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Retour sur un siècle et demi d'histoire de la plus ancienne institution financière du pays.

"Nous Guillaume III, par la grâce de Dieu, Roi des Pays-Bas, Prince d'Orange-Nassau, Grand-Duc de Luxembourg, de commun accord avec la Chambre des députés, avons ordonné et ordonnons - Article 1er - Il sera établi dans le Grand-Duché une caisse d'épargne suivant les dispositions que nous nous réservons d'arrêter". Voilà les premiers termes de la loi-cadre votée par la Chambre des Députés le 21 février 1856, créant la première - et la seule - caisse d'épargne du pays, la plus ancienne institution financière du Luxembourg.

Elle aurait pourtant pu être encore plus ancienne, puisque la toute première tentative de création d'une caisse d'épargne dans le pays date de 1829. à cette époque, le Luxembourg constitue la 18e province des Pays-Bas, un royaume qui compte alors déjà 47 caisses d'épargne. Mais dans ce qui n'est pas encore un grand-duché, la sauce ne prend pas. La création de la première caisse d'épargne de l'histoire, elle, remonte à 1778, avec la Hamburger Allgemeine Versorgungsanstalt, considérée comme le tout premier établissement de ce type du monde.

Un quart de siècle plus tard, un nouvel échec se profile. La loi du 20 mars 1853, prévoyait pourtant l'institution d'une caisse de prévoyance, laquelle comprenait une caisse de retraite, une caisse dotale et une caisse d'épargne. Mais cette construction légale s"avéra rapidement trop compliquée et trop irréaliste pour pouvoir réellement être mise en oeuvre.

Le texte de 1856, volontairement limité à une loi-cadre à l'énoncé pour le moins laconique, est l'oeuvre d'Emmanuel Servais, considéré, de fait, comme le père fondateur de la Caisse d'Épargne. Il intervient à une époque où le pays, indépendant depuis à peine 16 ans (suite au Traité de Londres du 19 avril 1839), vit de profonds bouleversements à l'aube de son développement économique. Ainsi, c'est cette même année que naquit la Banque Internationale à Luxembourg, dont les statuts furent approuvés par un arrêté royal grand-ducal en date du 8 mars 1856 et qui démarra son activité le 31 juillet. La BIL était, notamment, le seul établissement à disposer du droit d'émission de monnaie. 1856, c'est également la véritable année de démarrage de la création des CFL, après six années de négociations et de pourparlers. La Société Royale Grand-Ducale des Chemins de Fer Guillaume verra officiellement le jour le 4 janvier 1857.

25 septembre 1859: le premier livret...

Du côté de la Caisse d'Épargne, il faudra encore patienter un peu avant que l'établissement ne soit réellement opérationnel. La première organisation des services n'est en effet régie que par un règlement datant du 17 février 1859 et ce n'est que le 18 août 1859 que s"installe le premier conseil d'administration, composé en tout de trois membres, et présidé par Nicolas Martha (lire par-après).

Entre temps, un second texte de loi, également assez lapidaire, datant du 28 décembre 1858, prévoyait la garantie de l'État pour le nouvel établissement.

Le premier livret d'épargne sera émis par la Caisse d'Épargne le 25 septembre 1859 au nom du petit Paul Ulveling, 2 ans, fils du conseiller de gouvernement Georges Ulveling, futur directeur général des Finances sous le gouvernement de... Emmanuel Servais (entre octobre 1869 et mai 1873).

En 1900, alors que les avoirs déposés par la clientèle approchent les 20 millions de LUF (plus de 33.000 livrets ont été ouverts), la Caisse d'Épargne se voit adjoindre un Crédit Foncier, instauré par la loi du 27 mars 1900 et dont l'administration lui est commune. Ainsi, l'établissement tient enfin la possibilité de faire bénéficier le pays directement de ses dépôts d'épargne. Il faudra ensuite attendre 1930 pour que le législateur procède à une certaine fusion entre la Caisse d'Épargne et le Crédit Foncier.

C"est également en 1930 que sont définitivement consacrées l'autonomie et la personnalité juridique de la Caisse d'Épargne. La loi du 16 juin 1930 permit en effet de mettre fin ainsi à une longue incertitude quant au statut juridique véritable de l'établissement, puisque la loi du 21 février 1856 établissait la Caisse d'Épargne non pas comme un établissement public, mais comme un service administratif sans personnalité juridique. La principale évolution qui a, par la suite, profondément marqué l'évolution de la Caisse d'Épargne, date du 25 octobre 1944 et la publication d'un arrêté grand-ducal l'autorisant à étendre son activité à toutes les opérations prévues par le statut des caisses d'épargne allemandes.

