Anne Jacquemart, Édouard Housez, Frédérique Sine, Nathalie Delebois, Gilles Risser (Photo: Julien Becker)

Anne Jacquemart, Édouard Housez, Frédérique Sine, Nathalie Delebois, Gilles Risser (Photo: Julien Becker)

Les indicateurs économiques, depuis plusieurs mois, se redressent, laissant entrevoir des jours moins ternes. Les entreprises peuvent enfin espérer des lendemains qui chantent, à condition d’être en mesure de pouvoir profiter pleinement de cette embellie. Le marché de l’emploi pourrait-il lui aussi en profiter? «Il est toutefois difficile de pouvoir établir des prévisions en matière de recrutement, prévient Nathalie Delebois, directrice de DO Recruitment Advisors. Si cette année semble en effet plus favorable à l’embauche, avec des créations de postes et des départs qui sont remplacés, les entreprises ne semblent pas envisager des plans de recrutement à proprement parler. Cela pour la simple et bonne raison qu’elles n’ont aucune visibilité à moyen terme.»

Les recrutements opérés sont donc avant tout opportunistes. La conjoncture reste difficile. S’ils veulent profiter de cette embellie, les acteurs économiques doivent cependant se positionner suffisamment tôt et, pour bien faire, avant leurs concurrents. Il faut donc pouvoir saisir les bonnes occasions qui se présentent, mais aussi se préparer pour l’avenir. De là à établir des plans de recrutement? «Au bout de cinq années de crise, les entreprises ont cessé d’être obsédées par la visibilité, constate Édouard Housez, executive manager de Michael Page Luxembourg. Si jamais ces plans existent, les entreprises ne les dévoilent pas.»

Il ne faut cependant pas assombrir le tableau alors qu’il y a matière à se réjouir. Les offres d’emploi sur le marché sont nombreuses. «Depuis novembre dernier, on constate un accroissement constant des offres d’emplois proposées sur notre site, indique Gilles Risser, CEO et partner de Moovijob, plateforme web dédiée à l’emploi. Nous sommes plus régulièrement sollicités, via notre site, mais aussi dans les salons. Le téléphone sonne spontanément. C’est révélateur d’une tendance positive très forte, très réjouissante.»

Un accroissement du nombre d’offres s’accompagne d’une hausse des recrutements. Il est cependant difficile d’établir une corrélation entre ces deux éléments. Pour qu’il y ait embauche, il faut trouver le bon candidat pour la fonction proposée. Ce n’est pas automatique. «On ne peut toutefois nier un nouveau dynamisme. Les entreprises communiquent plus. On a pu le constater sur le salon Moovijob Tour, qui reçoit des entreprises qui recrutent. D’autres s’y présentent, afin de s’exposer, de faire du sourcing et de se positionner, notamment, face à la concurrence», commente Gilles Risser. Malgré un manque de visibilité, les entreprises affichent donc une volonté de recruter.

De bonnes raisons de recruter

«Si on analyse, il existe trois raisons principales qui poussent les entreprises à engager, explique Édouard Housez. La première réside dans la volonté de développer le chiffre d’affaires, de se positionner sur de nouveaux marchés. Cela passe par un renforcement de l’équipe commerciale et du département communication. La deuxième est d’ordre réglementaire: de nombreux changements législatifs, notamment dans la sphère financière, contraignent les entreprises à développer des fonctions spécifiques. La troisième raison, c’est la volonté d’innover. Force est de constater que, si ce facteur est essentiel pour l’économie, ce n’est pas celui qui motive la plupart des procédures de recrutement opérées actuellement sur le marché.»

En revanche, la législation, elle, a tendance à doper le recrutement. La place financière a besoin de compliance officers ou encore de risk managers. «De plus petites structures doivent elles aussi engager des profils spécifiques, simplement parce que le législateur exige désormais plus de substance pour les entreprises installées au Luxembourg, commente Frédérique Sine, senior recruitment consultant chez Rowlands International. Par ailleurs, l’augmentation de la demande de compétences dans le domaine technique, au niveau des profils d’informaticiens et d’ingénieurs, est sans doute aussi le fruit du travail mené par l’État en matière de diversification économique, mais pas seulement. Ces profils, aujourd’hui, sont importants, quel que soit le secteur d’activité dans lequel on opère, pour le développement du business.»

