Jacques Chahine: «L’optimisation fiscale à outrance des sociétés américaines coûte beaucoup plus à l’Europe qu’aux États-Unis.» (Photo: archives / paperJam)

Jacques Chahine: «L’optimisation fiscale à outrance des sociétés américaines coûte beaucoup plus à l’Europe qu’aux États-Unis.» (Photo: archives / paperJam)

Avec le retrait graduel du quantitative easing (assouplissement quantitatif) entamé par l’ancien président de la Fed, le marché s’attendait à un retour d’une politique monétaire américaine plus classique. Cela devait coïncider avec la reprise de l’économie et un marché de l’emploi qui poursuivait sa convalescence. L’arrivée de Madame Yellen en début d’année a changé la donne, justifiant sa réputation de «colombe». Elle a trouvé le marché de l’emploi et l’économie un peu poussifs et a donc rassuré les marchés sur le maintien de taux bas aussi longtemps que nécessaire. Alors que les signaux de Bernanke avaient mené les taux à 10 ans de 1.63% à 3%, ils ont reflué à 2.5% sous le début de règne de Yellen. Le 30 ans, qui a beaucoup plus d’influence sur la valorisation des actions est passé d’un plus haut sous Bernanke de 4% à un point bas de 3.33%.

Sans aller dans des modèles sophistiqués, on peut faire le constat suivant: le dividende servi par le S&P500 est de 2.04% malgré la hausse des cours. Ce dividende est prévu d’augmenter de 7% en 2015 et, malgré la crise du siècle en 2008, il a grimpé en moyenne de 6.2% sur les 10 dernières années. A supposer même qu’il va s’accroitre en moyenne de 4% sur les 10 prochaines années, soit le rythme de l’inflation et une économie molle, cela reste largement supérieur au rendement «risqué» du 30 ans non indexé.

Madame Yellen réussit à faire reculer les taux longs

Le 30 ans sur l’Euro a suivi la tendance, passant de 2.80% à 2.22%. Est-ce que cela ne vous rappelle pas le Japon? L’écart de taux entre les US et l’Eurozone s’explique facilement par l’écart croissant de l’inflation entre les deux économies. Alors que l’inflation aux États-Unis a retrouvé récemment le chiffre de 2% qui est la zone de confort de la Fed, l’inflation en Europe n’arrête pas de reculer et le dernier chiffre est à 0.7% de hausse sur 1 an. Pire encore, les indices PPI ou indice de gros sont dans le rouge depuis des mois notamment dans le secteur manufacturier. Ainsi, les taux «réels» à court terme sont plus élevés en Eurozone qu’aux Etats Unis, puisque dans les deux cas les taux nominaux sont voisins de zéro. Devant cette situation, la BCE a affirmé vouloir agir en Juin et au moment où nous écrivons, on verra la réaction du marché ce jeudi s’il est satisfait du plan de Draghi.

L’Eurozone doit faire face au risque de déflation

Si la baisse de l’Euro est souhaitée désespérément par certains États comme la France, elle ne s’avère pas globalement nécessaire pour la zone prise dans son ensemble. Contrairement aux idées reçues, la zone bénéficie d’une balance commerciale excédentaire confortable au rythme de 15Mds€ par mois, contre un déficit de 40Mds$ par mois aux États-Unis. L’Euro a déjà anticipé une baisse par rapport au dollar, il sera probablement difficile d’aller bien plus loin. La France aura certainement aussi du mal à ramener la valeur de l’Euro à son idéal et même si cela se faisait, cela ne changerait rien au commerce intra communautaire qui est à la source des déficits. L’Espagne a été obligée d’ajuster sa compétitivité en interne, et elle commence à recueillir les premiers fruits de cet ajustement.

Le dernier round de baisse des taux a ainsi entraîné tous les indices au plus haut. L’indice monde est en hausse de 4.3%, les US de 4.9% et l’Eurozone que nous avions surpondéré de 6.7%, en tenant compte des dividendes. Nous nous posons par contre des questions sur la sagesse de la politique de Yellen qui a repris un round de baisse des taux et qui prend le risque de créer une sacrée bulle au niveau de la valorisation des actifs. La meilleure preuve est l’assaut fait par les groupes pour racheter d’autres sociétés et à défaut racheter leurs propres actions. Les marchés ont complètement ignoré le risque géopolitique lié à l’Ukraine, estimant sans doute que la Russie devrait hésiter à créer une instabilité qui mettrait en danger son économie déjà bien malade.

Le dernier round de baisse des taux remet les indices au plus haut

Si le marché de l’emploi s’améliore aux États-Unis, les salaires restent poussifs, augmentant à peine au rythme de l’inflation, alors que le débat fait rage autour des super riches qui empilent milliard après milliard. «L’impérialisme» américain a déjà obtenu la victoire de la fin du secret bancaire quasiment partout dans le monde, le voilà à nouveau qui veut diriger la planète en infligeant des amendes colossales à la BNP et prochainement les autres banques européennes en imposant le droit américain à l’étranger, comme c’était le cas de la directive Fatca. On voit la pauvre Europe incapable de faire face de façon unie à cet impérialisme, alors qu’elle a montré son efficacité dans d’autres domaines comme l’amende Microsoft ou le jugement sur Google sur le « droit à l’oubli ». L’optimisation fiscale à outrance des sociétés américaines coûte beaucoup plus à l’Europe qu’aux États-Unis, car ce sont les sociétés américaines les grandes bénéficiaires. Si l’Europe était unie, elle pourrait imposer également une législation anti optimisation.

Les perspectives de croissance du PIB pour 2014 tournent autour de 1.1%, et 1.5% pour 2015 pour l’Eurozone, ce qui est insuffisant pour faire reculer le chômage de 11.8%. Un vent d’optimisme balaie néanmoins la zone avec un indicateur de sentiment en constante amélioration depuis la fin de la crise sur l’Euro. Notons au passage la santé insolente du marché britannique, dont la croissance sera une des plus fortes en 2014 avec 3% attendus. Après une descente aux enfers jusqu’à un point bas 939.000 véhicules/mois en décembre 2012, le secteur a entamé une lente recovery pour atteindre 1.130.000 véhicules en avril en données corrigées des variations saisonnières. Les volumes d’avant la crise tournaient à environ 1.330.000 véhicules, ce qui laisse pas mal de potentiel de reprise.

Notre scoop du mois vient de l’inversion à la hausse des profits US, grâce notamment à la technologie et bio technologie, secteurs où l’Europe est quasi absente. En Europe les profits sont toujours revus à la baisse assez fortement. Les profits devraient augmenter de 8.4% aux US et 6.1% en Europe en 2014 selon notre modèle Top Down. En raison de la baisse des taux à 30 ans, nos objectifs de cours ont été rehaussés à 1969 points pour le S&P500 et 372 points pour le Stoxx 600. Nous maintenons notre surpondération sur les actions.