José Vega, ici à droite avec Stephan Böhmig (Wordbee) (Photo: Olivier Minaire/archives)

José Vega, ici à droite avec Stephan Böhmig (Wordbee) (Photo: Olivier Minaire/archives)

Le 1er mars, Wordbee recevait au CeBIT le «European Seal of e-excellence 2011» dans la catégorie technologie du langage. Cette récompense décernée lors d’un des plus prestigieux salons pro­-­fes­sionnels de technologie offre un éclairage pro­vi­dentiel sur une start-up dont le business object n’est pas des plus courants.

La jeune pousse édite un logiciel générant en ligne un environnement d’aide à la traduction. Mais pas grand-chose à voir avec des outils tels que Google Translate. Alors que ce dernier programme fonctionne selon des règles linguistiques et syntaxiques, Wordbee se base sur la technologie des mémoires de traduction, c’est-à-dire une base de données regroupant les textes traduits précédemment, pour «davantage de fiabilité», selon José Vega, cofondateur de la start-up.

En fait, l’entrepreneur préfère lui souligner la complémentarité des services fournis dans le package, avec «une panoplie d’outils permettant d’amél­iorer la productivité des traducteurs et des gestion­naires de projets de traduction», et donc une meilleure gestion des coûts pour les sociétés clients.
Les parties prenantes aux projets ont ainsi à leur disposition un logiciel comprenant un assistant de gestion de projet et des technologies linguistiques comme des glossaires, un historique des documents traduits ainsi qu’un générateur de traduction.

Wordbee est née au contact des institutions européennes, de l’idée de développer une application disponible sur Internet pour permettre à des traducteurs externes d’accéder à une plate-forme centralisée de gestion de bases de données en mode collaboratif. Aucun projet avec les communautés ne s’est jamais concrétisé, mais le modèle d’affaires était là. Entre 2007 et 2009, José Vega et un ingénieur autrichien, Stephan Böhmig, ont souhaité tirer parti des évolutions technologiques liées à la démocratisation d’Internet haut débit et à l’émergence du web 2.0 pour développer leur prototype de plate-forme.

The place to bee

Le lieu d’implantation de la société s’est imposé naturellement. Plus que les dispositions légales favorisant la recherche, le multilinguisme, la mise à disposition du Technoport ou les connexions avec les réseaux d’affaires, les deux entrepreneurs ont choisi le Grand-Duché, parce qu’ils y exerçaient déjà. «Je suis resté au Luxembourg, parce que ça me plaît», résume simplement José Vega.

Il y était arrivé en 1997 afin de conduire des projets liés à la linguistique. Il y a même déjà dirigé deux sociétés du même type que Wordbee: Lucid’i.t. et My-xML. La première a, entre-temps, disparu. Faut-il y voir le signe d’une instabilité du secteur? Peut-être. Si les difficultés à trouver des financements après l’éclatement de la bulle Internet constituent un facteur explicatif, le marché de la traduction assistée par ordinateur est surtout éminemment concurrentiel. La société allemande Trados fait figure de championne et les logiciels Déjà vu, Wordfisher, Wordfast, Araya ou Across, pour ne citer qu’eux, la suivent; mais pas en SaaS (Software as a Service) ou en cloud computing! Seules XTM International, Lingotech, Welocalize et Wordbee se partagent ce segment.

Alors, pour sa troisième année d’activité, la start-up eschoise a identifié l’urgence: consolider sa position sur ce marché déjà bien occupé en surfant sur la vague de la reconnaissance obtenue au CeBIT. «L’impact de la récompense est significatif, selon José Vega. Nous sommes entrés en contact avec de nombreux prospects et clients.» Le premier avait été le ministère de l’Economie et du Commerce extérieur.

Aujourd’hui, outre les administrations, le portefeuille clients est composé d’institutions financières, d’agences de traduction ou de sociétés de toutes tailles réparties sur les continents européen et américain. Stephan Böhmig souffle les ingrédients de ce qu’il considère déjà être une réussite: «Il n’y a pas de secret: beaucoup de travail et une équipe très forte techniquement.» José Vega, lui, laisse percevoir quelques limites au positionnement stratégique. «Notre produit n’est pas vertical dans le sens où il n’est pas dédié à une industrie bien précise. Cependant, il n’est pas non plus impos­sible que l’on soit contacté par des entreprises définissant un certain type d’exigence, visant notamment à créer des modules verticaux.»

Le SaaS privilégié

Oui, mais voilà. Si le logiciel peut être commercialisé sous deux formes, via le modèle SaaS ou via une licence perpétuelle installée chez le client, la société privilégie en fait la distribution du programme par le premier biais. L’entrepreneur explique. «Pour l’instant, l’installation de ce type de produits chez nos clients n’est pas à l’ordre du jour. Nous avons récemment été contactés depuis l’Inde par une société qui souhaitait acquérir un module de Wordbee. Mais s’ils font leur calcul, il sera plus intéressant pour eux d’utiliser le SaaS.»

L’entrepreneur fait-il preuve d’altruisme en conseillant à son client un contrat moins onéreux ou est-ce le choix de la prudence? La direction ne semble effectivement pas prête à investir dans le recrutement de staff supplémentaire pour procéder à l’installation sur site, qui plus est à l’autre bout du monde. «Nous dissuadons le client d’opter pour cette stratégie.»

Visé pour 2012, le seuil de rentabilité sera, le cas échéant, atteint avec l’équipe actuelle composée de neuf employés. Des ingénieurs travaillent au développement de nouveaux modules, «dans cette phase importante, précise M. Vega, durant laquelle Wordbee doit rester à la pointe de la technologie et ainsi maintenir sa compétitivité». A l’ordre du jour, une mutualisation de la base de données et des différents environnements de travail pour rapprocher les sociétés et leurs filiales sur les projets qui les lient. Il s’agit d’une demande émanant de la place luxembourgeoise, rapportée par les commerciaux qui ont également pour mission de positionner le business au plus près des besoins. La start-up envisage aussi de créer une interface de marché où la demande de traduction rencontrera l’offre. Il s’agirait, selon Stephan Böhmig, «de mettre en place un réseau de professionnels de la traduction pour mieux partager les ressources humaines et linguistiques». La start-up franchirait là un palier dont l’échéance est fixée à 2012 ou 2013.

 

CV - Langues et langage

A 58 ans, José Vega a déjà derrière lui 30 années d’expérience sur le marché des technologies des langues. Après avoir suivi une formation de linguiste à Paris VII et Paris VIII, il a tout de suite embrayé dans le secteur en tant que consultant ou créateur d’entreprises. A la fin des années 1970, il avait déjà donné naissance à ERLI, «la première société privée d’ingénierie linguistique, un peu l’ancêtre», confie-t-il. Lucid’i.t. ou my-xML ont suivi et connu des fortunes diverses, mais la dernière-née est Wordbee, enfantée avec Stephan Böhmig. Le cofondateur, Autrichien de 44 ans, assure lui le développement du langage informatique. Titulaire d’un doctorat en computer science,il a auparavant occupé d’autres fonctions de direction au sein de sociétés comme Foreignword, ou en tant que consultant, aujourd’hui encore au sein d’Avantiq, moteur de recherche sur les marques.