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Au fil du temps, les fonctions et les métiers inhérents à l’industrie des fonds se complexifient. Alors qu’ils étaient déjà nombreux, la vague de réglementations qui, suite à la crise financière, s’abat sur le secteur financier a pour effet d’en créer de nouveaux. « On a vu naître, récemment, plusieurs réglementations qui ont ou auront un impact sur l’industrie des fonds, explique Martin Vogel, CEO de MDO Services. Certaines directives, par exemple, demandent qu’une fonction de gestion des risques et une fonction permanente de compliance soient attachées à la gestion d’un fonds d’inves­tis­sement. Cela n’était pas concrètement formalisé par le passé, même si plusieurs de ces fonctions existaient naturellement. Ces réglementations obligent l’ensemble des acteurs à s’adapter, et ce n’est pas gratuit. »

Il n’y a pas que la vague de réglementations qui aujourd’hui met ses acteurs sous pression. La crise financière elle-même, en premier lieu, fait que nombre d’entre eux ont vu leurs marges se réduire. Les asset managers, sans doute, ont été les premiers exposés. « Les rémunérations liées à leur fonction au cœur de la chaîne de valeur étant amoindries, ce sont toutes les fonctions en aval comme les service providers qui sont à leur tour mis sous pression, explique Vincent Heymans, partner chez KPMG Luxembourg. La rentabilité est aujourd’hui plus dure à atteindre. À cela s’ajoutent les exigences et l’ensemble des coûts liés au volet réglementaire. » Ce constat établi, il faut s’adapter, changer pour continuer à fonctionner au cœur de cette industrie en mouvement. Une large partie du business model, viable avant la crise, est remise en question par les différents acteurs de la Place, qui envisagent un certain nombre de pistes. Des choix doivent être faits. Comment réaliser des économies d’échelle tout en répondant aux nouvelles exigences imposées ?
Rapidement se pose la question des services associés aux métiers de l’industrie des fonds. Est-il désormais plus intéressant d’externaliser une partie des fonctions présentes au cœur de la chaîne de valeur que de les assurer en interne ? Si l’on décide d’externaliser, comment le faire ? Avec qui ? Pour réaliser quelles économies ? « Les acteurs de l’industrie des fonds doivent désormais se demander ce qu’ils désirent continuer à faire eux-mêmes et ce qui semble judicieux de confier à des acteurs tiers, poursuit M. Heymans. C’est notamment le cas pour les nouvelles fonctions qui émergent avec les réglementations en cours d’implémentation. On peut citer, par exemple, la production de rapport de risk management, l’évaluation du risque, l’ensemble des procédures liées au Key Investor Information Document (KIID), la maintenance des prospectus ou les calculs fiscaux liés devant permettre un reporting compliant. On voit, au niveau des service providers ou dans des cabinets comme le nôtre, toute une série de nouvelles prestations à caractère intellectuel à haute valeur ajoutée se renforcer pour mieux répondre aux besoins de la Place. »

Remise en question

La question de l’externalisation des services dépend d’un facteur essentiel : le volume d’actifs sous gestion et donc les moyens dont on dispose pour gérer l’ensemble des fonctions. De manière générale, les fonds de petite et moyenne envergure ne disposent pas de la taille critique suffisante pour assumer l’ensemble des services en interne. Ils n’ont donc pas d’autre choix que de recourir à des soutiens extérieurs. « Aujourd’hui, la fragmentation de la chaîne de valeur exige des compétences toujours plus poussées pour des fonctions de plus en plus précises, ajoute M. Heymans. Il n’est pas simple de les développer en interne. Le recours à des prestataires extérieurs, spécialisés, doit permettre au fonds de profiter d’expertises particulières mutualisées tout en réalisant des économies d’échelle. »

Pour Martin Vogel, d’autres considérations sont à prendre en compte quand se pose la question de l’externalisation de certains services présents au cœur de l’industrie. « Il faut évaluer les coûts, étudier l’opportunité d’externaliser ou non ces services, explique le CEO de MDO Services. Tout dépendra, également, du volume d’actifs sous gestion. Un autre avantage de recourir à un prestataire tiers peut résider dans le fait de déléguer la responsabilité sur les services externalisés. »

Interlocuteur unique, économies d’échelle

Luxembourg est une place de choix pour la domiciliation des fonds en vue de leur distribution à travers l’Europe et le monde. Si la gestion des actifs se fait le plus souvent depuis d’autres places, on retrouve principalement au Grand-Duché l’ensemble des services opérationnels liés au bon fonctionnement de l’industrie.

La place financière luxembourgeoise peut donc, en elle-même, s’apparenter à une plate-forme d’externalisation de toute la partie opérationnelle liée à l’administration des fonds. « Un des enjeux, pour de nombreux acteurs comme nous, est de se positionner comme interlocuteur unique pour celui qui est intéressé par la domiciliation d’un fonds au Luxembourg, de pouvoir lui fournir toute la substance nécessaire pour mener à bien son projet, précise M. Vogel. Au Luxembourg, toutes les compétences sont là pour servir au mieux ce type de demande. Nous sommes le relais entre la banque dépositaire, l’administration centrale, les cabinets d’avocats et l’ensemble des services nécessaires à l’administration d’un fonds au Luxembourg. » Venant de l’étranger, la plupart des gestionnaires de fonds qui désirent domicilier leur véhicule au Luxembourg ont besoin d’une expertise locale, et d’un interlocuteur à même de comprendre leurs attentes, leur fonctionnement, de les guider à travers l’ensemble des rouages de l’industrie des fonds et de la réglementation en vigueur.

