David Schrieberg: «L'appât du gain et l'argent ne doivent pas être le moteur entrepreneurial.» (Photo: Sven Becker)

David Schrieberg: «L'appât du gain et l'argent ne doivent pas être le moteur entrepreneurial.» (Photo: Sven Becker)

Monsieur Schrieberg, vous avez été journaliste pendant 20 ans, puis consultant et professionnel du monde digital pendant plusieurs années. Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir entrepreneur?

«La société que j’ai créée constitue la synthèse d’une carrière riche et variée. J’ai été journaliste pendant 20 ans et j’ai eu la chance de raconter de belles et bonnes histoires – c’est le fondement du métier –, qui m’ont beaucoup fait voyager. C’est un métier qui m’a apporté de nombreuses doses d’adrénaline. À travers les activités que j’ai menées par la suite, j’ai découvert un autre monde, celui du digital, moteur du changement de la société. Puis j’ai décidé d’entreprendre, de développer une nouvelle activité qui faisait la synthèse de mes activités passées, qui capitalise sur l’expérience acquise. Avec Vitalbriefing, en outre, je souhaite offrir de nouvelles perspectives à de nombreux journalistes talentueux, à travers le monde, qui souffrent de l’effondrement qu’a connu le secteur des médias d’information. Mais surtout, l’expérience entrepreneuriale me procure à nouveau le frisson, cette forme d’excitation que je n’avais plus ressentie depuis que j’ai quitté le journalisme. À la différence que je ne raconte plus les histoires, mais que je suis devenu l’acteur de l’histoire de mon entreprise.

Quelle est votre approche en la matière?

«L’idée est d’apporter aux entreprises qui le souhaitent l’information utile, celle qu’elles désirent obtenir, de manière concise, sans qu’elles doivent perdre du temps à la chercher. Aujourd’hui, considérant le bruit médiatique, la quantité de contenu produit, il est difficile de séparer l’utile du futile. Dès lors, à travers notre plateforme, nous proposons de déterminer un certain nombre de contenus pour lesquels nos clients désirent recevoir une information. De par le monde, nous missionnons alors des journalistes spécialisés sur ces sujets pour réaliser une veille sur ceux-ci et réaliser des résumés de l’actualité qui les concerne. Cela se fait sous la forme d’un briefing quotidien. Au-delà, nous proposons aussi des produits plus avancés, comme des briefings d’information sur des sujets personnalisés en fonction d’une entreprise, en lien avec ses concurrents ou même ses propres clients, lui permettant de mieux les suivre. Nous pouvons aussi réaliser des articles avec l’entreprise, sur l’entreprise, pour les distribuer à une audience déterminée.

Un entrepreneur ne doit jamais être satisfait des résultats passés

Sur quel modèle économique vous basez-vous?

«Nous avons une structure composée de cinq personnes à temps plein. Derrière, 30 journalistes indépendants, qui ont signé des accords de collaboration. Nous avons aussi, selon les besoins, un vivier d’une centaine d’autres journalistes à travers le monde, prêts à collaborer avec nous. Le modèle économique s’appuie sur le principal et premier produit, qui doit permettre de répondre à une quantité grandissante de clients, en mutualisant le travail de ces journalistes sur les divers sujets suivis et traités. Derrière les enjeux économiques et financiers, qui sont évidemment éminemment importants, il y a une cause que je défends, celle des journalistes. Voir cette entreprise grandir et avoir du succès, c’est aussi envisager de donner du travail et de valoriser les compétences exceptionnelles de ces nombreux journalistes et amoureux de l’information qui se retrouvent perdus dans le monde des médias d’information actuels. J’ai encore beaucoup d’amis journalistes aux États-Unis, avec qui j’ai travaillé. Beaucoup ont perdu ou perdent leur emploi à cause de la crise du secteur des médias. Pourtant, il y a d’autres opportunités pour mettre en valeur ces compétences, pour leur permettre de pratiquer leur métier. Celle de rapprocher ceux qui ont l’information de ceux qui en ont besoin, comme nous le faisons, en est une parmi d’autres.

