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Le cadre législatif du secteur des assurances est en perpétuelle mutation. Autorité de contrôle et assureurs doivent vivre avec, en ayant comme seul objectif celui d'atteindre un niveau d'excellence pour le marché.

Ceux qui auraient des doutes sur le caractère particulièrement réglementé du secteur des assurances -en particulier chez certains de nos pays voisins- n'ont qu'à jeter un oeil sur l'activité législative et réglementaire de ces derniers temps pour être convaincus du contraire...

Outre les circulaires régulièrement émises par le Commissariat aux Assurances permettant une interprétation optimale des textes existants, le cadre législatif s"est enrichi, dernièrement, de la loi du 11 mars 2004 relative à l'assainissement et la liquidation des entreprises d'assurances, de celle du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme et, enfin, celle du 13 juillet 2005 sur l'intermédiation en assurance.

Trois textes auxquels il faut ajouter le Règlement grand-ducal du 23 mai 2005 relatif aux fonds de pension soumis au contrôle prudentiel du Commissariat aux Assurances. Et les récentes adoptions, des directives européennes RC Auto et Réassurance ne vont pas manquer d'alimenter, ces prochains mois, l'actualité législative du pays.

Dans ce contexte, André Bredimus, président de l'Association des Compagnies d'Assurances (ACA) évoquait, dans le rapport annuel 2004, un "raz-de-marée réglementaire" dont les assureurs n'ont jamais cessé de se plaindre, craignant un risque de "sur-réglementation', "et ce d'autant plus que le Luxembourg choisit régulièrement, pour des raisons politiques, de mettre en place un niveau de réglementation plus contraignant que ce qu'exigent les directives européennes", écrivait-il dans son éditorial.

Un point de vue que ne partage pas forcément Victor Rod, directeur du Commissariat aux Assurances. "Dans le cadre des options de transpositions de directives européennes, il est toujours possible d'aller un peu plus loin que le texte communautaire. Mais la volonté politique au Luxembourg est de se contenter de transposer les directives telles quelles, sans en rajouter: la directive, rien que la directive. Il est vrai que dans le cas du blanchiment, le législateur avait voulu, initialement, aller plus loin. Mais il a rapidement été rappelé à l'ordre", rappelle-t-il.

à ses yeux, le volume des réglementations communautaires n'augmente pas nécessairement. Il y a actuellement une trentaine de directives qui régissent le secteur des assurances et de la réassurance. "C"est vrai qu'il y a des travaux en cours pour affermir encore le droit communautaire, mais ce n'est pas nouveau. Nos entreprises sont donc habituées, depuis longtemps, à cette tendance. Cela n'empêche pas leur mise en oeuvre de s"avérer, dans certains cas, laborieuse, surtout pour les entreprises de petite taille".

Exigences variables

Le Commissariat, lui aussi, s"adapte à cette situation, et cela se traduit, notamment, par une exigence accrue en matière de demande d'informations auprès des entreprises d'assurances et de réassurances agréées. Il est par exemple demandé, annuellement, aux assureurs vie, l'envoi d'un rapport d'actuaire et une prochaine nouvelle circulaire devrait élargir cette exigence aux assureurs non-vie également. "Il s"agit ni plus ni moins d'un standard international qui est de plus en plus nécessaire. Beaucoup le font déjà et il ne s"agira que de généraliser une pratique déjà très développée", se défend Victor Rod.

Dans le cadre de ses procédures de contrôle (examen des dossiers d'agrément, contrôles à distance, sur base de formulaires et de questionnaires envoyés aux entreprises sur base trimestrielle et, enfin, contrôles sur place), le Commissariat est, lui aussi, appelé à demander un certain nombre d'informations détaillées sur les activités de ses ouailles. Mais l'idée n'est pas d'inonder les opérateurs avec un flot ininterrompu de documents administratifs. "à chaque fois que mes services proposent un nouveau formulaire ou bien un ajout de demande de renseignements, nous nous posons systématiquement deux questions. D"abord, est-ce que nous sommes obligés de demander ces nouveaux renseignements? Et si oui, est-ce bien utile? Les rapports demandés aujourd'hui sont nettement plus étoffés qu'il y a 10 ou 15 ans: ils représentent une cinquantaine de pages. Mais les banquiers, à titre indicatif, en demandent beaucoup plus".