Le choix de confier l’organisation de l’ensemble de l’administration du fonds au Luxembourg à un interlocuteur unique ou à plusieurs prestataires de manière indépendante dépendra aussi de la taille du fonds, des habitudes du gestionnaire. « Certains, en effet, ont l’habitude de travailler avec des acteurs présents à Luxembourg et avec lesquels ils travaillent déjà dans d’autres pays, ajoute Martin Vogel. D’autres, plus petits le plus souvent, ne veulent pas se préoccuper des détails et donc sont heureux de pouvoir s’appuyer sur un interlocuteur unique. »

On notera toutefois que, sur les coûts liés à la gestion globale d’un fonds, l’activité opérationnelle menée au Luxembourg n’est pas celle qui génère le plus de marge. Si ces coûts peuvent représenter 2 % des actifs sous gestion, au cœur de la chaîne de valeur, l’administration pure ne représenterait qu’entre 0,2 et 0,3 % des coûts. La gestion effective, la distribution ou la promotion se partagent la grosse part du gâteau. « Si le business au Luxembourg donne beaucoup de travail, ce n’est pas celui qui permet de dégager le plus de marges, explique Martin Vogel. Cela ne doit toutefois pas empêcher les acteurs d’envisager de réaliser des écono­mies d’échelle, en passant par une meilleure automatisation des systèmes, une standardisation optimale. Face aux coûts générés par la pression réglementaire, l’autre tendance est de sous-traiter une partie des opérations vers des pays où elles pourront être réalisées à moindres coûts. » Ainsi, de nombreux acteurs ont pratiqué le offshoring sur une partie de leurs opérations pour se concentrer, au Luxembourg, sur le développement de nouveaux services à haute valeur ajoutée.

« On constate, par ailleurs, qu’il y a encore un gros potentiel d’optimisation des processus et des économies d’échelle à réaliser. Sur la partie software, par exemple. Aujourd’hui, chaque acteur a tendance à faire évoluer ses systèmes de manière indépendante, plutôt que de se fédérer pour les faire évoluer ensemble, précise Vincent Koller (KPMG). Enfin, il y a des nouveaux challenges à relever. Dans la mesure où l’on confie toute une partie du traitement des informations à des prestataires extérieurs, il leur appartient de les valoriser de la meilleure manière et ainsi pouvoir proposer de nouveaux services à valeur ajoutée sur lesquels pourront s’appuyer leurs clients. »

Selon l’usage

D’autres alternatives s’offrent à ceux qui ne désirent pas externaliser les services et qui souhaitent garder la maîtrise sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Aujourd’hui, l’évolution technologique permet de profiter de solutions adaptées au besoin de chacun, modulables en fonction de services que l’on souhaite continuer à gérer soi-même. « Aujour­d’hui, avec des solutions basées sur un modèle ‘ software as a service ’, les acteurs de l’industrie des fonds peuvent disposer de solutions intégrées, répondant à leurs besoins et ne payer qu’en fonction de l’utilisation qu’ils en ont », explique Ronald Kusch, directeur de Diamos Luxembourg, qui édite une solution informatique de ce type.

Dès lors, lesdits acteurs peuvent réaliser des économies d’échelle tout en gardant la maîtrise de l’ensemble des métiers. Ces solutions sont modulables et permettent de répondre à l’ensemble des services au sein de la chaîne de valeur. Ce modèle leur permet de réaliser des économies et de préserver leur rentabilité. Les coûts liés aux évolutions de la solution, exigées par exemple par de nouvelles réglementations, sont dès lors mutualisés et les développements sont pris en charge par le service provider. « Développer ou acquérir des solutions en interne, si l’on ne dispose pas de la taille critique suf­fisante, ne fait pas forcément de sens, poursuit M. Kusch. Aujourd’hui, un certain nombre d’acteurs souhaitent garder la maîtrise sur l’ensemble des services, conserver en interne des compétences clés pour fournir un service optimal à leurs clients. Mais il est parfois difficile d’assumer des charges trop importantes liées à l’évolution ou à la gestion des solutions. » Ce genre de modèle se présente donc comme une alternative à envisager. Mais, au-delà du logiciel, encore faut-il avoir les compétences métiers en interne pour assurer ces fonctions.

 


Flexibilité - Mieux anticiper les changements

Une des difficultés auxquelles doivent faire face les acteurs de l’industrie des fonds réside dans la succession de nouvelles réglementations. Chacune d’elles, en effet, exige un lot d’adaptation à réaliser. Cela a un coût considérable. « Dans ce contexte, il faut éviter de prendre des décisions ou de procéder à des adaptations si c’est pour tout devoir défaire quelques mois plus tard », explique Vincent Heymans (KPMG). Prendre chacune des réglementations au moment où elle s’impose n’est pas forcément une stratégie payante. « Les acteurs de l’industrie des fonds ont de plus en plus besoin d’une vue globale sur la chaîne de valeur, sur la manière dont elle est impactée par les changements. Mais ils doivent aussi se tenir informés sur les réglementations en préparation, sur ce qui est discuté, poursuit-il. Il faut pouvoir envisager ces changements tout en préservant une certaine flexibilité. »
Les acteurs ont ainsi tout intérêt à se fédérer, pour envisager les meilleures stratégies à adopter pour envisager le changement, pour faire évoluer des systèmes, des standards. Mais aussi, sans doute, pour mieux identifier les opportunités qu’il peut y avoir derrière chaque nouvelle réglementation.