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Les économistes aiment les cycles. Ainsi, il est une théorie gravée dans l’inconscient collectif qui dit que toute période de ralentissement de l’activité, voire de récession, se doit d’être obligatoirement suivie d’une nouvelle phase de reprise ou de croissance. Aujourd’hui, c’est donc avec beaucoup d’impatience, doublée d’une certaine nervosité, que tout le monde se poste à l’écoute des moindres soubresauts du marché et guette ce regain de forme général tant attendu.

Cette reprise, certains pensent qu’elle se fait déjà ressentir, sans trop oser l’affirmer. D’autres se montrent plus prudents et s’attendent à une année 2011 encore difficile. Pour émettre un avis, chacun utilise ses propres indicateurs, choisis en fonction de son activité et de son marché, national ou tourné vers l’étranger. Seule certitude, l’optimisme béat n’est plus de mise. Pour connaître des lendemains qui chantent, c’est maintenant qu’il faut relever ses manches et s’adapter.

«Certes, le contexte global semble s’améliorer, confie Philippe Slendzak, associé chez Mazars, cabinet spécialisé dans l’audit, la comptabilité, la fiscalité et les services aux sociétés. Mais peut-on parler de reprise? Je ne sais pas. Ce qui inquiète, c’est qu’avec les meilleurs indicateurs du monde, personne n’a vu venir la crise en 2008. On n’est plus sûr de rien.» Et Keith O’Donnell, managing partner du bureau de conseil fiscal Atoz, abonde dans ce sens: «Cette incertitude est palpable et peut facilement être illustrée, explique-t-il. D’un côté, on a l’Allemagne qui repart de l’avant, de l’autre, l’Irlande en pleine récession. La réalité des uns n’est pas celle des autres. Comment, dans ce contexte, pourrait-on affirmer que la reprise est parmi nous?»

A l’échelle de la planète, la bonne santé des Etats-Unis a toujours constitué une sorte de baromètre de l’économie mondiale. «Mais pas mal d’incertitudes planent encore et les spécialistes pointent un risque de deuxième récession. On ne peut pas en faire abstraction», poursuit M. O’Donnell.

Des indicateurs à nuancer

Les indicateurs macroéconomiques communément admis ne donnent finalement qu’un aperçu limité de la réalité. «Des données comme le PIB, l’emploi, les niveaux de la Bourse ou encore la santé de l’immobilier américain sont des choses qu’on peut surveiller, mais nous n’aurons pas pour autant toutes les clés en main», constate Philippe Slendzak. Les professionnels luxembourgeois de la finance préfèrent se fier à d’autres données, plus en adéquation avec leurs activités. «On fait ce que toute bonne entreprise se doit de faire: on apprécie la reprise au niveau de nos clients, par secteur d’activité. Que font-ils? Comment se comportent-ils?, explique Keith O’Donnell. Un autre indicateur, plus ludique et que personne d’autre ne vous citera, c’est le taux de remplissage des avions, la difficulté de trouver ou non une chambre à New York et à quel prix… Chacun d’entre nous collecte des informations parmi ses contacts ou tout simplement en voyageant. Si nos avions-cargos et nos bateaux sont pleins, c’est que l’économie se porte mieux…»

Au petit jeu des prévisions, Eric Magrini, managing director d’Intertrust Luxembourg, pointe le second semestre 2011 comme le véritable point de départ d’une reprise conséquente. «En tant que PSF, par la diversification des clients et des services que nous fournissons, l’impact de la crise a été moins violent que dans d’autres secteurs, constate-t-il. Aujourd’hui, on assiste à un redémarrage prudent. Très clairement, et pour donner un exemple, les investissements au niveau private equity sont en train de revenir. L’attractivité de la législation luxembourgeoise, la stabilité du gouvernement et les aspects prudentiels rendent notre juridiction très attractive pour les investisseurs étrangers.»

Signe de la bonne santé globale du secteur financier, les entreprises engagent, alors que, dans le même temps, le Luxembourg n’a jamais atteint un tel taux de chômage (il était de 6,1% au dernier pointage, fin octobre). «Il faut reconnaître que nous occupons un secteur de niche. Si l’économie connaît une croissance de 3%, nous allons, par un effet de levier, enregistrer une hausse de 10%. Cela se vérifie aussi dans l’autre sens, commente M. O’Donnell. Mais il est vrai que nous restons relativement optimistes. Nous avons enregistré une augmentation importante de notre activité ces derniers mois et, qui plus est, dans plusieurs secteurs d’activité différents.»

Les appels d’offres, les demandes de renseignements, les contacts se multiplient. «Toutefois, on le sent, moins d’initiatives sont prises, moins d’affaires se lancent, relativise M. Slendzak. En 25 ans au Luxembourg, je n’ai jamais connu une année sans croissance. Nous ne sommes pas habitués à un tel ralentissement. Je préfère donc afficher un pessimisme raisonné. Depuis la rentrée, il y a à nouveau du mouvement. Mais on est encore loin du rythme qu’on a connu voici trois ou quatre ans.»

Afin d’établir leurs prévisions et d’estimer la croissance future de leurs activités, les experts du conseil et des services aux sociétés ne peuvent s’empêcher de regarder au loin, de l’autre côté de l’Atlantique, mais aussi en Asie. Le cœur de l’économie mondiale s’est déplacé. L’Europe n’est plus le centre du monde. «Et ce serait une erreur que de continuer à le croire, ajoute M. Slend­zak. L’Asie, la Chine en particulier, est à surveiller de près. Mais il faut aussi intégrer l’Amérique latine. Là, je pense plus particulièrement au Brésil et à l’Argentine qui semblent suivre la même voie.»

