John-Kevin Ted, avocat junior associate chez CASTEGNARO - Ius Laboris Luxembourg (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg)

John-Kevin Ted, avocat junior associate chez CASTEGNARO - Ius Laboris Luxembourg (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg)

La Convention Collective de travail des salariés de banque (ci-après «la Convention Collective») est applicable aux salariés[1] des membres de l’ABBL[2], tels que listés dans la Convention. Une fois déclarée d’obligation générale, elle s’applique à toutes les entreprises du secteur bancaire.

La Convention Collective prévoit des dispositions plus favorables pour les salariés de banque que les dispositions du Code du travail.

Ainsi et notamment, aux termes de l’article 5.2. de la Convention Collective, en cas de licenciement dans le cadre d’une rationalisation, d’une réorganisation ou d’une cessation d’activité, le salarié bénéficie d’un préavis doublé par rapport au préavis légal ainsi que d’une indemnité de départ plus avantageuse.

En outre, l’article 5.3. prévoit qu’en cas de modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds, mise en société, il ne peut intervenir aucune résiliation du contrat de travail des salariés pour cause de réorganisation ou de rationalisation pendant une durée de 2 ans après cette modification, sauf accord de la délégation du personnel.

Qu’en est-il cependant de l’application de ces dispositions si l’employeur change d’activité dans le cadre d’une restructuration et perd la qualité d’établissement bancaire sav?

C’est la question à laquelle la Cour d’appel a répondu dans deux affaires du 8 décembre 2016.

Les faits: en raison de difficultés économiques qu’elle traversait, une société ayant le statut d’établissement de crédit (ci-après «la Société 1») a procédé, au mois de juillet 2010, à une restructuration, transférant ainsi une partie de son patrimoine à une banque nouvellement créée (ci-après «la Banque»).

Dans le cadre de cette restructuration, les activités bancaires de la Société 1 ont été transférées à la Banque, avec l’ensemble des salariés dont les fonctions étaient liées à ces activités.

Les autres activités de la Société 1, à savoir le traitement et la clôture des dossiers contentieux en cours au moment de la restructuration, ont été poursuivies par celle-ci et la Société 1 a changé sa dénomination sociale en Société 2. Les salariés qui n’exerçaient pas de fonctions bancaires sont restés occupés auprès de la Société 2.

La Société 2 (ci-après «l’Employeur») a ainsi cessé d’être un établissement bancaire à la date d’effet de la restructuration, à la différence de la Banque qui a obtenu l’agrément d’établissement bancaire.

Les activités de l’Employeur s’étant progressivement réduites au fil du temps, celui-ci a dû procéder à la suppression des postes de deux salariées, et donc au licenciement de ces dernières pour motifs «économiques», respectivement en date des 28 juillet 2011 et 27 septembre 2011. Ces salariées ont contesté leur licenciement pour être intervenu, en violation de la protection contre le licenciement prévue à l’article 5.3. de la Convention Collective.

L’Employeur estimait quant à lui être dans son bon droit, la Convention Collective ne lui étant plus applicable depuis la restructuration et la perte de son statut bancaire.

L’Employeur était-il tenu d’appliquer la Convention Collective?

Dans un premier temps, la Cour d’appel a relevé qu’au moment du licenciement des salariées, la Convention Collective ne leur était plus applicable en tant que telle, pour les mêmes motifs que ceux retenus par les premiers juges, à savoir:

  • la Convention Collective de 2010 avait été abrogée, suite à l’entrée en vigueur de la Convention Collective 2011-2013; et
  • pendant la période couverte par la Convention Collective 2011-2013, l’Employeur n’était plus un établissement bancaire, ce qui est une condition déterminante pour l’application de la Convention Collective.

La Cour ne s’est toutefois pas arrêtée à ce constat et a poursuivi son analyse en recherchant concrètement si l’Employeur n’avait pas appliqué sur une base volontaire les dispositions de la Convention Collective.

