Jean Dermine (Insead): «La crise bancaire est davantage due à un problème de liquidité plus qu’à un problème d’insolvabilité.» (Photo: D.R.)

Jean Dermine (Insead): «La crise bancaire est davantage due à un problème de liquidité plus qu’à un problème d’insolvabilité.» (Photo: D.R.)

Avec Bâle III, le nouveau dispositif prudentiel destiné aux établissements financiers, le professeur de finance à l’Insead craint une tendance naturelle des banques à placer un nombre important d’actifs hors bilan, en réponse au coût trop élevé de la liquidité.

Monsieur Dermine, quelle est la logique sous-jacente aux ratios de solvabilité et de liquidité préconisés par le Comité de Bâle?

«Tout d’abord, la crise bancaire est à mon avis davantage due à un problème de liquidité plus qu’à un problème d’insolvabilité. Elle a débuté quand le monde s’est rendu compte que les banques avaient financé des actifs à long terme par des dettes à court terme. Le secteur financier s’est alors demandé où les banques trouveraient la liquidité et les fonds propres nécessaires au refinancement de ses actifs titrisés.

Bâle III prévoit donc pour 2015, le liquidity cover­age ratio. Pour tous les emprunts bancaires à court terme, les banques devront détenir des actifs liquides qui leur permettent de faire face à des retraits bancaires sur un mois. Pour financer les portefeuilles d’actifs liquides à court terme, elles vont devoir émettre des titres à long terme.

Le Grand-Duché a été moins affecté par la crise bancaire. Pourquoi ses banques devraient obéir à des règles de liquidité aussi strictes?

«Sur un plan académique, la question est tout à fait valide parce qu’un des rôles fondamentaux de la banque est la transformation de maturité, à savoir emprunter à court terme et financer les actifs à long terme. Or quand les autorités la contraignent à détenir des actifs liquides pour couvrir des dépôts à court terme, cela réduit très fortement ce rôle de transformation.

Personnellement, je trouve que la règle de Bâle III, selon laquelle les banques doivent avoir des liquidités sur une période d’un mois, me paraît tout à fait exagérée et coûteuse. Car si une banque fait face à une crise de liquidité à court terme lors d’une panique bancaire, mais qu’elle reste solvable, dans ce cas, il est tout à fait normal que la banque centrale prête les liquidités nécessaires, conformément à son rôle historique de prêteur en dernier ressort.

D’un autre côté, si une banque n’est pas solvable et que les pertes sont telles que ses fonds propres sont totalement épuisés, que des liquidités soient imposées sur 15 jours ou un mois ne va rien changer. La banque sera en faillite.

Et le ratio de solvabilité donc…

«Vu la crise, les banques centrales veulent forcer les banques à détenir plus de fonds propres. D’où la proposition de Bâle III, dans l’avenir, – et là cela devient un petit peu compliqué – de garder un minimum réglementaire de 8%. Dans ces 8%, il faudra que 4,5% soient de vrais fonds propres (des actions ordinaires, ndlr.). En plus de ces 8%, 2,5% de volant de conservation sont ajoutés. De ces 10,5%, il faudra que 7% soient des fonds propres purs.

Enfin, une proposition stipule que, en plus de ces 10,5%, un coussin supplémentaire de 1,5% soit alimenté quand le cycle économique va bien. Pour atteindre un ratio de 12%. En revanche, dans des temps de récession, les ratios applicables seraient plus proches de 10,5%. Ce sont les fonds propres dynamiques. Très concrètement et sur une base réglementaire, les banques qui étaient gérées avec 2,5% de fonds propres doivent l’être aujourd’hui avec 7%. Il s’agit donc d’une augmentation très forte.

Qu’en est-il du risque de titrisation?

«Si les banques détiennent des actifs, elles vont avoir besoin de fonds propres plus élevés. Cela sera plus coûteux de faire de l’intermédiation financière classique, c’est-à-dire d’emprunter puis de garder les actifs au bilan. Cela va donc créer un instinct majeur à la titrisation. C’est le grand problème non résolu par Bâle III et celui-là même qui a causé la crise. Cette titrisation avec des titres à long terme financés par des titres à court terme. Bâle III ne touche pas du tout à cette question. Si elle réglemente les banques, elle ne se focalise pas du tout sur ce qui se passe en dehors et ce shadow banking.»