Le CJUE réaffirme l'importance d'un recours effectif offert aux administrés tout en préconisant son encadrement, commente Marie Marty, juriste chez Lutgen&Associés. (Photo: Lutgen & associés)

Le CJUE réaffirme l'importance d'un recours effectif offert aux administrés tout en préconisant son encadrement, commente Marie Marty, juriste chez Lutgen&Associés. (Photo: Lutgen & associés)

Pour rappel, la CJUE avait été saisie par la Cour administrative luxembourgeoise à l’occasion d’un recours formé par Berlioz Investment Fund SA, contre une amende imposée par l’administration fiscale, pour avoir refusé de se conformer complètement à une  injonction de transmettre des documents. Cette injonction intervenait suite à une demande d’informations provenant du fisc français, conformément à la directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative en matière fiscale.

Résumé à l’extrême, il était demandé à la CJUE de se prononcer sur la conformité de la mise en œuvre, par les autorités luxembourgeoises, de la procédure d’entraide en matière fiscale, à la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Les réponses qu’elle donne sont riches d’enseignement.

1. La sanction administrative nationale doit respecter la Charte

La sanction pécuniaire, bien que reposant sur une disposition nationale, permet d’assurer l’effectivité et la bonne application de la directive 2011/16/UE. Elle participe à la mise en œuvre le droit de l’Union et doit donc respecter les droits proclamés par la Charte.

Ce rappel salutaire, dans la lignée de la jurisprudence Fransson Akerberg, est d’importance considérable, tant les juridictions nationales ont tendance à oublier à quel point l’emprise du droit de l’UE est tentaculaire (pour une décision illustrant cette critique, v. CA, 15 juil. 2015, Pas. 37, p. 585).

2. La décision d’injonction nationale doit pouvoir être contestée devant une juridiction indépendante

Selon la CJUE, la protection contre les interventions de la puissance publique dans la sphère privée d’une personne physique ou morale qui seraient arbitraires ou disproportionnées peut être invoquée par un administré, contre un acte lui faisant grief. Sans aucune ambiguïté, elle estime que font grief à l’administré non seulement la sanction administrative, mais aussi l’injonction de transmettre des informations, ouvrant ainsi le droit à un recours effectif.

C’est une consécration sans appel du droit à contester, devant une juridiction indépendante, la légalité de l’injonction de fournir des informations à l’administration fiscale, mais aussi un sérieux tacle pour le législateur national qui avait, par la loi du 25 novembre 2014, décidé de supprimer le recours contre l’injonction dans le cadre de l’entraide administrative en matière fiscale.

3. Le juge de l’État requis peut opérer un contrôle substantiel restreint de la demande d’information

La directive permet l’échange d’informations vraisemblablement pertinentes. La pertinence est appréciée par l’autorité requérante, qui a, contrairement à l’autorité requise, une parfaite maitrise et connaissance de l’ensemble des éléments du dossier fiscal.

Cependant, la directive ne permet pas aux autorités nationales d’aller à «la pêche aux informations» auprès des administrations étrangères, ni d’effectuer des recherches tous azimuts ou demander des informations dont il est peu probable qu’elles concernent la situation fiscale du contribuable donné.

C’est en tenant compte de ces exigences que la Cour consacre pour l’autorité requise le droit d’exercer un contrôle substantiel restreint de la régularité de la demande d’informations, et non pas seulement sommaire et formel, portant sur la pertinence vraisemblable des informations.

Cette approche mesurée et équilibrée a le mérite de préserver la pierre angulaire de toute coopération entre les États membres de l’UE, à savoir la confiance, tout en laissant au juge national la possibilité de refuser d’exécuter une demande d’entraide qui constituerait manifestement une pêche aux informations.

4. L’administré a droit à des informations limitées

Alors que la Cour consacre la transmission de la demande d’informations au juge exerçant un contrôle de légalité de l’injonction, les informations auxquelles l’administré a accès sont plus limitées. Un équilibre entre le respect du droit à une procédure équitable et à l’égalité des armes, et le secret de l’enquête, doit être trouvé.

L’administré, estime la Cour, n’a pas besoin de la demande d’information complète pour contester efficacement une violation de ses droits, il doit uniquement avoir accès à une information minimale, «à savoir l’identité du contribuable concerné et la finalité fiscale des informations demandées» (§100). Ce point est, avouons-le, décevant, bien que le juge européen précise qu’un partage plus étendu puisse intervenir à l’initiative du juge national.

Pour conclure, au vu de cette décision remarquable, il ne nous reste plus qu’à souhaiter bon courage aux juridictions administratives, qui vont vraisemblablement devoir accueillir, dès à présent, de nombreux recours en matière d’entraide administrative fiscale.

Commentaire à lire dans sa version intégrale sur le site Lutgen&Associés.