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Arnaques en tous genres existent sur le Web et sont déplorables, bien sûr. Plus graves sont les débats concernant la protection des mineurs et du respect de la dignité humaine sur Internet, nouveau moyen de communication susceptible de véhiculer des contenus préjudiciables. 

L'année dernière à cette époque, une consultation publique sur le sujet avait été organisée par le Service des Médias et Communications, sous l'impulsion du Ministre Biltgen, en collaboration avec le CRP Henri Tudor. Pas moins de 500 privés et professionnels avaient répondu à l'enquête, et une table ronde avait conclu à la nécessité d'organiser le secteur Internet luxembour- ? ?geois afin qu'il puisse se battre pour mieux protéger les mineurs et la dignité humaine. Une certaine dynamique semblait avoir été créée, le Ministère des Communications avait donné l'impulsion au débat, et l'ISPA Luxembourg était née en décembre suite à cette table ronde.

On était donc en droit d'espérer la continuation de la réflexion sur l'auto ou la corégulation. Qu'en est-il actuellement, concrètement, du travail à ce sujet des principaux acteurs privés luxembourgeois concernés, à savoir l'ISPA (Internet Service Providers Association), l'ISOC (Internet Society) et l'APSI (Association des Professionnels de la Société de l'Information)? Si les discussions sur le sujet se sont faites très discrètes ces 12 derniers mois, il semble bien que le marché soit prêt à passer à la vitesse supérieure.

Reprise des échanges

Nic Nickels pense que l'ISPA est sur le point de devenir cet organisme privé d'autorégulation désiré par François Biltgen: Mais nous n'en sommes pas encore là. L'ISPA, toute jeune organisation, a tout d'abord dû se créer ses propres structures avant de pouvoir aller plus loin, et a dû répondre à des problèmes prioritaires, comme la sécurité des réseaux. Tout cela a pris du temps. A présent, nous pouvons répondre aux autres défis qui se posent, dont fait partie l'autorégulation.

Il explique le silence radio des derniers mois: Si, du côté de l'ISPA comme de l'Etat, l'accent n'a pas été mis sur l'autorégulation, c'est qu'il y avait d'autres sujets à traiter assez rapidement.

Et Patrick Vandewalle, Président de l'ISOC Luxembourg, d'ajouter à ce sujet qu'aucun contenu n'a nécessité d'intervention d'un fournisseur d'accès ou une intervention légale. En tout cas, les fournisseurs n'ont fait état d'aucun problème relevant de la dignité humaine ou de la protection des mineurs.

Qui s'assied au-tour de la table?

L'ISPA, qui défend les intérêts des providers, devrait donc dans les prochains mois enrichir ses propres réflexions de celles d'autres organismes. L'ISPA va se mettre en relation avec tous les intervenants de l'Internet, l'ISOC et l'APSI, mais ce tour de table ne doit pas se limiter à ces organismes. D'autres intérêts peuvent jouer, comme les associations de parents d'élèves, l'Union des Consommateurs. Il y a beaucoup de droits à protéger.

Il est regrettable aux yeux du Président de l'ISPA que des structures telles que Restena, issue de l'enseignement national, et le CRP Henri Tudor, «public», n'aient pas travaillé sur les solutions à proposer aux élèves.

Gary Kneip, Président de l'APSI: Notre rôle n'est pas direct, si on le compare à l'ISOC, qui représente les usagers, et à l'ISPA, porte-parole, par sa nature, de ceux qui véhiculent l'information, et qui a donc un rôle immédiat à jouer si l'on détecte un contenu illicite sur un serveur. L'APSI représente les prestataires de services, moins directement touchés par l'autorégulation. Nous ne sommes donc pas le moteur des discussions, mais nous devons sensibiliser nos membres au respect des mesures qui seront prises.

Les avis sont tranchés quant au rôle que l'Etat a à tenir dans cette discussion. Pour Nic Nickels, si l'Etat veut avancer, il doit institutionnaliser une commission en relation avec les nouveaux médias, tout comme il le fait avec les autres secteurs d'activité. Il y a une commission des médias pour la presse traditionnelle? mais pas pour Internet, qui est pourtant supposé être un pilier économique. Gary Kneip, puisque l'autorégulation est l'affaire de tout le monde, pense que le gouvernement devrait lancer des actions de sensibilisation et d'explication, dans le cadre d'e-Luxembourg. 

 

Lutter

Sensibiliser, responsabiliser?

Une charte de bonne conduite, différente d'une loi rigide, rappelle aux membres de l'ISPA et à leurs clients leur responsabilité en énumérant clairement les interdits, tels que contenus pédophiles et incitations à la haine raciale. Gary Kneip pense qu'un code de bonne conduite national devra être mis en place, plutôt qu'une déclinaison pour chaque organisation. Des discussions sont en cours, notamment avec la FEDIL et l'ISPA.

L'utilisateur doit quant à lui être, selon l'ISPA, informé sur les outils qu'il peut maintenant mettre             en place pour refuser l'accès à        certains contenus qui lui parais-sent sensibles. La responsabilité des parents et enseignants est ? ?grande. S'il est difficile de définir ce qu'est une «bonne utilisation» d'Internet, le jeune public doit cependant être également  informé des règles que la société s'est déjà données, pour la vie quotidienne. Rôle de sensibilisation auquel l'ISOC pourrait participer, comme le confirme Patrick Vandewalle: D'ailleurs, à l'école, l'information à ce sujet devrait faire partie intégrante des cours relatifs à l'informatique et à Internet.

Pour l'APSI, il faut une information, des contrôles, des sanctions, autant de la part du législateur que dans la famille. Les parents peuvent éviter certaines choses à la base. Et les opérateurs doivent adhérer à des standards de qualité de l'information qu'ils véhiculent.