Et celle de valoriser tout le contenu produit…

«Oui, il y a un enjeu à développer ce modèle scalable d’une part. Mais nous créons aussi du contenu exclusif, à la demande du client. Notre approche réside dans le fait que le contenu proposé est toujours un contenu demandé, de ce fait utile, pour lequel il y a de bonnes raisons de payer. On nous a demandé de pouvoir bénéficier de notre plateforme en free trial. Nous l’avons toujours refusé. Le contenu et le service qui y est lié ont une valeur. Le proposer gratuitement, c’est le dévaloriser.

Comment analysez-vous cette crise des médias? Et comment, selon vous, les médias d’information peuvent-ils s’en sortir?

«En 1995, j’étais au siège de Newsweek au moment où l’on nous a annoncé que l’on allait mettre du contenu gratuitement sur le site internet de notre média. À l’époque, j’étais le rédacteur en chef du bureau Amérique latine du magazine. Comme beaucoup de confrères, on s’est demandé quel était le modèle. J’ai posé la question à nos dirigeants. On m’a répondu qu’on ne savait pas, mais qu’il y avait un train sorti de la gare, qu’il fallait le prendre en marche même si l’on ne connaissait pas la destination finale. Il n’y avait pas de vision entrepreneuriale. Et il n’y en a toujours pas. Aujourd’hui, le secteur cherche encore le modèle. On voit des médias en quête de nouveaux flux de revenus, avec des journalistes qui deviennent conférenciers professionnels, des titres qui se transforment en tour-opérateurs…

Comment a évolué ou doit évoluer le métier de journaliste?

«Il doit évoluer. Aujourd’hui, selon le média, le support, le journaliste doit multiplier les compétences, en ayant une bonne compréhension des enjeux, des attentes des consommateurs d’information. Il ne peut plus se contenter d’être spécialiste dans son domaine. Mais il doit intégrer des notions de SEO, de gestion de communauté sur les réseaux, interagir avec ceux qui s’intéressent à son travail. C’est une autre forme de journalisme. Il appartient à ces acteurs d’embrasser cette révolution, à laquelle nous sommes fiers de contribuer un petit peu, avec optimisme. Elle est porteuse d’idées et donc d’opportunités. Si seulement j’avais eu tous ces outils disponibles aujourd’hui à ma disposition à l’époque où j’étais journaliste…

Êtes-vous satisfait du développement de Vitalbriefing depuis sa création?

«Oui et non. On peut se réjouir d’avoir mis sur pied cette activité, d’engranger de nouveaux clients. D’autre part, je pense qu’un entrepreneur ne doit jamais être satisfait des résultats passés. Un des moteurs, justement, réside dans cette envie de faire mieux, plus vite, d’aller plus loin. Il ne faut cependant pas non plus vouloir brûler les étapes. La croissance, au-delà des aspirations, doit s’appuyer sur une bonne connaissance du marché et des acteurs, afin de pouvoir y apporter les bons produits et services. Bien appréhender son marché, ou les marchés sur lesquels on développe son activité, demande du temps. On doit donc à la fois se réjouir des développements réalisés et faire preuve d’une certaine insatisfaction. Au risque de me répéter, cette insatisfaction ne doit pas avoir trait à l’aspect financier, mais plus au développement de l’activité, à son expansion ou encore à la satisfaction des clients.

L’argent, toutefois, ne doit-il pas permettre d’assurer le développement plus avant de l’entreprise?

«Quand je dis cela, je ne dis pas qu’il ne faut pas se soucier de cet aspect. Au contraire, le fondement de la réussite d’une activité réside dans son business model. Une idée ou un produit sans business model, cela ne fonctionne pas.

Une idée ou un produit sans business model, cela ne fonctionne pas

Vous avez accepté de parrainer le programme Business mentoring de la Chambre de commerce. Pourquoi cela?

«Parce que la Chambre de commerce me l’a demandé, tout simplement! Et j’en suis très honoré. Sans doute a-t-elle été séduite par mon parcours et mon profil d’entrepreneur d’origine américaine qui développe des activités dans le monde des médias digitaux.

