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Cela fait dix ans que ça dure. Une décennie parsemée d'embûches et de railleries en tous genres. Malgré les efforts du gouvernement de soutenir la production audiovisuelle nationale, il n'a fait que pleuvoir des critiques au sujet de la politique de gestion du service concerné. Il faut battre le fer quand il est chaud, telle devait être la devise des quelques producteurs concernés, qui se sont aussitôt mis à aboyer, chacun déterminé à défendre surtout son propre territoire. Cela n'aura pas changé grand chose. Aujourd'hui le bébé a grandi suivant ses propres principes de croissance, et après une vague crise pendant laquelle le doute planait quant à l'avenir du Fonds, la loi de réaménagement du 21 décembre 1998 a quelque peu calmé les esprits perturbés. Au lieu de tout perdre, il valait mieux choisir le chemin de la diplomatie. Toujours est-il qu'un bilan comparatif n'a jamais été présenté par l'institution visée. Raison de plus d'en rencontrer le principal responsable, histoire de coucher certains doutes à plat.

Le tapis rouge, une nécessité? 

Le temps est au beau fixe ce mercredi matin de fin de mai, lorsque nous rencontrons Guy Daleiden, directeur du Fonspa, à l'intérieur de la cossue Maison de Cassal. L'atmosphère est plutôt détendue, l'interlocuteur principal revenant en ligne droite du Festival de Cannes, où le Fonds a décidé d'avoir annuellement pignon sur rue. Première question qui s'impose: Cannes, et les festivals en général, exigent-ils réellement notre présence avec notre toute petite part de marché? Première réponse, tout aussi directe: oui ! Que ce soit à Cannes, au Québec ou même en Uruguay, tisser la toile des liens est toujours une raison valable à tout déplacement, lorsqu'on sait que le marché de la production audiovisuelle est surtout tributaire des rencontres ponctuelles. Une présence physique régulière est plus propice à un travail constructif que des apparitions épisodiques. Même si le résultat ne se fera sentir qu'à long terme, la personnalisation donne plus de crédibilité aux démarches diverses. Voilà pourquoi le Fonspa a choisi d'aller régulièrement à Cannes, mais de n'être représenté dans d'autres festivals que s'il y a un ou plusieurs nouveaux produits à présenter.

Sur la Croisette, le stand national sert ainsi aux petites maisons de production de fixer des rendez-vous, et grâce à ce service rendu, même le festival Cinenygma peut y rencontrer ses futurs collaborateurs. De plus, l'heureuse initiative de l'European Film Promotion permet aux petits pays d'avoir plus de force en achetant ou en louant des espaces de façon groupée. Le marché international s'ouvre plus facilement à une initiative globalement européenne que locale. A Cannes, les divers " screenings " arrangés hors festival dans le cadre du marché du film ont par exemple permis au film "Jaime" de remporter cette année le "Grand Prix Cannes Junior 2000", et l'initiative "Producers on the Move" a honoré la productrice Gina Bonmariage (Lynx Productions), comme elle l'avait déjà fait avec l'actrice Myriam Müller lors du festival de Berlin. Si l'on rajoute à cela les quelques 80 contacts  qui ont été noués lors d'un voyage de prospection au Canada, et dont certains laissent présumer une future coopération avec le Luxembourg qui reste une terre d'accueil plus neutre que ses grands voisins, on ne peut vraiment pas insinuer que le travail de prospection extérieure du Fonds ait été négligé ou ne soit que le déroulement d'un tapis rouge sur lequel on se pavane, toute bannière tricolore en avant. Voilà pour le long justificatif du service gouvernemental quant à cette question.

Frais de fonctionnement: quel raisonnement...?

Toujours est-il que les vingt millions de frais de fonctionnement du ser-vice peuvent paraître légèrement surélevés par rapport à un budget total alloué de plus ou moins quatre-vingt-dix millions, dont uniquement  quelques  soixante-treize millions auront été versés comme aides financières sélectives en 1999. Selon Daleiden, ce n'est pas de cette manière qu'il faut faire les comptes, mais en y rajoutant les investissements supplémentaires consacrés aux certificats d'investissements audiovisuels. Ceux-ci s'étant élevés exactement à 610.951.302 Luf en 1999, cela réduit bien entendu le pourcentage de frais de fonctionnement de façon vertigineuse. Ce principe de fragmentation ne plaira sans doute pas à toute la branche de production nationale, compte tenu du fait que les certificats représentent un domaine tout à fait à part, dont profitent en grande partie des sociétés étrangères séjournant uniquement au Luxembourg pour tirer avantage du régime local. Le Grand-Duché n'ayant en principe aucune responsabilité à assumer quant à la promotion d'oeuvres dont le rapprochement avec notre pays se limite à un tournage sur territoire luxembourgeois, le budget de fonctionnement du Fonspa en relation avec la remise de certificats ne se justifie donc pas. Et le mécontentement de toute une profession par rapport à ce point reste plus que compréhensible.

Un comité en vaut-il un autre?