En France, si les documents demandés ne sont pas forcément plus volumineux, en Belgique, par exemple, les autorités de contrôle travaillent actuellement sur un rapport qui ferait plus de 500 pages... La réglementation a beau être harmonisée en la matière, les exigences sont pour le moins variables d'un pays à l'autre...

Victor Rod est conscient de la nécessité de trouver le meilleur équilibre entre les obligations législatives ou réglementaires et la façon de les remplir. "Il ne s"agit pas de faire de la bureaucratie pour de la bureaucratie. Une entreprise d'assurance, c'est d'abord une entreprise commerciale, qui doit maîtriser ses frais généraux. Or, une augmentation des frais généraux des entreprises d'assurance ne doit pas être la conséquence d'une augmentation des tâches bureaucratiques".

L'un des dangers est que, selon lui, les plus grosses entreprises ou groupes internationaux ont tendance à vouloir dicter un peu leur loi dans les organes communautaires. "Or, il faut bien avoir à l'esprit que les petites ou moyennes entreprises ne sont pas l'apanage des petits pays", prévient M. Rod, qui refuse la vision réductrice "petit pays = petites entreprises". "Il existe beaucoup de petites entreprises en France ou en Allemagne qui sont plus petites que les entreprises que nous avons ici au Luxembourg", rappelle-t-il.

Entre l'autorité de contrôle et les entreprises du secteur, les relations sont plutôt à considérer comme cordiales et efficaces. La taille réduite du marché favorise la bonne connaissance des acteurs entre eux et raccourcit les circuits de communication. Professionnalisme et confiance mutuelle sont les deux piliers qui soutiennent les relations entre le Commissariat aux Assurances et les compagnies d'assurances, même s"il est inévitable qu'entre une institution de contrôle prudentiel et un lobby professionnel tel que peut l'être l'ACA, par exemple, certaines frictions puissent se faire jour. "En règle générale, ces points divergents sont discutés, argumentés et la solution prise finalement rencontre, normalement, la satisfaction des deux parties. Il y a toujours recherche de consensus. Chacun doit assumer son rôle, mais a priori il y a toujours un but commun: le développement d'un secteur d'assurance compétitif, mais aussi financièrement sain', explique, Marc Lauer, l'actuel chief operating officer chez Le Foyer Assurances, qui connaît d'autant plus le sujet qu'il fut pendant 10 ans, jusqu'au printemps dernier, membre du comité de direction du Commissariat aux Assurances auprès duquel il était employé depuis septembre 1989.

Du reste, le Commissariat a pris l'habitude d'appliquer les nouvelles règles prudentielles et autres dispositions législatives, non pas en rédigeant le texte dans le secret de ses bureaux avant de l'imposer au marché, mais en organisant, dès le début des réflexions, des comités composés d'experts publics et privés qui discutent sur la mise en place de ces nouvelles dispositions.

Solvency II en ligne de mire

Sur "le terrain', les entreprises d'assurances, elles, doivent faire avec tout cela. Elles n'ont de toute façon guère le choix, mais reconnaissent volontiers le bien-fondé de la situation. "Le poids de la législation luxembourgeoise n'a rien de contre-productif, estime ainsi Patrick Schols, managing director de Swiss Life au Luxembourg, leader du marché local en assurance collective. L'évolution de ces dernières années est très positive à tous les niveaux et Luxembourg est, aujourd'hui, davantage reconnu pour son professionnalisme à l'international. Ces compétences portent leurs fruits, car personne n'a évidemment d'intérêt à attirer des capitaux douteux".

L'expérience propre à chaque entreprise d'assurance n'est évidemment pas transposable d'un opérateur à l'autre. Pour le groupe Le Foyer Assurances, par exemple, le contexte est déjà fort rigoureux compte tenu de la cotation de ses actions en Bourse de Luxembourg, depuis juillet 2000, ce qui le soumet, déjà à toute une série d'obligations légales vis-à-vis des autorités de contrôle. "La contrainte de la surveillance prudentielle du secteur de l'assurance n'est donc pas un poids pour nous, commente Marc Lauer (Le Foyer Assurances). En comparant notre législation d'assurance avec celles qui existent dans d'autres pays, notre cadre réglementaire est peut-être beaucoup plus détaillé qu'il y a 20 ans, mais nous continuons à bénéficier ici d'une certaine flexibilité qui n'existe pas forcément ailleurs".

