Il est étonnant que la recherche académique ne se soit pas intéressée à la structure de l’industrie de l’asset management. En tout cas, il se pose des questions intéressantes, notamment en termes d’asymétries d’information entre les différents acteurs de cette industrie. L’analyse micro-économique des structures financières permet éventuellement d’avoir un regard différent sur des problématiques de finance, telle que l’efficience du marché. Par exemple, la distribution et l’administration d’un fonds sont plus coûteuses que la gestion des actifs. Selon le regard que l’on porte sur la structure industrielle, l’analyse quant à la qualité des gestionnaires change. En effet, si le degré de concurrence est faible, le pouvoir de marché des entreprises assurant la distribution et l’administration des fonds pourrait être tel qu’elles pourraient s’accaparer la surperformance. Comprendre la structure industrielle permet aussi de détecter les niches stratégiques, ce qui est d’une importance primordiale pour le Luxembourg.
L’industrie dite de l’asset management, revêt, bien sûr, un intérêt primordial pour le Luxembourg. En effet, le pays est une place financière de renommée internationale et occupe le deuxième rang mondial en termes d’enregistrement de fonds d’investissement. Ceci est dû, en grande partie, à la rapidité de transposition des directives européennes et à l’influence du Luxembourg sur la scène européenne. Notons, à cet égard, que deux Luxembourgeois sont à la tête d’instances influençant directement les réglementations européennes: Jean-Claude Juncker est président de l’Eurogroupe et Claude Kremer est président de l’Efama (European Fund and Asset Management Association).
Par ailleurs, début juin, le Luxembourg a été le premier et seul pays à avoir transposé la nouvelle directive européenne Ucits IV (dénomination de la Commission européenne pour des fonds standards par opposition à des fonds dits alternatifs).
Cependant, ce que nous voulons souligner ici, c’est le manque de recherche au sujet de ce que nous appelons l’architecture de l’industrie de l’asset management, voire de l’architecture de l’industrie financière tout simplement. Afin de bien comprendre l’objet d’étude, un détour par une description de cette industrie n’est pas sans intérêt.
Un fonds d’investissement est une entité qui détient juridiquement les actifs financiers. Ce fonds est supervisé par un conseil d’administration, qui est censé veiller aux intérêts des investisseurs et superviser les relations contractuelles avec ce l’on appelle les service providers, c’est-à-dire les structures qui fournissent leurs services aux fonds d’investissement. A noter, ici, que la société de gestion du fonds est une entité légale différente du fonds.
Mais, il existe d’autres service providers. Ainsi, la banque dépositaire veille aux actifs et vérifie, en principe, leur «bonne gestion». Le distributeur du fonds, en général une banque, organise la distribution du fonds aux institutions et particuliers. Enfin, l’administration et la comptabilisation des fonds déterminent la valeur nette d’inventaire et traitent les transactions avec les investisseurs.
Différents business models peuvent exister. Une étude d’Oxera en dénombre six. Il y a tout d’abord les sociétés d’asset management, qui appartiennent à des grands groupes bancaires ou financiers. A cet égard, soulignons que ce modèle est prépondérant en Europe, mais moins aux Etats-Unis. Souvent, ces sociétés intègrent, mis à part la distribution, tous les services mentionnés ci-dessus à l’intérieur de la structure. La distribution se fait à travers les filiales de la banque qui détient la société d’asset management.
Les banques privées, quant à elles, intègrent aussi une grande partie des services dans leurs structures, mais la distribution se fait à travers les canaux de distribution dénommés à «architecture ouverte», c’est-à-dire via des institutions financières vendant des fonds de tiers.
Il y a un autre type de modèle, c’est celui des asset managers indépendants et des «boutiques». Ils sont actifs surtout dans les activités formant le noyau de l’asset management. Ils gèrent les actifs financiers, mais toutes les autres activités sont déléguées à des service providers.
La différence entre les «boutiques» et les asset managers indépendants réside dans le fait que les premiers sont plus petits et moins diversifiés et que leurs gestionnaires ont une grande liberté d’action.
Enfin, il y a des structures qui sont actives dans les activités qui ne relèvent pas du noyau de l’industrie de la gestion d’actifs. Il s’agit de structures qui fournissent des activités du type back-office et de structures qui sont actives surtout dans la distribution des fonds.
Mise à part, bien sûr, la réglementation, la théorie financière et la structure de la demande ont une influence sur les business models prépondérants. Ainsi, dans la phase qui a précédé la crise, la demande des investisseurs pour des produits sophistiqués, de même que la croyance dans la théorie des marchés, prétendûment efficients, a mené à une approche de gestion dénommée core-satellite.
Cette approche de gestion se base sur l’idée qu’en général, il est difficile de battre le marché et une majeure partie du portefeuille géré est donc investi dans un fonds passif. Par contre, on suppose que des inefficiences existent et peuvent être exploitées par de petits asset managers spécialisés. Afin de limiter les risques, on investit alors dans une multitude de petits gestionnaires aussi appelés satellites.
A vrai dire, la structure de coûts joue aussi un rôle primordial, car il est moins coûteux de générer des rentabilités équivalentes avec une structure qui investit dans un tracker (exchange traded fund), c’est-à-dire un fonds qui réplique un indice de marché, que dans des fonds gérés par des petits gestionnaires. Il y a là des questions intéressantes en termes de structure et de degré de concurrence du secteur. A ce titre, il est intéressant de mentionner le fait que la Banque des règlements internationaux s’intéresse de près aux fameux trackers. En effet, selon la manière dont le fonds est structuré, il peut y avoir des risques de contrepartie qui ne sont pas pris en compte.
En tout cas, l’analyse de la chaîne de valeur de l’industrie est d’un véritable intérêt et a probablement trop été négligée par les «académiques». En effet, la majorité des recherches et ouvrages se concentrent sur la gestion des actifs, alors que plus de deux tiers de la structure des coûts proviennent de la distribution et de l’administration.
Le graphique ci-dessus indique les structures de coûts des fonds standards en Europe. Analyser plus en détail ces structures des valeurs ajoutées permet aussi de comprendre la géostratégie de domiciliation de l’industrie des services financiers. Le Luxembourg devrait se doter de capacités d’analyse dans ce domaine.