Pour en revenir aux détracteurs de la répartition des sommes restantes pour l'aide au développement, à la production ou à la promotion des films, l'argument final du directeur du Fonds réside dans le fait qu' il n'y aurait aucune raison de remettre leur montant total en cause, vu le fait qu'il n'a pas été engagé intégralement en 99. En cas de réelle insuffisance, le budget annuel alloué étant non limitatif, rien n'empêcherait le Fonds à demander une augmentation ponctuelle. Il suffirait pour cela que le comité de lecture et le comité d'analyse économique et financière soient suffisamment convaincus de la qualité suprême d'une ou de plusieurs oeuvres pour faire adopter cette hausse. Oui, mais?.

La partie adverse pourrait dans ce cas rétorquer que, justement, au niveau du fonctionnement des deux comités, tout ne semble pas très clair. En tous cas en ce qui concerne le second organe. Si la tâche du comité de lecture semble bien arrêtée, à savoir que celui-ci donne exclusivement son accord à la prise en charge financière, car jugeant le projet culturellement apte à être soutenu, le second se compose uniquement d'experts en matière économique et financière, ou bien encore de membres du Fonds, c'est à dire de personnes spécialisées dans l'administration. Or, ne serait-il pas plus logique que des personnes du secteur culturel fassent elles aussi partie de ce comité, afin que le projet ne soit pas, en dernière instance, évalué plutôt tel un fond de commerce au lieu de tenir compte en première ligne du patrimoine national'.

Neutre au départ, coupable à l'arrivée?

En ce qui concerne ce genre de question, ou encore celle qui touche au membre neutre susceptible de siéger au sein du Conseil d'Administration (problème qui a fait couler beaucoup d'encre pendant les dernières années), Daleiden se protège derrière les décisions de son Ministre. Pour mémoire, la Ministre avait finalement révoqué Joy Hoffmann  de ce poste peu après l'avoir nommé, sous prétexte que l'expert incontestable travaillant au sein du CNA, et déjà par ailleurs représentant national auprès du Fonds EURIMAGES, n'était pas tout à fait neutre de par son appartenance à l'actionnariat d'Utopia s.a. Décision pénible  qui fut amèrement encaissée par les membres de l'union des producteurs, lesquels finissent par avouer aujourd'hui qu'ils n'avaient eux-mêmes pas assez soutenu la candidature du cinexpert, lequel aurait été le chaînon manquant idéal entre eux et l'administration qualifiée de trop dirigiste.

Sans doute l'avis de quelqu'un se sentant plus proche du secteur sensibilisé aurait-il pourtant été aussi approprié qu'accepté pour trancher sur des questions comme celles d'un soi-disant favoritisme, dont le Fonds se défend farouchement.

Tout favoritisme exclu... ?

Il est vrai que lorsqu'on compare les sommes allouées rien qu'en 19999, Samsa Film empoche pour cet exercice la somme rondelette de quarante-quatre millions, ce qui représente plus de soixante pour cent du montant attribué aux aides financières sélectives. Par ailleurs,  le nombre de films Samsa subventionnés  est lui aussi supérieur à cinquante pour cent de la totalité des projets retenus par le comité de lecture. Fait qui pourrait justifier ce haut co-financement gouvernemental, du moment que l'on peut exclure le reproche du favoritisme,  l'argument concluant étant celui de la qualité retenue sur présentation d'un projet. En clair, cela veut dire que si Samsa présente plus de scénarios que les autres sociétés, et que si la qualité moyenne de ceux-ci s'avère en plus être  supérieure au reste de la matière à produire, aucun reproche de favoritisme ne pourrait être retenu. Mais pour rejeter tous ces doutes et reproches, il faudrait enfin admettre une personne de confiance déléguée par la profession et non quelqu'un imposé par voie administrative, directive qui ne fait que retourner le couteau dans la plaie.

Les certificats et l'au-delà...

Enfin, lorsque nous abordons le sujet délicat de la loi sur certificats, nous pensons détenir une bombe à retardement, que le directeur du Fonspa essaiera de désamorcer aussi vite. Tout dabord parce qu'il nous prie gentiment, et avec raison, de ne plus utiliser le terme de Tax Shelter, celui-ci signifiant " abris fiscal ", ce qui n'est pas le cas des avantages arrogés dans notre pays. Ensuite parce qu'il nous assure qu'un accord vient d'être trouvé pour les sociétés dont les dépenses ont augmenté de façon imprévue par rapport à la somme réclamée. Si dorénavant elles peuvent prouver que par rapport aux dépenses supplémentaires sur sol national, le pourcentage dépensé à l'étranger se voit amoindri, le surfinancement s'annule et les frais supplémentaires seront ainsi pris en charge par le Grand-Duché. 