L'appartenance de nombreuses sociétés d'assurances à des grands groupes internationaux, pour certains également cotés en Bourse, modifie évidemment la donne quant à l'approche à adopter en matière de compliance, sur la base de règles généralement très poussées, imposées par les maisons mères et répercutées sur l'ensemble du réseau de filiales et de succursales. "Du coup, on observe parfois des petites compagnies qui ont une démarche plus stricte en matière de compliance que des sociétés plus importantes au niveau national', constate André Bredimus, administrateur et directeur général de Bâloise Assurances Luxembourg.

Lourdeurs administratives

Au sein de cette société, qui emploie plus de 120 personnes au Luxembourg (le groupe en emploie 8.000 au niveau mondial), la sécurité de l'informatique et la compliance font l'objet de procédures et règles d'une centaine de pages, sous contrôle d'un audit semestriel. Objectif: être évidemment en parfaite conformité avec les exigences à la fois législatives et corporate mais aussi préparer le terrain dans la perspective de la mise en oeuvre des règles dites de "Solvency II" qui sont, pour la gestion interne des risques des compagnies d'assurances, ce que "Bâle II" est pour les banques.

L'un des sujets qui a le plus préoccupé tous les opérateurs depuis bientôt un an, c'est évidemment la nouvelle législation "anti-blanchiment", qui a parfois nécessité quelques bouleversements notables dans l'organisation interne et les procédures, même si bon nombre d'entreprises n'ont évidemment pas attendu que la directive européenne soit transposée en droit national pour agir dans le bon sens. "Nous avons toujours été très sensibles au sujet et cela constitue notre priorité numéro un au niveau du comité de direction, explique ainsi Pierre Dubru, actuaire, director local markets chez Swiss Life. Le responsable compliance de la société a développé, en interne, de nouvelles procédures très pointues.

"Le document relatif aux renseignements sur l'origine des fonds s"est étoffé de façon significative au cours de ces dernières années", précise Patrick Schols, qui ne cache pas que la difficulté suivante a été de "vendre" ces procédures auprès des courtiers, des banques, des apporteurs d'affaires. "Le document produit est une synthèse des avis de chacun. Cela a permis de faire passer les choses plus facilement, ajoute-t-il. Par ailleurs, nous avons la chance d'avoir un responsable compliance qui est capable de prendre des positions ne bloquant pas le business. La concertation prévaut toujours".

Entre les obligations en matière de blanchiment et celles imposées par la loi du 8 juin 1999 relative aux régimes complémentaires de pension, 40% du temps administratif est consacré à la seule action de remplir les dossiers. "Oui, cela peut freiner la mise en place d'un nouveau contrat, constate M. Schols. Il s"agit aussi d'une question d'habitude par rapport aux clients, car il faut savoir l'aborder au bon moment pour lui demander certaines pièces précises. Ce n'est pas au premier rendez-vous qu'on lui demandera un spécimen de sa signature...".

Une confiance à renforcer

Chronologiquement, Swiss Life a, en premier lieu, rédigé les procédures pour l'assurance de groupe à l'international, qui est plus sensible qu'au niveau local. Les activités d'assurfinance (les contrats d'assurance-vie liés à des fonds d'investissement) ont, ensuite, demandé la mise en oeuvre de procédures plus complexes et plus détaillées. "Contrairement à ce que nous avons pensé, pour ce qui est de l'assurance de groupe internationale, nous n'avons pas rencontré de résistance particulière de la part de nos clients", remarque M. Dubru.