En effet, si la priorité n’est pas toujours à l’innovation, c’est parce que les préoccupations principales se situent encore au niveau de la maîtrise des coûts et des budgets, ainsi que dans le développement du chiffre d’affaires. Mais qui veut développer ses revenus et aller chercher de nouveaux marchés doit, plus ou moins directement, faire preuve d’un certain niveau d’innovation. «La manière d’appréhender le marketing a changé. Pour être compétitif, il faut proposer des services adaptés aux attentes de la clientèle, être présent sur le terrain mais aussi en ligne», précise Anne Jacquemart, présidente du Pog, le réseau des professionnels des ressources humaines. «Les entreprises, dès lors, doivent se doter de nouvelles compétences pour mieux communiquer, pour rester compétitives.»

D’autre part, des changements importants s’opèrent au niveau de l’organisation du travail, avec des employés plus connectés et plus mobiles, assortis à un besoin accru de flexibilité. «En matière d’outils de travail, de partage des informations, d’organisation, cela implique de transformer les infrastructures informatiques, mais aussi d’adopter de nouveaux modes de management. Pour répondre à ces nouveaux enjeux, il faut pouvoir engager des profils qui ne sont pas directement en lien avec le cœur de métier des acteurs», poursuit Anne Jacquemart.

Si les besoins des employeurs ont évolué, les attentes des candidats aussi. La génération Y est déjà installée ou, si ce n’est pas encore le cas, recherche du travail. Les responsables du recrutement en conviennent: l’émergence de cette génération de travailleurs, exigeante, a bousculé les codes.

Si, par le passé, un emploi permettait de subvenir aux besoins de la famille, de manger et de se loger, pour cette génération, c’est beaucoup plus que cela. «Le package salarial, seul, ne suffit plus à attirer les candidats. Celui-ci doit être convaincu à la fois par l’employeur, mais aussi par la fonction qui l’attend», précise Édouard Housez. «Cette nouvelle génération est consommatrice d’emplois. Elle n’envisage pas forcément de réaliser sa carrière au même endroit, poursuit Anne Jacquemart. Elle est plus mobile, susceptible de changer facilement d’employeur. En matière de gestion des ressources, les employeurs doivent donc pouvoir répondre à leurs aspirations.»

Mais quelles sont-elles, ces aspirations? Elles sont de plusieurs ordres.

D’abord, les membres de la génération Y veulent profiter de plus de flexibilité. Ils ne désirent pas s’inscrire dans un cadre fixe, avec des horaires de travail bien délimités.

Ils veulent mettre leur talent – qui constitue désormais l’élément déterminant sur le marché de l’emploi – au service des missions qui leur sont confiées, des objectifs de l’entreprise. «Ils veulent bénéficier d’un meilleur équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. À ce niveau, il y a moins de schizophrénie au sein de la génération Y. L’une ne doit plus forcément se vivre aux dépens de l’autre», précise Gilles Risser.

Du côté des employeurs, cela exige d’établir une relation de confiance, mais aussi de mettre en place une nouvelle organisation du travail, au risque de voir leur échapper les compétences qui comptent. «Beaucoup ne sont pas préparés à cela. Lors d’une mission récente, j’avais trouvé la candidate idéale pour un poste clé, ouvert depuis un long moment. Seulement, la candidate avait une exigence, celle de pouvoir travailler deux jours par semaine depuis son domicile, afin d’être plus disponible pour sa famille. Cela ne correspondait pas à la politique de l’entreprise, qui n’a pas accepté. Nous n’avons finalement pas pu trouver un accord. La candidate a décliné l’offre», explique Nathalie Delebois.

Au-delà de la flexibilité, les candidats sont désormais très regardants sur les valeurs de l’entreprise, mais aussi sur le contenu de la fonction. «Ils veulent mettre leurs compétences à contribution. Il faut donc une meilleure gestion et expression des talents. Exiger d’un candidat qu’il parle trois langues, c’est bien, à condition de lui donner la possibilité de les pratiquer dans le cadre de sa fonction», poursuit Nathalie Delebois.

Le candidat est aujourd’hui autrement plus conscient de la valeur de ses compétences, de son talent, de son potentiel. Il n’est pas prêt à tout sacrifier pour un travail.

Avant d’accepter la proposition d’un employeur, il va prendre le temps de l’analyser, pour voir ce qu’il a à lui offrir. «Aujourd’hui, entre le candidat et l’employeur, la relation est d’égal à égal, commente Édouard Housez. Les candidats connaissent mieux les processus de recrutement, les leviers sur lesquels ils peuvent s’appuyer. Ceux dont les profils sont particulièrement rares savent qu’ils sont recherchés. Ils peuvent se permettre de faire leur ‘shopping’. Il appartient à l’employeur, dès lors, de leur fournir le job de leurs rêves.»