Lorsque nous lui avançons que cela ne fait pas halte à la rumeur qui court, selon laquelle la loi des certificats serait mise en danger suite à une demande d'explications de la DG IV de l'Union Européenne, qui aurait un doute sur la compatibilité de notre loi avec celles du Marché Commun, Guy Daleiden, sûr du bien fondé de sa mission et surtout des réglementations sur lesquelles celle-ci repose, nous assure en toute confiance que le Commission a posé des questions au gouvernement comme elle l'a fait au préalable dans ses relations avec d'autres pays. Les législations de Suède et d'Irlande reposant en majeure partie sur la nôtre, et celles-ci ayant subi l'examen avec succès, il ne voit vraiment pas où pourrait se situer un problème majeur. Au plus faudrait-il peut-être adapter quelques points techniques mineurs, mais cela ne représenterait aucune obligation de remboursement par les sociétés concernées. Tout le monde ne semble pas de cet avis, certains producteurs se demandant comment faire face si jamais l'examen au niveau européen se révélait avoir des répercussions négatives. Il ne reste plus pour cela qu'à attendre patiemment que justice se fasse. Et à conseiller aux responsables du Fonspa, en attendant le verdict de la DG IV, de livrer un bilan détaillé et global de dix années de travail. Avec des tableaux comparatifs, les noms des sociétés et des réalisateurs, des évaluations sur les résultats obtenus par leur travail à l'étranger, les prix récoltés dans les différents festivals, l'évolution des budgets alloués, etc...

Bref, tout le bagage théorique, numérique  et médiatique dont un secteur aussi important devrait se munir après une décennie d'activités pour gagner en crédibilité et sortir de ce qu'on appelle un "paysage dans le brouillard'.

Annexes:

1. Audiovisual_Info

2. FONSPA: Extraits du rapport annuel (1999)

Audiovisual_Info

Production audiovisuelle au Luxembourg: quelques chiffres - clés:

Certificats d'investissement audiovisuel:       10 ans (1989'1998)

+/-7,5 milliards dépensés lors de

productions audiovisuelles à Luxembourg (montant des certificats d'investissement audiovisuel émis)

+/- 3 milliards de non-recettes

pour le Trésor (=300 millions/an) retombées économiques évaluées à 50%

= 50% de 3 milliards = 1,5 milliards = 150 millions/an (coût total)

+/-200 projets audiovisuels réalisés

+/- 420 nouveaux emplois créés

+/- 270 contrats à durée déterminée: animation et postproduction

+/- 150 free-lance: fiction, TV et cinéma

20sociétés de production

établies au Luxembourg

3 studios de post-production

4 studios d'animation

3 studios de production de fiction

2 studios de sonorisation

Aide avance sur recettes

400 millions en 8 ans = 50 millions/an

2. FONSPA: Extraits du rapport annuel (1999)

Aides financières sélectives Par aides financières sélectives ont entend des aides sous forme d'avances sur recettes. Il existe trois catégories d'aides:

1) aide à l'écriture et/ou au développement

2) aide à la production

3) aide à la distribution.

En 1999, des aides financières sélectives pour un montant total de 65.105.196 Luf ont été accordées. 5.070.196 Luf ont été octroyés pour des aides à l'écriture      et au développement, 56.315.000 Luf pour des aides à la production et 3.720.000 Luf pour des aides à la distribution.

Aides au développement Ni-Film: ?Please insert coin'

(600.000 Luf)

Samsa Film: ?Bye Bye Blackbird' (800.000 Luf)

Oniria Pictures: ?Le langage des fleurs? (2.470.196 Luf)

Samsa Film: ?Bye Bye Blackbird' (1.200.000 Luf

Sous-total: 5.070.196 Luf

Aides à la production

Minotaurus: ?Das Kleid der Landschaft? (3.800.000 Luf)

Samsa Film: ?Une liaison pronographique? (7.000.000 Luf)

Tarantula Luxembourg: La vie rêvée (2.200.000 Luf)

Samsa Film: ?Le Bal des Pantins? (1.200.000 Luf)

Rattlesnake Pictures: ?Electric Theatre? (4.155.000 Luf)

Samsa Film: ?Le troisième oeil' (3.000.000 Luf)

Samsa Film: ?Dis pourquoi, dis comment? (9.000.000 Luf)

Tarantula Luxembourg: ?Les mesures du rectangle? (2.960.000 Luf)

Samsa Film: ?Verrouillage Central' (3.500.000 Luf)

Tarantula Luxembourg: ?One Dance, One song? (2.500.000 Luf)

Monipoly Productions: ?Auf der Suche nach dem magischen Riff? (800.000 Luf) 

Samsa Film: ?Ceux qui sont allés en Espagne? (5.400.000 Luf)

Sous-total: 56.315.000 Luf

Aides à la distribution

Samsa Film: ?Fragile? (220.000 Luf)

Samsa Film: ?Une liaison pornographique? (900.000 Luf)

Samsa Film: ?Jaime? (1.700.000 Luf)

Lynx Production: ?Rockin' Warriors? (600.000 Luf)

Videopress: ?Im Land der Lügner? (300.000 Luf)

Sous-total: 3.720.000 Luf

Total Aides Financières Sélectives: 73.105.196 Luf