Situation juridique solidifiée

Pour autant, la situation juridique de l'établissement n'était, en rien, parfaitement éclairée. Du reste, dans l'exposé des motifs du projet de loi n°3095 qui a abouti à la loi du 24 mars 1989 qui créa la BCEE, le législateur ne manqua pas de rappeler "des imprécisions et des lacunes juridiques déconcertantes face aux montants considérables en jeu et face au rôle majeur de la Caisse d'Épargne dans les circuits financiers du pays". Cela concernait, par exemple, l'étendue de la garantie de l'État, les compétences et la composition du comité de direction, les compétences et la responsabilité du directeur et du sous-directeur, l'activité internationale de l'établissement, les participations de l'établissement, le statut de son personnel, etc.

Cette situation fut à l'origine de nombreux projets de réforme, lancés après-guerre, sans qu'aucun n'aboutisse vraiment. "Si les réformes législatives en la matière ont tellement tardé à se concrétiser, c'est qu'il s'agit sans aucun doute de questions extrêmement complexes, en constante évolution, dont certains aspects sont largement controversés depuis des décennies, voire depuis l'instauration de la Caisse d'Épargne et où des conflits d'intérêts peuvent se poser, aussi bien entre la Caisse d'Épargne et le secteur bancaire privé qu'au sein du secteur public", expliquait le législateur.

C"est le 13 mars 1987 que fut déposé ce projet de loi n°3095 portant réforme du statut de l'organisation de la Caisse d'Épargne et Banque de l'État du Luxembourg qui, par la suite, fut rebaptisé en projet de loi sur la Banque et Caisse d'Épargne de

l'État, Luxembourg, donnant ainsi son appellation définitive à la Spuerkeess et à l'instauration d'un cadre juridique plus solide.

10 directeurs en 150 ans

En un siècle et demi, dix personnes se sont succédé dans le fauteuil de directeur de la Banque et Caisse d'Épargne de l'État. Le tout premier à s"y installer fut Nicolas Martha. Il y resta près de 40 ans, ce que personne d'autre, depuis, n'a fait.

Professeur de mathématiques, nommé en 1847 au poste de régent de l'Athénée de Luxembourg, Nic Martha fut appelé, en 1852, par l'Administrateur général des Finances de l'époque, Emmanuel Servais, avec deux autres mathématiciens (Nicolas Bodson et Jean-Pierre Michaëlis), pour former une commission d'études sur le projet de création d'une Caisse d'Épargne. C"est sur la base des travaux de cette commission que le gouvernement vota, en 1856, le projet de la création de cet établissement. Le 18 août 1859, le premier conseil d'administration de l'établissement s"installe, composé de trois membres et présidé par Nicolas Martha.

Sa carrière le mènera, parallèlement, jusqu'aux fonctions de conseiller municipal (en 1864) puis d'échevin, en 1870. Il se retira de la vie publique en 1875 pour ne plus se consacrer qu'à la Caisse d'Épargne, jusqu'à son décès, le 4 septembre 1898, à l'âge de 78 ans.

C"est Ernest Hamilius qui prit sa succession, jusqu'en 1920. Vint ensuite Daniel Rousseau, qui occupait depuis 1908 les fonctions de sous-directeur, et qui ne resta à la tête de la Caisse d'Épargne que trois années, ce qui constitue, à ce jour, le plus court mandat à ce poste.

Nicolas Kerschen, qui fut sous-directeur durant ces trois années, accéda au plus haut rang en 1923 et y resta jusqu'en 1946.

Entre 1946 et 1959, la Caisse d'Épargne fut dirigée par Ernest Goergen, qui rendit son tablier le 23 décembre 1959, atteint par la limite d'âge. Gustave Stoltz, qui fut, durant toute cette période, son sous-directeur, prit, logiquement, la suite, jusqu'en 1966.

Un autre "long règne" s"ensuivit alors, avec Pierre Guill, ancien Conseiller de gouvernement, nommé en 1966 et qui occupa le poste jusqu'en avril 1981. Le mandat suivant, celui de Corneille Brück, restera dans l'histoire puisque celui qui est aujourd'hui, entre autres, vice-président honoraire de la Banque Européenne d'Investissement, fut le dernier directeur général de la Caisse d'Épargne, avant le changement de régime de 1989.

C"est Raymond Kirsch qui fut, à sa suite, le premier directeur général de l'actuelle BCEE, Luxembourg. Entré en fonction, à ce poste, le 3 mai 1989, il y resta jusqu'au 31 janvier 2004, cédant ensuite la place à son directeur général adjoint, Jean-Claude Finck. M. Kirsch est, aujourd'hui, président du conseil d'administration de la Bourse de Luxembourg et président du Conseil de gouvernance de l'Université du Luxembourg.