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Comme le rappelle Marc Wagener de la Fondation Idea, après 20 ans de félicité, le marché du travail doit attaquer un chômage presque deux fois plus important qu'avant la crise. 

Ces 30 dernières années, l’emploi grand-ducal a connu de fortes mutations, notamment sous la pression démographique et l’explosion du travail frontalier. Plateforme de réflexion créée sous l’égide de la Chambre de commerce, la Fondation Idea consacrait sa traditionnelle «idée du mois» à son évolution.

Les services pèsent actuellement 80% de l’emploi. En 1985, il s’agissait de 60%.

Marc Wagener, Fondation Idea

«Depuis 1985, considéré comme le point de départ de 20 ans de félicité économique, le marché s’est transformé. Nous avons assisté à une tertiairisation massive de l’économie», introduit Marc Wagener, ‎directeur chargé des affaires courantes au sein de la Fondation. «Les services pèsent actuellement 80% de l’emploi. En 1985, il s’agissait de 60%. Le secteur secondaire, quant à lui, offre aujourd’hui moins d’emplois qu’il y a 30 ans». En termes de nombre de postes disponibles, le Luxembourg a connu un boom de l’emploi impressionnant avec une hausse de 150.000 à 450.000 jobs, soit +152% sur la période. Le marché allemand a progressé de 50%, quand le belge et le français ont grimpé de 40%.

Boom frontalier

Autre tendance majeure depuis les années 1980, la quote-part décroissante des travailleurs nationaux sur le marché local. «Il y a 30 ans, ceux-ci occupaient 65% des postes. Aujourd’hui, cette proportion est de 30%.» L’arrivée massive de travailleurs étrangers a créé un décalage entre l’offre et la demande d’emplois, expliquant partiellement le taux de chômage de ces dernières années se situant entre 7 et 9%. Avant 2008, il stagnait à 4% et en 1985, il n’était que de 1,5%.

Autres caractéristiques notables du marché de l’emploi luxembourgeois: son haut niveau de protection de l’emploi, son aversion des CDD et ses hauts niveaux de rémunération. Et Marc Wagener de poursuivre: «En 1985, le salaire minimum était au même niveau qu’en France et moins élevé qu’en Belgique. En 2015, il est entre 25 et 30% plus élevé. Le même constat s’applique pour les salaires nominaux.»

Veiller à l’employabilité

Plusieurs raisons peuvent expliquer la tendance haussière du chômage, dont celui de niveau de qualification requis de plus en plus élevé couplé à un coût du travail plus important que dans les pays voisins et à une diminution du nombre de nouveaux postes proposés chaque année sur fond de flux migratoires importants.

Ainsi, 17.000 postes de moins ont été créés entre 2009 et 2014 par rapport à la période quinquennale précédente. Certains secteurs comme l’IT, le commerce, l’administration publique et l’enseignement échappent à ce constat.

«La crise a créé une vraie rupture», ajoute encore Marc Wagener. «Le nombre de chômeurs est passé de 10.800 à 22.000 aujourd’hui. Le plus grand obstacle est la distortion entre les profils disponibles et la demande. La rigidité des salaires, la diminution du PIB et la santé déclinante de l’appareil de production forment un cocktail qui ne favorise pas le plein emploi.» Actuellement, l’Adem recense 5.000 postes à pourvoir pour 17.000 demandeurs d’emploi. 82% de ces derniers ont un niveau de qualification allant maximum jusqu'au bac, quand 2/3 des entreprises recherchent avant tout des travailleurs disposant d’un diplôme supérieur.

Les jeunes ne sont pas les seules victimes du chômage.

Michel-Edouard Ruben (Fondation Idea)

Pas de solution miracle

Pour répondre à ces différents enjeux et atteindre le Graal du plein emploi, plusieurs remèdes sont proposés par la Fondation Idea, de l’amélioration du «matching» entre les requêtes des entreprises et les profils des demandeurs d’emploi à une meilleure insertion des travailleurs seniors, et un recours accru et encadré aux CDD, pouvant potentiellement être des tremplins pour un emploi futur. Une tendance déjà à l’œuvre, 20% des emplois jeunes étant déjà des CDD.

«Les jeunes ne sont pas les seules victimes du chômage», contextualise Michel-Edouard Ruben, économiste à la Fondation Idea. «Chez les moins de 25 ans, il n’a progressé 'que' de 35%, tandis que le taux de chômage global a doublé et celui des 55+ a souffert d’une augmentation de +135%. De plus, 2/3 des demandeurs d’emploi seniors sont inscrits depuis plus d’un an. Au-delà de 57 ans, il n’y a pas de marché du travail. Développer une garantie 'senior' à l’image d’une garantie jeunes pourrait faire avancer les choses.»

Autre point d’amélioration à apporter: le retrait précoce des travailleurs luxembourgeois du marché de l’emploi avant 60 ans. «Il n’y a pas de solution miracle. Sans la crise, les indicateurs tendent à montrer que le chômage aurait malgré tout augmenté. Un des paradoxes à résoudre est l’évolution à la hausse du coût du travail en parallèle avec la progression du chômage. Sur toute la période de la crise, le salarie social minimal a connu 10 augmentations, dont six liées à l’augmentation du coût du travail, termine Michel-Edouard Ruben. Il faut restaurer le lien distendu entre productivité, coût du travail, emploi et salaire.» Faisant référence à une fourchette entre 1.500 et 2.500 demandeurs d’emploi, soit le niveau de 1977, le Code du travail, qui cite le concept de «plein emploi» comme objectif majeur, doit également être dépoussiéré.