 

Les contenus

illicites

L'ISPA peut quant à elle d'ores et déjà participer de manière on ne peut plus directe à la protection des mineurs et de la dignité humaine, en supprimant tout bonnement l'accès aux contenus clairement définis comme illégaux. Mais tant que nous restons dans le domaine du légal, à chacun de définir jusqu'où il peut aller, précise Nic Nickels.

Hotlines?

Le rôle de l'ISPA Luxembourg ne sera jamais de créer une nouvelle morale et une nouvelle éthique sur Internet, affirme Nic Nickels. Un tissu de lois règle les comportements dans la vie civile, et est applicable sur Internet. S'il y a infraction, c'est à l'appareil judiciaire de rester maître de ses décisions. L'ISPA recommandera bien sûr à ses membres de coopérer en cas d'intervention de la justice.

L'approche anglaise de «justicier de la Toile» via un centre d'appel, défendue par Ruth Dixon (Internet Watch Foundation ) lors de la table ronde de l'année dernière, ne sera pas celle de l'ISPA Luxembourg: On peut informer l'ISP. Mais si une plainte voit le jour, c'est la justice qui doit intervenir. Elle doit se donner les moyens de répondre à ce nouveau défi. Nous sommes d'ailleurs à sa disposition pour expliquer le fonctionnement de cette Toile complexe.

Tout comme il faut protéger l'individu contre les violations de la loi, il faut protéger ses libertés. La notion de bon goût ne peut être définie par une autorité. Ce que quelqu'un trouve tolérable peut ne pas l'être pour un autre (misogynie,?). Nous ne voulons pas de dénonciation, insiste l'ISPA. Patrick Vandewalle cite quant à lui, pour illustrer le postulat que ce qui est interdit ici peut être toléré ailleurs,  l'exemple des Etats-Unis, qui acceptent les discours nazis et racistes au nom de la liberté d'expression. On ne peut pas contrer ça, affirme-t-il.

Gary Kneip pointe le doigt sur le fait que si un site désire vraiment véhiculer de l'information illicite ou préjudiciable, dans une optique économique ou politique, ce n'est pas une plainte qui va l'en empêcher. Le lendemain du dépôt de la plainte, le site aura été déplacé! Pour ce qui est des sanctions, Gary Kneip déplore qu'aucune cellule des forces de l'ordre notamment, à sa connaissance, ne garde l'?il sur ce qu'il se passe sur le Web. A leur défense, il faut reconnaître que Internet ne connaît pas de frontières. Même si leur autorité est au Luxembourg, il suffit qu'un site soit ailleurs pour rendre toute poursuite quasiment impossible.

Patrick Vandewalle n'a pas d'avis tranché sur la question des centres d'appel. Il faut voir la pratique des choses. Ce que je crains s'il n'y a pas de centre d'appel, c'est le manque de transparence du processus s'il faut s'en remettre aux seuls fournisseurs, qui ont intérêt à régler ces problèmes discrètement, ne serait-ce que pour leur réputation. Un centre d'appel permettrait d'obtenir des données statistiques précises sur l'ampleur du phénomène, qui manquent cruellement, surtout au Luxembourg. Cela permettrait aussi d'établir des règles claires applicables à tous les fournisseurs. En Angleterre, l'IWF est financée par les ISP et est indépendante de l'Etat. C'est une bonne solution pour conserver des garde-fous.

A suivre...

Dans les mois à venir, les discussions quant à la protection des mineurs et au respect de la dignité humaine vont avancer. Gary Kneip: Pour ce qui est de l'autorégulation, les opérateurs ont bien compris qu'ils ont un rôle à jouer.  L'apport de l'Etat devrait se concentrer autour la fixation du cadre légal et de son respect, ajoute Patrick Vandewalle, par le biais des Ministères de la Justice et de l'Intérieur.

Pour Nic Nickels, il faut au préalable une relance du dossier entre l'ISPA et l'Etat pour mettre en place une stratégie de discussion commune et un tour de table des interlocuteurs concernés. Telle est la conclusion du Président de l'ISPA, sous forme d'ouverture.

Contrôle technique

"On ne peut trouver le seul salut dans la technologie", aux yeux de Gary Kneip. "Nous avons participé à un projet de recherche visant notamment à diminuer le retard de l'Europe en matière de technologie de reconnaissance automatique de contenu illicite. On peut en effet imaginer des outils qui scannent le Web pour les découvrir. Mais la contre-parade est immédiate. Il vaut mieux se concentrer sur un effort de sensibilisation au sujet, plutôt que d'essayer de bâtir des protections qu'un " petit futé " parviendra un jour ou l'autre à dépasser".

L'avis de l'ISPA n'est pas si éloigné : "Le marché va fournir un certain nombre de réponses. La discussion, l'information et la sensibilisation qui relèvent de l'lSPA seront plus faciles si l'on peut donner aux utilisateurs d'Internet un certain nombre d'outils qui peuvent déjà leur permettre de se protéger eux-mêmes. Je peux très bien imaginer que les fournisseurs d'accès proposent des filtres déjà implémentés dans leur système d'accès".

Faux espoir?

L'Internet Content Rating (www.icra.org), dont fait état Patrick Vandewalle, provient d'une démarche volontaire de l'éditeur du site. Il enregistre son site dans une base de données où il exprime clairement pour qui son site est accessible (tout public ou non), s'il contient de la violence, de la nudité,? Cette classification est reconnue par les principaux browsers. S'il est décidé par les parents de limiter l'accès à certains sites, le browser n'ira que sur les sites identifiés par la base de données. Le hic : par rapport au nombre total de sites à travers le monde, très peu font appel à ce genre de base de données. Les possibilités de surf sont donc fort limitées.