C’est dans le cadre de cet examen que la Cour a tout d’abord souligné que les contrats de travail des salariées prévoyaient expressément l’application de la Convention Collective, et que ces contrats de travail n’avaient pas été modifiés suite à la restructuration.

La Cour d’appel en a alors déduit que l’Employeur avait entendu faire bénéficier volontairement les salariées concernées des dispositions de la Convention Collective plus avantageuses que celles de droit commun.

Selon la Cour d’appel, l’application volontaire des avantages découlant de la Convention Collective était encore corroborée par d’autres éléments de l’espèce, à savoir:

  1. Un e-mail envoyé par le responsable des ressources humaines de la Société 1 et interlocuteur des salariés de celle-ci, pendant et après les opérations de restructuration, à un salarié de la Société 2 lui confirmant, quelques jours après la restructuration, que les salariés garderaient tous les avantages de la Convention Collective.
  2. La mention figurant sur les fiches de salaire des salariées, postérieures à la restructuration, indiquant le groupe de salariés auquel elles appartenaient selon la Convention Collective. Dans ce cadre, la Cour a indiqué que la fiche de salaire était opposable à l'employeur en ce qu’elle émane de lui, et qu’elle vaut non seulement reconnaissance des montants y indiqués, mais également des mentions y figurant.
  3. Le paiement aux salariées après la restructuration d’une prime prévue par la Convention Collective et le calcul des jours de congé conformément à cette dernière.

Au vu de ces éléments, la Cour d’appel a tranché qu’au moment de leur licenciement, les salariées en cause bénéficiaient de la Convention Collective de 2010, à savoir celle qui était applicable au moment de la restructuration.

Par ailleurs, c’est bien l’ensemble des dispositions de la Convention Collective de 2010 qui était applicable à la situation des salariées et non pas quelques-unes seulement.

La Cour d’appel a en effet soulevé que le contrat de travail des salariées, faisant une référence générale à la Convention Collective dans son ensemble, sans distinguer les dispositions applicables et celles qui ne l’étaient pas, l’employeur ne pouvait alors allouer certains avantages aux salariées, en l’occurrence les moins onéreux pour lui, et en refuser les plus contraignants.

Dès lors, les salariées auraient dû être couvertes par la protection contre le licenciement économique de l’article 5.3. de la Convention Collective. Elles pouvaient également se prévaloir des dispositions de l’article 5.2. de la Convention Collective prévoyant un préavis de licenciement plus long que le préavis légal et une indemnité de départ plus avantageuse.

Ce qu’il faut retenir de ces arrêts:

La perte par une société de son statut de banque entraîne pour les salariés concernés l’inapplication pour l’avenir de la Convention Collective.

Cette règle ne vaut toutefois pas si l’employeur entend maintenir sur une base volontaire les avantages de la Convention Collective après que celle-ci ne lui soit plus obligatoirement applicable en raison de la perte de son statut de banque.

La volonté de l’employeur peut résulter notamment:

  • d’un renvoi exprès à l’application de la Convention Collective dans les contrats de travail des salariés et sur les fiches de salaires, et/ou
  • du maintien de certains avantages prévus par la Convention Collective après que celle-ci ne soit plus d’application obligatoire.

Ainsi, dans le cadre d’une opération de restructuration, l’employeur doit être particulièrement vigilant aux conséquences d’une telle opération sur le statut collectif de ses salariés et veiller à ne pas contracter involontairement des obligations supplémentaires.

Dans le présent cas, l’employeur aurait notamment dû supprimer ou modifier les dispositions des contrats de travail prévoyant le renvoi à la Convention Collective applicable avant la restructuration de la société. À noter qu’une telle modification aurait été complexe à mettre en place dans la mesure où, à défaut de commun accord des parties, l’employeur aurait été en principe tenu de respecter les dispositions applicables en matière de modification unilatérale d’une clause essentielle du contrat de travail en défaveur du salarié.

Arrêts de la Cour d’appel du 8 décembre 2016, n°39760 et n°39761 du rôle

[1] À l’exception des salariés considérés comme cadres supérieurs et des apprentis.

[2] Association des Banques et Banquiers, Luxembourg.