Les Mittal entendent faire de la Tour Orbit la nouvelle icône de Londres. Tout un symbole. (Photo : ArcelorMittal)

Les Mittal entendent faire de la Tour Orbit la nouvelle icône de Londres. Tout un symbole. (Photo : ArcelorMittal)

En portant la flamme olympique, tout de blanc vêtus, pour l’ouverture des Jeux de Londres, Lakshmi Mittal et son fils Aditya se sont offert une belle opération de communication. Mais les richissimes hommes d’affaires ont également provoqué la colère des syndicats et des ouvriers, victimes des arrêts de production en Europe.

Fin juillet, à Rodange et à Schifflange, on comprenait mal comment les deux patrons pouvaient parader à Kensington et à Chelsea, pendant que leur groupe semblait en proie aux pires difficultés, et que les deux unités de production luxembourgeoises paraissaient déjà condamnées.

Difficile pour eux de ne pas penser aussi aux 18 millions d’euros consacrés à la « ArcelorMittal Orbit », cette monumentale sculpture en acier de 115 mètres, conçue par Anish Kapoor et Cecil Balmond, dont les Mittal entendent faire la « Tour Eiffel » londonienne. Alors même que le leader mondial de la sidérurgie croule sous une montagne de dettes, évaluée à 22 milliards de dollars.

Si certains ont dénoncé le prétendu cynisme des dirigeants, d’autres ont plutôt vu dans ces opérations la preuve de leur fort attachement à Londres, une manière de marquer les esprits et d’imposer la capitale britannique comme le véritable quartier général de leur groupe. Au détriment de Luxembourg, où le siège social perdrait de sa substance.

Lean et Omega 

Au Grand-Duché, plusieurs nouvelles ont d’ailleurs ravivé les inquiétudes sur ce point au cours des derniers mois. D’abord, les plans Lean et Omega, qui visent à tailler dans les effectifs administratifs sur le continent. Ensuite, la vente, par le groupe, de ses participations dans deux entreprises luxembourgeoises emblématiques : Paul Wurth et Enovos. Sans parler, bien sûr, de l’arrêt ou de la mise en sommeil de plusieurs unités de production dans le pays.

Sur le papier, le statut du Grand-Duché n’est pas remis en cause. C’est bien au 19, avenue de la Liberté, à Luxembourg-ville qu’est situé le siège mondial d’ArcelorMittal (même si le principal bâtiment administratif se trouve un peu plus loin, au boulevard d’Avranches), un groupe présent dans 60 pays, qui emploie 260.000 personnes et dont le chiffre d’affaires s’est élevé à quelque 94 milliards de dollars l’an dernier.

Malgré la crise et une sévère politique de réduction des coûts, ArcelorMittal reste, de loin, le premier employeur du pays avec 5.800 salariés, dont environ 1.000 postes administratifs répartis entre Esch-sur-Alzette et Luxembourg, au siège historique, dans l’Immeuble Pétrusse et à la Cloche d’Or. À Esch est, en outre, implanté un centre spécialisé dans la recherche et le développement de produits longs lourds. En tout, le Luxembourg compte pas moins de 13 installations d’ArcelorMittal, dont neuf sites industriels actifs dans la production ou la transformation de l’acier, ainsi que quatre sites spécialisés (Dommeldange, Centre Logistique Européen, Circuit Foil, Sotel). Et c’est également au siège de l’avenue de la Liberté que le « campus » de l’Université ArcelorMittal a été installé en 2008.

En comparaison, le Royaume-Uni fait plutôt pâle figure, même si 300 personnes opèrent sur 10 sites de production et si les effectifs administratifs se montent à une centaine de salariés. 

Même les JO et Orbit témoignent à leur manière de la place du Luxembourg au sein du groupe. La construction de la tour n’a-t-elle pas nécessité 270 tonnes de barres d’armature provenant de Rodange, ainsi que 200 tonnes de poutrelles fabriquées à Belval ? Par ailleurs, plus de 12.000 tonnes de palplanches en acier auront été utilisées de façon permanente ou temporaire lors du réaménagement et de l’assainissement de l’Olympic Park.

Le Luxembourg a largement profité des différentes étapes de fusion, en devenant d’abord le siège d’Arcelor – qui avait rassemblé en 2002 Usinor (France), Arbed et Aceralia (Espagne) – puis en conservant ce statut lors de l’OPA hostile de Mittal Steel en 2006. Une fois ArcelorMittal constituée, une structure juridique a aussi été formée au Grand-Duché pour centraliser les achats de tous les grands sites de produits plats européens (Florange, Gijon, Dunkerque, Liège…).

Par ailleurs, si Rodange et Schifflange semblent condamnés, ArcelorMittal continue à investir sur les sites plus compétitifs et à plus forte valeur ajoutée. Le groupe y est d’ailleurs contraint par l’accord Lux 2016, conclu lors de la Tripartite sidérurgie de mars dernier avec le gouvernement et les syndicats. Celui-ci prévoit des investissements de 150 millions d’euros dans la sidérurgie luxembourgeoise au cours des cinq années qui viennent.

