes. Abaisser le seuil minimum facilitera l’accès à de nombreux profils, en particulier aux fonctions intermédiaires.

On ne vise pas assez les maillons situés entre les techniciens et les ingénieurs universitaires. C’est pourtant indispensable pour le développement du secteur dans son ensemble. Un programme comme Digital Lëtzebuerg se nourrit de compétences pas toujours présentes localement. Je pense qu’il faudra aller de plus en plus loin pour les trouver. La Grande Région ne suffit plus.»

Des pays francophones comme le Maroc ou la Tunisie pourraient désormais être des zones de recrutement fructueuses. «Le potentiel est de taille. Il ne faut pas oublier que le salaire moyen y est très faible. Les jeunes ingénieurs marocains gagnent environ 300 euros par mois. Malgré les nouveaux critères salariaux, le décalage reste important. La Hongrie est aussi une pépinière de talents multilingues peu exploitée.» Des commerciaux luxembourgeois ou germanophones sont également difficiles à débusquer. «C’est un pas dans la bonne direction, mais on pourrait faire bien plus, notamment dans le domaine de la promotion de la Place à l’étranger. Nous sommes loin d’avoir exploité toutes les bonnes pistes en Europe. Aucun organisme, privé ou public, ne s’intéresse, par exemple, à la Slovénie ou à la Hongrie. Ce sont pourtant des zones prometteuses.»

Seule, la blue card ne suffira pas à combler les trous d’expertise pour développer le plein potentiel de secteurs comme les fintech. «Le modèle ICT grand-ducal a bien fonctionné jusqu’à présent. Il atteint une limite à cause du manque de ressources. Il est urgent de créer et garder de la valeur ici. Nous avons déjà pris du retard dans le développement de certains secteurs.»

Il reste un gros travail à effectuer dans la formation, ici. «La priorité est d’expliquer aux lycéens que l’IT peut être une belle carrière, afin qu’ils n’aspirent plus tous à être fonctionnaires. Un projet comme ‘Digital4Education’ est un bon signal, même s’il aurait pu venir plus tôt. On commence à ressentir une volonté d’agir, c’est encourageant.» Des enjeux comme l’encadrement juridique du télétravail ou les problèmes d’imposition que connaissent certains sont d’autres défis à relever pour attirer du sang frais.