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L e Luxembourg n’a pas à avoir honte de la qualité environnementale des bâtiments résidentiels qui sortent de terre. Depuis plusieurs années, compte tenu des objectifs étatiques en matière de réduction des émissions de CO2, des réglementations en vigueur relatives à la performance énergétique des bâtiments, le Luxembourg se dote d’un parc extrêmement qualitatif. «Aujourd’hui, tous les projets résidentiels construits, qu’il s’agisse d’une maison unifamiliale ou d’un immeuble à appartements, s’inscrivent dans des classes de performance énergétique allant de B à A, explique Gilbert Théato, directeur de Myenergy, le groupement d’intérêt économique proposant de l’information et du conseil dans le domaine de l’efficacité énergétique et des sources d’énergie renouvelable. En quelques années, les acteurs du secteur de la construction ont fait beaucoup d’efforts et proposent des produits qui vont bien au-delà des exigences actuelles du législateur.»
En 20 ans, la manière de concevoir des bâtiments a fondamentalement changé, intégrant un réel souci de contribuer à l’amélioration de la performance énergétique et à un meilleur développement durable. 

Vers les nearly zero energy

Le parc neuf s’améliorera encore. À partir du 1er janvier 2015, toute nouvelle construction résidentielle devra s’inscrire en classe B en matière d’isolation et en classe A pour ce qui est de sa performance énergétique. À partir du 1er janvier 2017, la classe A sera généralisée. «Autrement dit, le neuf sera entièrement ‘passif’», précise Gibert Théato.
Les acteurs du secteur anticipent souvent les réglementations, répondant à de réelles aspirations de la clientèle, beaucoup plus regardante, mais aussi en prenant conscience du marché potentiel qu’ouvre un véritable savoir-faire en matière de construction durable. «L’un des moteurs de cette transformation a aussi été l’adaptation du secteur luxembourgeois de la construction aux exigences du règlement grand-ducal transposant la directive européenne relative à la performance énergétique des bâtiments, explique Christian Rech, fondé de pouvoir chez Cimalux et président du Groupement des fabricants de matériaux de construction au sein de la Fedil. Les acteurs du secteur ont su transformer une contrainte en une opportunité, cela en développant leurs compétences et savoir-faire.»
On sourit, aujourd’hui, quand on se remémore les propos d’un dirigeant du secteur qui, en 2008, avait déclaré que la construction durable n’était qu’un effet de mode. On se rassure, aussi, que le secteur n’ait effectivement pas pris cet enjeu à la légère. Et on reste impressionné sur le changement d’approche rapide et radical qui s’est opéré dans le chef des acteurs qui le composent.

Mieux travailler ensemble

Le neuf, donc, répond aujourd’hui aux exigences en matière de performance énergétique. L’effort entamé devrait toutefois se poursuivre. En 2019, ce sont des habitations nearly zero energy qui verront le jour. Les acteurs du secteur s’y préparent.
Plusieurs initiatives, comme Luxbuild qui vise la formation des artisans et ouvriers du bâtiment dans la perspective des objectifs 2020 de l’Union européenne en matière de performance énergétique des bâtiments, doivent à l’avenir permettre de maintenir la longueur d’avance dont dispose le secteur au Luxembourg. «Les architectes, les ingénieurs, les artisans ont fait de la qualité une priorité. L’enjeu, pour faire encore mieux, résidera notamment dans la nécessité de s’appuyer sur les bonnes compétences, mais aussi dans la manière avec laquelle les acteurs d’un projet de construction peuvent mieux collaborer ensemble, explique David Determe, administrateur-délégué du bureau d’ingénieurs-conseils Betic. On ne peut pas se contenter de travailler uniquement sur les compétences. Il faudra pouvoir envisager les projets dans une dimension transversale, en rassemblant les acteurs tout au long de la chaîne de création de valeurs, de la conception jusqu’à la réception.»

Aujourd’hui encore, les métiers sont très cloisonnés. Le bureau d’architectes n’intègre pas, ou pas toujours, le bureau d’étude technique, ni l’avis des entreprises de construction, qui parfois ont des idées et des avis à haute valeur ajoutée. «Le concept clé de l’avenir est celui de la conception intégrée, explique Christian Rech. C’est la voie à suivre pour proposer des solutions réglant simultanément les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, sans en créer de nouveaux. Pour atteindre le nearly zero energy, nous n’avons pas d’autres choix que de décloisonner les métiers.»
Le défi est de taille, tant les compétences dans le secteur de la construction se sont multipliées et tant les besoins sont nombreux. Un récent recensement fait état de 193 métiers et sous-métiers de la construction. «Répondre aux enjeux d’avenir, en outre, est un véritable challenge économique pour les acteurs présents sur le territoire, poursuit David Determe. Pour les années à venir, on estime le marché potentiel, pour la construction et la rénovation, à plus ou moins 150 millions d’euros par an. C’est un marché que les acteurs du cru ne peuvent pas rater. Il faut donc rester compétitif et, pour cela, disposer des ressources qualifiées.»

