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La langue a l'image tenace: dans la population, les recycleurs de métaux ferreux et non ferreux et de voitures hors d'usage sont le plus souvent toujours appelés ferrailleurs ou chineurs. Avec une image de chancre très peu flatteuse.

Pourtant, ce métier-là n'existe plus ou presque. Et pour cause: professionnalisation, mondialisation et cours de bourse sont passés par là.

La preuve, l'énorme investissement qu'est en train de réaliser, à Stockem (Arlon), la société belge BST (Belgian Scrap Terminal), mais aussi à Hermalle-sous-Huy et à Givet, dans le cadre d'un réseau d'entreprises. BST est basée au port d'Anvers, pour s'ouvrir toutes les portes de l'exportation mondiale, et est la première société belge du secteur en volume.

Elle étend son marché à la partie francophone du pays, au Grand-Duché de Luxembourg et aux régions périphériques de France, d'Allemagne et des Pays-Bas. A Stockem, considéré comme une "petite base par rapport à l'échelle du groupe", l'investissement s'élève quand même à trois millions d'euros. Avec une capacité annuelle de 2.000 tonnes de métaux ferreux, de 100 tonnes de non ferreux et de plus de 400 voitures.

Explications avec Alain Pochet, responsable du site de Stockem: "Ferrailleur est un mot que je ne veux plus utiliser" précise d'ailleurs d'emblée le responsable. Et de refaire un brin d'histoire pour prouver combien, effectivement, ce mot n'a plus aucun sens. "En trente ans, la sidérurgie est passée du haut-fourneau à la technologie du four électrique. Or, si le haut-fourneau ne permettait que quelques pourcentages d'enfournement de mitraille, le four électrique, lui, a bondi à 100%. La concentration de matières premières secondaires a ainsi connu un énorme bond en avant.

Comme la sidérurgie est devenue mondiale, les échanges de mitraille sont eux aussi mondiaux. Ce qui a généré, il y a une quinzaine d'années, l'élaboration d'un référentiel mondial reprenant les teneurs chimiques (les résidus) et les critères physiques de dimensionnement. En même temps, les ventes passaient sur les marchés boursiers, par des contrats mensuels (pour les non ferreux, les prix de vente sont journaliers). Ce sont ainsi les prix en sidérurgie qui déterminent ceux de la mitraille et des déchets métalliques.

Une chaîne mal connue et mal aimée

"Tout objet a un cycle de vie - forcément - qui se termine dans la chaîne du recyclage à utilité publique et environnementale", souligne Alain Pochet. "Dans notre cas, cette chaîne est souvent méconnue du public et mal aimée par l'image de chancres, alors que ces chancres sont en voie de disparition. Car il y a une importante industrialisation du secteur et un recentrage du métier dans les mains de quelques acteurs de taille industrielle.

Un investissement comme celui que BST réalise ici à Stockem - et qui, je le répète - est de taille modeste à l'échelle du groupe - était inimaginable il y a encore une dizaine d'années. De plus, le cahier des charges est très strict et nous appliquons les normes les plus élevées dans tous les aspects de notre travail.

A lui seul, notre bassin de récupération et de traitement des eaux en est une preuve. Mais il y a encore, pour ne signaler que cela, tout ce qui concerne la récupération séparée des divers fluides tels que l'essence, les huiles de boîte, de moteur, de frein, etc. C'est un standard qualitatif très élevé".

Le travail de BST et l'installation à Stockem s'inscrivent bien sûr aussi dans le cadre des directives européennes relatives à l'environnement et au principe de pollueur- payeur. "Nous sommes un centre agréé Febelauto pour la dépollution des voitures déclassées, précise Alain Pochet. Chaque marque doit obligatoirement garantir le traitement de la voiture en fin de vie, en l'orientant vers la chaîne de recyclage, dans des structures agréées. Une fois agréé, chaque centre de traitement doit lui-même, depuis le 1er janvier 2007, démarcher les marques pour se faire agréer par elles. Ce sont donc les marques qui décident avec qui elles travaillent.

Pour le Grand-Duché de Luxembourg, nous sommes agréés par 95% des marques. Outre le traitement de ces voitures, le centre récupère aussi les métaux ferreux et non ferreux.

Cette activité vaut pour notre région, le Grand-Duché et la zone frontalière française. Une fois traités, ces métaux partent vers Anvers, pour les marchés sidérurgiques du monde entier. Certains partent aussi au Grand-Duché, où Arcelor-Mittal Steel dispose d'une capacité d'enfournement de 230.000 tonnes.

Tout ce qui est à broyer est par contre envoyé tel quel à Anvers. Le centre de Stockem n'est en effet pas équipé d'un broyeur, pour cause de marché insuffisant, le seuil minimum pour une telle machine portant sur une capacité de 10.000 tonnes".

De plus, des organismes comme Recupel et Febelauto organisent le recyclage et le suivi administratif de tous les déchets.

La voie d'eau, cheval de bataille

La question arrive inévitablement: cette activité ne génère-t-elle pas un important flux de transport routier, au moment même où les inquiétudes environnementales sont aussi lourdes que prioritaires? "C'est pour relever ce défi que BST investit dans son réseau d'entreprises", répond Alain Pochet.

"Le but est de gagner beaucoup en transport en faisant de la voie d'eau notre cheval de bataille, par la Meuse et le Canal Albert. D'où les implantations au port de Givet, avec une zone d'activités qui couvre la Champagne jusqu'au Nord de Paris, et à Hermalle-sous-Huy. Nous ne travaillons pas avec le chemin de fer, car il n'a pas assez de souplesse. Le site de Stockem ne permet bien sûr pas la voie d'eau, mais est très bien situé par rapport à l'infrastructure autoroutière pour ne provoquer aucune nuisance. L'activité de tri permet par elle-même de réduire considérablement les flux de transport. Ce recyclage est ainsi aussi un métier très logistique, pour précisément optimaliser les coûts de transport, et très commercial, qui touche toutes les couches de la société en termes relationnels".

Mais, une voiture, c'est aussi de plus en plus de plastique et autres matériaux composites, qui sont un autre défi pour les recycleurs. "Les directives européennes imposent pour 2015 le recyclage de 95% du poids des voitures. Aujourd'hui, nous sommes à 85%, ce qui veut dire que 10% de ces déchets partent en centre d'enfouissement technique. Il faut des solutions et les enjeux relatifs à la gestion des plastiques sont très importants. Tous les acteurs consacrent beaucoup de recherche à cette activité qui se déroulera toujours en aval des broyeurs, surtout pour des raisons de transport. Des essais ont lieu en plusieurs endroits, dans la plus grande confidentialité, vu le poids que ceci représente en termes de marchés".

Quant à la concurrence, si elle fait rage au niveau mondial, elle est, de l'aveu d'Alain Pochet, tout aussi féroce en Belgique, où s'affrontent quatre gros acteurs. On devine l'effervescence sur le marché.