La santé économique de pays ou de régions situés à des centaines ou des milliers de kilomètres peut ainsi avoir des retombées positives ou négatives pour l’activité au Luxembourg. «Si l’affaire Madoff a fait beaucoup de mal, certains en ont tiré des leçons, confie Eric Magrini. Des fonds, autrefois localisés aux îles Caïmans, reviennent vers des juridictions plus stables et sérieuses. Très clairement, le flux commence à se dessiner. Et si nous sommes en concurrence avec des pays comme l’Irlande ou la Suisse, le Luxembourg reste très bien profilé. Deux collaborateurs présents aux Etats-Unis ces derniers temps sont revenus très confiants. Reste à savoir maintenant comment vont évoluer les investissements, au niveau du private equity notamment. L’argent existe. Encore faut-il qu’il soit investi dans des structures fiables qui se conforment aux règles.»

Des opportunités à saisir

En la matière, le Luxembourg conserve une longueur d’avance sur nombre de ses concurrents. «Je pense que beaucoup de pays sont envieux de la capacité de réactivité de notre gouvernement, de la proactivité des acteurs aussi. Quand on voit, par exemple, les efforts menés par Luxembourg for Finance pour vendre le Luxembourg à l’étranger, on ne peut que se réjouir», ajoute M. Magrini.

Les opportunités de développement sont nombreuses pour les acteurs locaux de la finance. «Les clients auront toujours besoin de pouvoir gérer leurs affaires à l’étranger, explique Keith O’Donnell. Nous sommes des partenaires à même de faciliter l’exécution de leurs missions.»

Et les outils dont disposent les professionnels basés au Luxembourg sont à même de répondre aux attentes des clients les plus exigeants. Car aujourd’hui, les investisseurs y regardent à deux fois avant de s’engager. «Avant, ils cherchaient la situation fiscale la plus performante. Aujourd’hui, on retrouve un certain équilibre, précise M. O’Donnell. Les structures fantaisistes ont perdu tout attrait. Le Luxembourg reste pour nous, en tant que conseillers fiscaux, un terrain d’accueil neutre très intéressant pour des groupes internationaux. Le cadre, qu’il soit légal, fiscal, réglementaire ou humain, est véritablement propice.»

«Nous sommes clairement à l’écoute des changements de lois, de traités, des obligations prudentielles, souligne M. Magrini. La CSSF veille à la bonne marche des opérations et cela nous tranquillise. Aujourd’hui, on se positionne très clairement dans la transparence, le réglementé, le régulé. Une conscience accrue du risque est désormais de mise. Cela ne nous empêche pas d’être des entrepreneurs créatifs. Mais nous envisageons les opportunités qui se présentent avec plus d’attention, notamment au niveau des risques de réputation. Il nous arrive notamment de refuser des clients, pour des raisons prudentielles ou autres, ce qui par le passé n’existait pas.»

Toujours concurrentiel, le Luxembourg s’adapte aux nouvelles exigences de l’économie à l’échelle mondiale. Il veille aussi à se positionner comme une alternative fiable et réputée à l’aube d’une reprise très attendue.

 

Finance - Un secteur qui forme et qui recrute

Malgré un net ralentissement de l’économie, les acteurs luxembourgeois de la finance avouent être à la recherche de nouveaux collaborateurs polyvalents. «Les exigences des clients évoluent fortement ces derniers temps, constate Keith O’Donnel, managing partner d’Atoz. En tant que conseillers, nous devons être à même de prendre position, de nous engager aux côtés de nos partenaires. Nos équipes doivent être formées
le plus largement possible pour répondre aux nouvelles attentes du marché.» L’hyperspécialisation des candidats n’est plus considérée comme un atout aujourd’hui. «Nous cherchons des profils plus polyvalents, capables d’occuper plusieurs postes en fonction des besoins du moment», ajoute M. O’Donnell. «On veut garder les talents et en trouver de nouveaux, précise Eric Magrini chez Intertrust. Nos clients évoluent très vite, il faut constamment s’adapter. Nos interlocuteurs sont aussi des gens toujours plus affûtés, ce qui nous oblige à évoluer dans plusieurs métiers à la fois, de façon généraliste et convaincante.»

Promotion - Quand LFF essaime la bonne parole

Avec 300 participants locaux, le road­show organisé le 22 novembre à Milan par Luxembourg for Finance, en collaboration avec la Camera di Commercio Italo-Lussemburghese de Luxembourg, a rencontré un intérêt hors du commun. «En Italie, deux amnisties fiscales successives ont eu un impact fort sur notre activité, constate Eric Magrini d’Intertrust, qui a fait le déplacement à Milan. On a ainsi vu de nombreuses structures quitter le Luxembourg. Mais le gouvernement italien va très probablement promulguer une loi qui va rendre le SIF (Specialised Investment Fund) luxembourgeois très attractif pour les investisseurs. Une opportunité à saisir pour nous.» Jean-Jacques Picard, secrétaire général de Luxembourg for Finance, a expliqué dans son exposé que la place financière luxembourgeoise a plutôt bien résisté à la crise. Il a aussi indiqué pourquoi de grandes initiatives réglementaires communautaires, comme les directives Ucits IV et AIFM, constituent de véritables opportunités pour la Place.