Mike Koedinger, fondateur et CEO de Maison Moderne (Photo: Maison Moderne)

Mike Koedinger, fondateur et CEO de Maison Moderne (Photo: Maison Moderne)

Comme s’il fallait se dépêcher, le gouvernement de Xavier Bettel signe la nouvelle concession de CLT-UFA quelques semaines avant le débat public sur les médias au Parlement. Faire subventionner une télévision commerciale et privée par une aide publique annuelle jusqu’à 10 millions d’euros pourrait être le dernier «coup» d’Alain Berwick, l’ex-CEO de RTL au Luxembourg, qui prendra sa retraite cet été.

Juste après sont sortis les chiffres de la répartition de l’aide directe de l’État à la presse écrite imprimée pour 2016. D’un montant total de 7,4 millions d’euros, elle est encore une fois distribuée à 75% à deux entreprises médias (groupe Saint-Paul et Editpress), alors que cette loi pensée par le gouvernement de Gaston Thorn dans les années 1970 a(vait) pour objectif de «maintenir la diversité dans la presse d’opinion luxembourgeoise».

En décembre 2016, le conseil de gouvernement a voté une nouvelle aide destinée, cette fois-ci, à la presse en ligne. Si c’est un bon début, cela reste encore une très timide avancée.

Explications: alors qu’un titre de presse en ligne ne touche qu’un forfait de 100.000 euros par an, le deuxième quotidien payant du pays, le Tageblatt, bénéficie à lui seul d’une aide annuelle de 1,7 million d’euros. Deux poids, deux mesures?

Et si le débat public sur les médias au Parlement était enfin le moment pour relancer le débat sur une réforme de l’aide de l’État à la presse?

Voici huit recommandations d’un éditeur indépendant pour favoriser le pluralisme et le journalisme de qualité dans la presse luxembourgeoise.

1. Considérer la presse digitale au même titre que la presse imprimée
Appliquer les mêmes critères d’éligibilité (p.ex., disposer d’une rédaction d’au moins cinq journalistes plein temps) d’un côté, et accorder la même aide (tant sur la partie fixe que variable) de l’autre.

2. Plafonner l’aide par marque média
Davantage de contenu ne veut pas automatiquement dire davantage d’opinions. Il faut plafonner le volume de contenu éligible par titre.

3. Établir un dégressif des aides pour les groupes médias
Multiplier les marques médias au sein d’un même groupe n’apporte pas de la diversité d’opinions. Il faut arrêter de l’encourager par une multiplication des aides publiques et appliquer un taux dégressif: 100% des aides pour le premier titre, 90% pour le deuxième, 80% pour le troisième… jusqu’à 30% des aides à partir du septième titre.

4. Limiter la partie variable de l’aide aux strictes pages rédactionnelles
Limiter l’aide publique aux strictes pages rédactionnelles en excluant programmes TV et cinéma, horoscopes, mots croisés, histoires drôles, etc. L’aide de l’État doit se limiter à la création d’un vrai contenu journalistique.

5. Augmenter la partie fixe de l’aide
Pour soutenir les petits éditeurs de la presse quotidienne et hebdomadaire, garants du pluralisme, il faut augmenter la partie fixe (p.ex., de 30 à 50% du montant annuel de référence).

6. Retirer le critère limitant le modèle économique du titre
Tout comme les modes de consommation de l’information, le modèle économique des médias a aussi évolué depuis 1976. Aujourd’hui, il nous semble indispensable de considérer la presse non payante au même titre que la presse payante – à l’exception des titres édités pour le compte de tiers.

7. S’adapter aux nouveaux modes de consommation, rendre les mensuels éligibles
La presse en ligne pour l’information en continu, la presse imprimée pour l’analyse. Avec des modes de lecture qui évoluent, les périodicités de la presse évoluent aussi. La presse imprimée sera davantage une presse du week-end.

8. Exiger la transparence financière des entreprises médias subventionnées
Connaître les intérêts des actionnaires, c’est mieux comprendre les médias. Les entreprises médias subventionnées devraient publier, annuellement, un ensemble de données des actionnaires et bénéficiaires économiques finaux, des résultats consolidés du groupe, de l’activité presse, et un organigramme reprenant l’ensemble des entreprises liées au groupe.

L’État investit, chaque année, environ 40 millions d’euros* dans le paysage médiatique luxembourgeois. Autant mettre cet investissement au service de la diversité dans la presse et d’un journalisme indépendant et de qualité.

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* Le gouvernement ne communique pas le montant exact. Les 40 millions correspondent à une addition rapide de l’aide directe de l’État à la presse écrite imprimée, l’aide indirecte de l’État à la presse (que l’État paie directement à la Poste en compensation d’un tarif avantageux accordé à la presse pour la distribution des titres aux abonnés), l’aide pour la presse en ligne, le budget de la radio 100,7, la publication des avis officiels dans la presse écrite, les investissements publicitaires des différents ministères, la subvention accordée au BCE (filiale de CLT-UFA), la valorisation des fréquences internationales accordées sans paiement à CLT-UFA, et enfin la subvention de RTL Télé Lëtzebuerg.