Yves Wagner: «La voie de sortie de la crise économique est donc davantage à chercher dans un plan de relance combinant dépenses publiques et investissements privés.» (Photo: Julien Becker / Archives)

Yves Wagner: «La voie de sortie de la crise économique est donc davantage à chercher dans un plan de relance combinant dépenses publiques et investissements privés.» (Photo: Julien Becker / Archives)

Depuis le début de la plus récente crise économique, de nombreuses Banques centrales ont eu recours à des outils de politique monétaire qualifiés de peu orthodoxes car ne s’inscrivant pas dans la panoplie des outils proposée par la théorie monétaire jusque-là dominante, ni d’ailleurs dans le cadre généralement accepté des objectifs de politique monétaire notamment européenne. L’objectif de ces politiques étant la relance économique, on peut estimer qu’elles sont contraires aux seuls objectifs de stabilité des prix définis de façon exclusive dans les politiques monétaires dans certains pays (notamment en Europe). Mais l’injection massive de liquidités dans les économies, qui sont le résultat de ces politiques, posent aussi des questions sur leurs effets inflationnistes à moyen/long termes, conformément à toutes les théories monétaires dérivées de l’approche classique de la théorie quantitative de la monnaie. Dans cet environnement «classique», on devrait avoir les approches suivantes:

  • La politique monétaire devrait se limiter à veiller à la stabilité des prix, en dehors de toute considération conjoncturelle; ce n’est en effet dans cette approche pas efficace d’un point de vue économique si différentes politiques (monétaires, budgétaires ou fiscales) s’intéressent à une même cible (la conjoncture), chaque politique devrait au contraire se concentrer sur une variable économique prioritaire,
  • Conformément à différentes théories monétaires issues de l’approche quantitative classique de la monnaie (et même jusqu’à l’approche monétariste très en vogue jusqu’à une époque récente), une abondance de liquidités n’aura pas d’effet réel à long terme et se traduira exclusivement par une hausse de l’inflation.

L’observation récente des faits économiques, notamment aux États-Unis, ne semble pas donner raison à ces deux approches théoriques: d’une part, la croissance économique semble être de retour aux États-Unis, d’autre part, il ne semble pas qu’il y ait un dérapage inflationniste. De même, ni au Royaume-Uni, ni au Japon où ces politiques ont également été utilisées massivement, ni en Europe où la Banque centrale européenne a entamé la même voie d’abondance des liquidités, l’inflation n’a dérapé; au contraire, le spectre de la déflation surgit régulièrement.

Nous pensons néanmoins que ces observations peuvent être trompeuses.

Tout d’abord, en ce qui concerne la croissance économique, il n’est pas garanti que l’abondance de liquidités aux États-Unis puisse expliquer (à elle seule) la reprise économique; il y a de fortes chances que l’économie américaine ait pu retrouver le chemin de la croissance même en dehors du stimulus monétaire (notamment conformément aux théories de fluctuations conjoncturelles traditionnelles observables dans le passé); il en va de même au Royaume-Uni, et a fortiori au Japon, voire en Europe, où la croissance n’est pas au rendez-vous malgré des politiques monétaires laxistes.

Ensuite, en ce qui concerne l’inflation, le diagnostic est encore plus difficile à faire: on observe certes des variations de prix relativement faibles (voire négatives) dans l’économie des biens et services, et pour cause, car tant que les demandes globales sont absentes, l’inflation ne risque pas d’apparaître (l’inflation n’étant qu’un ajustement de prix en cas de déséquilibre entre l’offre et la demande); en revanche, on peut estimer que l’inflation s’est manifestée au niveau des actifs financiers, comme le suggère la forte corrélation entre les bilans des Banques centrales et l’évolution des cours des actions sur les marchés boursiers.

Comme toujours lors des crises financières et économiques, les agents vivent dans une forte incertitude quant à l’évolution économique à court terme; à cette incertitude «classique» s’ajoute aujourd’hui celle des politiques monétaires peu orthodoxes dont l’ampleur sans précédent ne permet pas de prévoir les effets à moyen terme.

Les politiques se trouvent donc dos au mur, la politique monétaire étant contrainte pas le manque d’inflation, et les politiques de relance par la demande publique étant contraintes par l’endettement des États. La voie de sortie de la crise économique est donc davantage à chercher dans un plan de relance combinant dépenses publiques et investissements privés, tel que celui proposé par la Commission européenne. Pour être efficace, un tel plan devrait néanmoins être massif, et celui proposé manque certainement d’envergure.