Sujet tabou 

En juillet, le groupe a fait savoir qu’il avait investi 5, 5 millions d’euros à Belval, pour optimiser et accroître sa production, avec le lancement d’un nouveau format d’ébauche de poutrelle. Toute la presse luxembourgeoise avait été conviée à visiter les nouvelles installations. On ne constate pas de véritable transfert des effectifs en Grande-Bretagne, mais les doutes persistent. Et si ArcelorMittal quittait peu à peu Luxembourg pour Londres ? Et si le siège social était devenu un satellite du QG londonien ? Le plus étonnant est que ce sujet semble tabou chez ArcelorMittal. Le service Communication n’a pas donné suite aux demandes d’interviews à ce sujet. Même par téléphone. Les questions envoyées par mail ont été complétées quelques jours plus tard par des réponses stéréotypées, rédigées en anglais. Toutes les personnes interviewées dans le cadre de l’enquête, sauf une, ont exprimé le souhait que leur nom n’apparaisse pas dans l’article.

Officiellement, c’est encore au Luxembourg que tout se décide : « Notre quartier général mondial se situe au Luxembourg et le conseil d’administration du groupe à l’échelle mondiale se rencontre au Luxembourg, où les principales décisions sont prises. Bien sûr, de nombreuses autres décisions sont prises partout dans le monde en fonction des contraintes liées au business , explique ArcelorMittal. À notre quartier général du Luxembourg, nous employons, par exemple, le personnel administratif des carbones longs et plats en Europe, les services des mines et des solutions de distribution, les services ‘global plates’ (activités plaques), ArcelorMittal International ainsi que l’unité ‘pipes tubes’. 

Il y a aussi les ressources humaines, la communication, le marketing, les achats, la finance, la fiscalité, le juridique, les fonctions IT et l’immobilier. » Mais, malgré cette longue énumération, c’est bien dans la capitale britannique que les principaux dirigeants sont établis, à savoir Lakshmi et Aditya Mittal, ainsi que Davinder Chugh, bras droit de Lakshmi Mittal. 

La stratégie est définie au 7e étage de la Berkeley Square House, et pas avenue de la Liberté. Le comité de direction s’y réunit d’ailleurs chaque lundi. Jadis beaucoup plus autonomes, les patrons des différentes unités de production ne décident plus seuls. Ils rendent compte à Londres et s’y déplacent aussi souvent qu’il y sont convoqués.

Certes, les actionnaires se retrouvent une fois par an avenue de la Liberté pour l’assemblée générale. Certes, les administrateurs se rendent trois fois par an à la même adresse pour entériner les grandes décisions stratégiques. Davinder Chugh se déplace aussi toutes les deux semaines au Grand-Duché. Il a notamment la responsabilité des services partagés et des achats.

Mais une étrange anecdote pourrait être révélatrice de l’attachement de Lakshmi Mittal au Luxembourg et au passé du groupe. Peu après la fusion, le patron du nouvel ensemble a fait repeindre en blanc les murs et le plafond de la salle du conseil de l’avenue de la Liberté. Sans épargner les superbes fresques anciennes qui y figuraient.

Ne pas dévier du langage officiel 

Les Mittal ont l’habitude de fonctionner avec un QG positionné sur deux sites. Avant la fusion de 2006, ils étaient situés à Londres et Rotterdam. Mais ils conservent près d’eux le processus de prise de décision.Cette approche ne relève pas d’une opposition délibérée au Luxembourg, mais bien d’une logique de business et d’efficacité. Celle-là même qui a conduit la direction du groupe à externaliser les services d’infrastructures informatiques. Cela représentait 574 personnes, dont 22 au Grand-Duché. Chez ArcelorMittal, on redoute aujourd’hui que la même approche soit retenue pour les services informatiques liés aux softwares. 40 à 45 personnes seraient alors concernées au Luxembourg.

Si les fonctions centrales sont établies au Luxembourg, la communication du groupe est gérée depuis Londres. Nicola Davidson, vice-president of corporate communication, est installée sur les bords de la Tamise. Giles Read, responsable des relations presse, aussi. Les messages sont composés à Londres et diffusés ensuite dans le reste du groupe, où ils sont repris tels quels.

« Personne au Luxembourg ne s’aventure hors du langage et des formules définies à Londres. Par exemple, quand ArcelorMittal a annoncé la fermeture des hauts fourneaux et des sites de Rodange et Schifflange, la formule suivante a été utilisée : ‘fermeture temporaire à durée indéterminée’. Ces mots 
ont été choisis à Londres. Ils sont encore utilisés aujourd’hui, et personne n’ose en dévier », explique Charles Hennico, secrétaire syndical au LCGB.

« De même, si Michel Wurth (Luxembourgeois et membre du comité de direction, ndlr.) n’a besoin de personne pour prendre une décision, nous avons bien senti que le montant d’investissement consenti lors de la Tripartite par ArcelorMittal était venu de Londres », poursuit-il.

Pour certains, la question n’est pas vraiment de savoir si le siège déménagera un jour à Londres, mais plutôt quand. En attendant, Lakshmi Mittal a-t-il vraiment intérêt à éteindre les doutes ? Cette menace latente ne lui permet-elle pas d’exercer une pression subtile sur l’État luxembourgeois pour obtenir des aides, le financement des préretraites, du chômage partiel des ouvriers désœuvrés, voire une fiscalité complaisante ?