La nécessité absolue d'un traitement irréprochable en matière de lutte contre le blanchiment, que ce soit par les lois en vigueur ou par les procédures mises en place, n'échappe évidemment à personne, à condition de ne pas se tromper de cible. "La lutte contre le blanchiment d'argent est un objectif auquel les entreprises souscrivent pleinement et pour lequel elles sont volontiers disposées à consacrer les moyens requis. Cependant, il faut savoir que les dispositions légales en la matière ne peuvent constituer pour les entreprises qu'une obligation de moyens, mais jamais une obligation de résultats, et que les moyens à mettre en oeuvre doivent toujours rester dans une proportion adéquate par rapport au résultat recherché, prévient Marc Lauer (Le Foyer Assurances). Nous devons évidemment faire du mieux possible et mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour combattre efficacement toute tentative de fraude, mais il faut aussi savoir qu'à un certain moment, nos entreprises restent des entreprises commerciales, qui doivent d'abord gagner de l'argent".

Ces lourdeurs administratives imposées par cette lutte contre "l'argent sale" ne sont évidemment pas sans impact sur la dynamique commerciale des entreprises. Et André Bredimus (Bâloise Assurances) n'a pas manqué de remarquer, ces dernières années, un renversement complet dans l'approche du métier. "Par le passé, on était surtout focalisé sur les produits, la clientèle, les marchés. Nous sommes ensuite passés par une période où, clairement, nous avons dû en grande partie nous concentrer sur l'organisation interne. Cela a fait du bien, non seulement aux compagnies, mais aussi aux consommateurs, qui peuvent avoir la garantie d'être, aujourd'hui, en face d'interlocuteurs qui ont une grande considération de leurs intérêts, car ils sont mieux organisés déontologiquement et professionnellement. Pour nous, cette phase est clôturée et nous sommes à nouveau concentrés sur le consommateur. Ce qui n'empêche pas de travailler sur des projets internes qui vont plus loin dans la connaissance du client, afin de faire la part des choses entre les clients que nous désirons avoir et qui nous donnent satisfaction et ceux qui ne sont pas tellement désirés. Le terme "le client est roi" doit être revu autrement. Certains oui, mais pas tout le monde et le but est évidemment de connaître ceux qu'on veut traiter comme des rois...".

L'un des impacts majeurs, en terme d'organisation, concerne les systèmes informatiques, qu'il faut adapter aux nouvelles exigences et contraintes. Les contrôles des black lists, régulièrement mises à jour et éditées par les autorités de surveillance, aussi bien sur le plan national (Commissariat aux Assurances) qu'international (comme avec l'OFAC, l'Office of Foreign Assets Control), nécessitent, par exemple, des développements spécifiques qui sont loin d'être gratuits. Une telle solution informatique peut en effet nécessiter des investissements très importants, non seulement pour son implémentation mais également pour sa maintenance, c'est-à-dire lors de la seule vérification des noms figurant sur cette liste noire.

Le challenge consiste alors à supporter ces coûts sans que le client final n'en pâtisse. "Une autre conséquence est que, chez nous, certains autres développements informatiques ont été repoussés, indique Patrick Schols (Swiss Life). Ainsi, nous avons par exemple un grand projet d'archivage électronique que nous avons décalé de six mois supplémentaires, le temps d'être au point sur la question du blanchiment. C"est évidemment contraignant, mais on assume, car il est primordial de pouvoir garder une image intacte et de rendre nul le risque potentiel de détenir de l'argent qui ne serait pas net".

La mise en place des dispositions relatives à la nouvelle loi sur l'intermédiation, parue en juillet dernier, constitue le dernier grand chantier législatif majeur, en attendant, ensuite, que soient publiés les projets de loi transposant les récentes directives européennes sur la réassurance et la RC auto. De quoi laisser le temps aux compagnies d'assurance de digérer le copieux repas auxquels elles ont eu droit ces derniers temps et de mettre à profit les restructurations internes qu'elles ont menées pour se bâtir un nouvel avenir.

Un contrat d'assurance n'est, finalement, rien d'autre qu'un morceau de papier derrière lequel se bâtit, presque exclusivement, une relation de confiance. Aux assureurs de montrer que derrière toute cette infrastructure mise en place et cette législation imposée, la confiance qu'ils attendent des clients est méritée et justifiée et qu'elle est recevable à chaque étape d'un contrat. Et ce n'est certainement pas le marché qui s"en plaindra. "Du point de vue éthique, déontologique, contrôle des opérations, nous sommes passés au cours des dernières années, à un niveau supérieur de professionnalisme que nous n'avions pas auparavant, ni ici, ni dans d'autres pays", conclut André Bredimus.