Dans votre parcours entrepreneurial, avez-vous pu bénéficier, vous-même, du soutien d’un mentor?

«Non, pas d’un mentor en particulier. Mais en créant ma société il y a trois ans, j’ai fait le choix de la doter d’un international advisory board, autrement dit de m’entourer de personnes issues de divers horizons qui me conseillent avec toute leur sagesse. Ils m’apportent et m’apprennent beaucoup. C’est essentiel. Cette idée est venue naturellement. Elle émane sans doute de la profession de journaliste que j’ai exercée pendant de longues années aux États-Unis et en Amérique du Sud, et que l’on apprend auprès de ceux qui ont déjà de l’expérience et qui acceptent de la partager. C’est là aussi une forme de mentorat.

Vous allez donc servir d’exemple à d’autres jeunes entrepreneurs. Si l’un d’eux vous demandait quelles sont les clés de la réussite, que lui répondriez-vous?

«Je dirais qu’il y a trois choses importantes à garder à l’esprit quand on veut développer une entreprise. La première est de définir ce qui compte vraiment dans et pour la vie de l’entreprise. Il faut se fixer des priorités et rester focalisé dessus, en évitant de se laisser distraire par les nombreuses choses qui peuvent intervenir. C’est un réel défi, dans la vie d’entrepreneur. Il est très facile de perdre de vue cet exercice. Je préciserais encore, en parenthèse à ce premier conseil, que cette priorité ne doit en aucun cas être l’appât du gain, l’argent. Cela ne doit pas être le moteur entrepreneurial.

Quel serait le deuxième conseil?

«Celui de faire preuve d’empathie. Cette faculté permet d’être réellement à l’écoute des attentes de ceux qui vous entourent, et entendre les besoins. C’est en fonction des besoins que l’on crée des produits et des services, pas l’inverse. C’est en discutant avec des gens autour de moi, des professionnels du monde financier qui trouvaient de plus en plus difficile de trouver la bonne info dans la masse de contenu disponible, qu’est née l’idée de Vitalbriefing. Derrière, cette empathie permet d’établir une relation durable avec le client, de pouvoir lui proposer d’autres produits et solutions en fonction de ses besoins. Enfin, mon troisième conseil est d’avoir une communication très claire. Si l’on n’arrive pas bien à expliquer ce qu’on propose, c’est que cela n’est pas abouti. Et pour boucler la boucle, les histoires constituent de merveilleux moyens d’exprimer ce que l’on fait.»

Parcours
Esprit de synthèse
Les meilleurs journalistes sont ceux qui parviennent à capter l’air du temps, à dénicher les bonnes histoires et à relater l’ensemble en faisant preuve d’un esprit de synthèse hors du commun. À travers sa société, Vitalbriefing, David Schrieberg réussit justement la synthèse de ses expériences accumulées tout au long de sa carrière professionnelle. «J’ai été journaliste pendant 20 ans. J’ai encore connu l’âge d’or de cette profession», explique-t-il. Il commence comme journaliste pendant les années qui ont suivi le Watergate. Il a connu une carrière couronnée de succès en presse écrite, gagnant de nombreux prix prestigieux, parmi lesquels le Prix Pulitzer. Au début des années 2000, avec l’explosion de la bulle internet, il délaisse cette profession pour s’immerger dans le bain du digital. «En tant que consultant indépendant, considérant que ma carrière m’avait apporté une bonne compréhension de la manière dont un média pouvait s’adresser à une audience, j’ai mis mon expérience au service d’acteurs digitaux», explique-t-il. Cette aventure l’amènera jusqu’en Europe, où il occupera le poste de vice-président d’AOL, en charge de la supervision, la création et la publication de contenus. Après quelques expériences dans la production audiovisuelle de contenus, David Schrieberg fonde sa société en 2011. «Une forme de retour à l’information, en capitalisant sur l’expérience acquise dans le secteur digital, mais en tant qu’entrepreneur cette fois», explique-t-il.