Les recruteurs au milieu

Entre les candidats et les employeurs, les recruteurs n’ont pas forcément la tâche facile. D’une part, ils doivent inviter les employeurs à opérer des recherches réalistes. Le candidat idéal, le mouton à cinq pattes, ne se trouve pas, ou du moins pas facilement. «Il faut leur faire comprendre qu’il ne sert à rien de chercher des profils que l’on ne peut pas trouver», insiste Anne Jacquemart.

De manière générale, toutefois, les employeurs sont à la recherche de compétences précises, à forte valeur ajoutée, qui ne sont pas toujours disponibles. Pour trouver des compétences à l’échelle locale, il faut une certaine dynamique au sein du marché. «À ce niveau, la crise est encore dans les esprits. Sur le marché, les employés restent actuellement très attachés à leur poste. Les rotations, la mobilité au sein du marché du travail sont moindres», constate Anne Jacquemart.

Et si des compétences émergent localement, notamment au niveau de l’Université du Luxembourg, c’est encore insuffisant. Il faut donc aller chercher plus loin. «Si, il y a quelques années, la Grande Région constituait un vivier de compétences suffisant, aujourd’hui, on n’hésite pas à aller recruter jusqu’en Italie, Espagne, Grèce ou Roumanie», explique Frédérique Sine. Et parfois, au-delà! Notons cependant que, «à compétences égales, un employeur privilégie généralement un candidat local», précise Nathalie Delebois.

À défaut de pouvoir trouver les compétences utiles, d’autres pistes peuvent aussi être envisagées. «En la matière, la formation a un rôle à jouer. Il faut mettre en œuvre une meilleure gestion des compétences et des talents en interne, contribuer à une meilleure employabilité de ses salariés afin de pouvoir répondre aux enjeux de demain, explique Mme Sine. Il est important de les accompagner dans la définition de leurs besoins et dans la description du profil recherché.»

D’autre part, les candidats sont plus mobiles. Le caractère international de la place économique et financière grand-ducale attire des candidatures du monde entier. Parler de marché local, dans certains secteurs comme la finance et les technologies, n’a sans doute plus de raison d’être.

Accompagner les candidats

Localement, enfin, l’autre enjeu réside dans un meilleur accompagnement des candidats. Ceux dont les compétences sont recherchées en sont conscients et ne prennent parfois plus la peine de formaliser leur CV. Ce qui ne facilite en rien le processus de recrutement. «C’est à nous, dès lors, de prendre le temps de le faire», commente Nathalie Delebois.

Pour les autres candidats, il faut développer des outils pour les accompagner, les aider à se valoriser compte tenu des demandes et des besoins du marché. «On constate que les candidats sont parfois démunis face aux enjeux qui les attendent. Il faut pouvoir leur donner les outils, mieux les accompagner dans leurs démarches, afin de toujours mieux permettre la rencontre entre les compétences recherchées et celles qui sont disponibles», précise Gilles Risser. Moovijob, d’ailleurs, développe actuellement une offre de services d’accompagnement dédiés aux candidats.

Recruter juste

Développer sa marque employeur

Recruter, dans la conjoncture actuelle, exige d’user de stratagèmes. L’heure n’est plus aux belles rémunérations, sonnantes et trébuchantes. Aujourd’hui, les employeurs à la recherche de compétences doivent jongler avec une multitude de facteurs. Il y a bien sûr le salaire et les avantages multiples qui l’entourent, mais pas seulement. Il est primordial, pour les patrons en mal de compétences, de soigner leur image. Rien n’est moins simple. Ensuite, tout l’enjeu sera de pouvoir fidéliser son employé. Si l’on n’est plus dans un contexte de guerre des talents, les compétences rares doivent être chouchoutées pour être maintenues en interne.

Vision

Engager les talents de demain

Comment travaillera-t-on dans 10 ou 15 ans? C’est une question essentielle que devrait se poser l’ensemble des employeurs, du moins ceux qui désirent développer une politique d’emploi, de gestion des talents et des compétences durable. En effet, le monde change. Après la génération Y, il y aura sans aucun doute une génération Z, avec d’autres aspirations. Il faudra pouvoir y répondre. Les besoins des clients évoluent aussi avec les technologies et les changements sociétaux. Tout cela doit être pris en considération dans une politique de recrutement. Il appartient aux employeurs de prendre en considération les tendances fortes afin de pouvoir engager ou développer aujourd’hui les talents dont ils auront besoin demain. C’est là le vrai défi.