L’enjeu de la rénovation

Au-delà du neuf, un autre enjeu, bien plus conséquent, est d’améliorer la performance énergétique du parc existant. «Le stock est une réelle passoire énergétique», tranche David Determe. La performance du parc n’est évidemment pas simple à déterminer.
Le passeport énergétique est, depuis 2008, obligatoire pour les bâtiments neufs et ceux ayant fait l’objet de travaux nécessitant un permis de bâtir. Si le passeport a pour objectif de contribuer à une amélioration du parc énergétique dans son ensemble, en apportant une information objective au candidat acquéreur, en lui permettant de comparer deux biens sur les mêmes bases, le problème réside dans le fait que la performance énergétique n’est pas encore déterminante dans le choix d’un bien. «Les professionnels du secteur ont bien assimilé les enjeux du développement durable. Ce n’est pas encore le cas des utilisateurs, commente M. Rech. Le marché de l’immobilier étant tellement tendu, l’accès à la propriété étant si difficile, le candidat acquéreur regarde principalement le prix d’acquisition et non les enjeux inhérents à l’exploitation et l’entretien d’un bien.»

S’il manque des études là-dessus, l’impression des professionnels du secteur tend à démontrer que le passeport doit convaincre. «Aujourd’hui, la performance est encore trop souvent un facteur secondaire. À prix égal, l’acquéreur prendra le bâtiment le plus performant», commente Pol Goetzinger, CEO de Sustain, société de consultance stratégique spécialisée dans le développement durable et la responsabilité sociétale, mais aussi dans l’émergence d’une ville intelligente (smart city). Une maison passive présente un surcoût à l’acquisition, estimé aujourd’hui à plus ou moins 15%. Si on prend toutefois en considération le coût global d’une habitation, intégrant donc les moyens nécessaires pour l’acheter et ceux indispensables pour y vivre confortablement, on peut se rendre compte que le surcoût de la performance énergétique ne devrait plus être un frein.

Au-delà de la performance

«Je pense qu’il ne faut pas limiter les enjeux de développement durable au sein de l’immobilier résidentiel au seul critère de performance énergétique, mais les envisager dans un contexte plus global, en impliquant l’utilisateur, en faisant preuve d’une plus grande pédagogie», explique Pol Goetzinger.
Il faut sensibiliser à l’utilisation de l’habitation, et aux coûts qu’elle peut engendrer. «Les valeurs primaires de consommation qu’il y a derrière les lettres affichées sur le passeport énergétique ne sont que théoriques, précise David Determe. Dans la pratique, on constate qu’elles peuvent être bien inférieures à ce qui a été simulé au départ. Dans les faits, chacun utilisera à sa manière son habitation, engendrant des consommations variables.»
L’utilisateur, de fait, n’est souvent que très mal informé sur la meilleure manière de faire un usage optimal des sources d’énergies intégrant sa maison. «Quand on achète une chaîne hi-fi, on dispose d’un mode d’emploi de plusieurs dizaines de pages. Alors qu’au moment d’acquérir une maison, on vous tend simplement la clé, avec des félicitations, mais souvent sans autre explication sur le fonctionnement du double flux, des pompes à chaleur ou même des thermostats», regrette Pol Goetzinger.
À l’ère digitale, il n’est évidemment pas question d’imprimer des dictionnaires du bon fonctionnement de son habitation. «Aujourd’hui, la plupart des voitures disposent d’un ordinateur de bord, qui vous prévient quand il y a un souci technique, qui vous indique votre consommation moyenne, vous annonce les échéances pour les entretiens…, poursuit le CEO de Sustain. En mettant de l’intelligence au cœur de la maison, il est possible de faire évoluer les comportements, de conscientiser ses utilisateurs à une consommation plus responsable. Mais plus que cela, on peut, par une meilleure programmation, par de l’interaction à distance, donner plus de pouvoir à l’utilisateur, le rendre responsable et acteur de sa consommation.»
La smart home devrait progressivement émerger dans les années à venir. Et ses contributeurs ne sont pas forcément les professionnels du secteur de la construction. Les fournisseurs en énergie, s’appuyant sur la technologie existante, développent eux aussi des outils permettant à chacun d’avoir une meilleure maîtrise de la consommation. «Ces outils inscrivent l’utilisateur dans une dynamique comportementale positive», précise Pol Goetzinger.

Gagner en maturité

Gilbert Théato abonde dans ce sens. «Penser construction durable exige d’aller au-delà de la performance énergétique. Aujourd’hui, il faut envisager les développements immobiliers au cœur d’un écosystème plus complexe, intégrant les sciences des matériaux, la technologie, et plus généralement l’aménagement du territoire, explique le directeur de Myenergy. Aujourd’hui, des architectes sont confrontés à des plans d’aménagement qui ne leur permettent pas d’orienter la maison afin qu’elle puisse profiter au mieux des apports énergétiques naturels.»

Pourquoi d’ailleurs devrait-on se satisfaire d’une réflexion à l’échelle de l’unité d’habitation? «C’est sur la notion énergétique au niveau du quartier et même de la ville qu’il faut travailler, poursuit Gilbert Théato. La gouvernance des projets doit gagner en maturité, prendre un peu plus de hauteur afin de pouvoir répondre aux enjeux d’avenir.» De la smart home, il faut donc faire le saut vers la smart city, voire, considérant la taille du Luxembourg, la smart nation.
Envisager les enjeux du développement durable dans le secteur de la construction exige de prendre en compte de nombreux autres aspects, relatifs notamment à la mise en œuvre d’un bâtiment, pour éviter certaines aberrations. «L’utilisation des matériaux, par exemple, doit être réfléchie. Le fait d’utiliser pour la réalisation d’une maison faiblement émettrice en CO2 des matériaux d’isolation dont la production équivaut à 70 ans d’émissions de votre chaudière pour une durée de vie estimée à 30 ans doit être questionné», ajoute encore Christian Rech.
Pour bien faire, il faut prendre en considération dans tout projet immobilier l’ensemble de son cycle de vie, depuis la fabrication des matériaux qui le composent jusqu’à leur recyclage, en incluant l’utilisation, l’entretien et la valeur patrimoniale de l’habitation. Un vrai challenge.
Les aspects environnementaux dans le secteur immobilier sont donc complexes à appréhender et exigent de prendre beaucoup de hauteur, de rassembler les acteurs, afin d’envisager les projets de manière cohérente, responsable et transversale. En se disant qu’ensemble, tout devient possible.

Aides financières
Le bâton et la carotte
Pour inciter les citoyens à migrer vers des habitations plus performantes énergétiquement, l’État luxembourgeois a mis en place un système d’aides financières à la rénovation ainsi qu’à la construction passive.
Dans le cadre d’une rénovation, ces aides financières accordées aux mesures individuelles réalisées sur l’enveloppe du bâtiment dépendent du standard de performance atteint. Autrement dit, plus la performance énergétique sera élevée, plus le montant de la subvention sera important. Les montants sont calculés par rapport à la surface de l’élément de construction après la rénovation. Dans le cadre de la construction, ces aides sont de nature à inciter à adopter le plus rapidement possible des standards élevés. Aussi, au fur et à mesure que les exigences légales en matière de construction entrent en vigueur, les aides connaissent une dégressivité. De manière effective, le montant des aides dans le cadre d’une construction d’une maison passive sera réduit à partir du 1er janvier 2015 de plus de 50%. Aujourd’hui, si l’État accorde une aide de
160 euros/m2 (surface de référence énergétique) pour la construction d’une maison unifamiliale passive, cette aide ne sera plus que de 70 euros/m2 à partir de l’année prochaine. Dans le cadre d’une maison unifamiliale, précisons que le plafond d’aide a été fixé à un maximum de 150 m2. Par ce système incitatif, l’État luxembourgeois espère accélérer une transition plus rapide vers des bâtiments plus performants au niveau énergétique. Cela répond aussi à une certaine logique, en lien avec les exigences de la directive européenne sur la performance énergétique dans le secteur de la construction. À partir du 1er janvier 2015, toutes les maisons construites devront être dans une classe d’isolation de type B et dans une classe de performance énergétique de type A. Ceci étant une obligation, l’aide incitative a moins de raison d’être. L’État joue donc de la carotte et du bâton, en proposant un système d’aides clair, avec une réelle prévisibilité. Notons que l’aide toujours disponible après le 1er janvier 2015 courra jusqu’au 31 décembre 2016. À partir du 1er janvier 2017, en effet, toutes les nouvelles constructions devront respecter les exigences des classes AAA. Elles seront effectivement passives. L’aide n’aura donc plus du tout de raison d’être. Pour ceux qui désireraient bénéficier des aides toujours en vigueur actuellement, il est important de préciser que les aides octroyées le sont en prenant en compte la date de demande de l’autorisation de bâtir. Il n’est donc pas trop tard pour en profiter.

Consommation
Une autre gestion de l’énergie
L’avenir est à la maison intelligente. On voir dès lors poindre le concept de smart metering.
Très prochainement, si ce n’est pas déjà le cas, un utilisateur pourra avoir une vue permanente sur sa consommation d’énergie, qu’il s’agisse de l’eau, du mazout de chauffage ou de l’électricité, venue de l’extérieur ou produite directement par des panneaux photovoltaïques placés sur le toit. Les compteurs étant connectés à la maison, celle-ci étant reliée à des applications, son utilisateur pourra profiter de nombreux indicateurs relatifs à sa consommation. Via un écran, grâce à des applications ou un portail web, il pourra voir comment elle évolue, comparer les périodes où il consomme plus ou moins et, dès lors, prendre les mesures qui s’imposent pour réduire la voilure et alléger le poids de l’énergie sur son portefeuille. Cette technologie est à la porte de la maison. Ces outils seront très prochainement proposés, assortis de nombreux conseils et astuces permettant à chacun d’améliorer sa consommation, et de ce fait réduire les émissions de CO2 qui pourrissent notre climat, tout en maintenant le niveau de confort de chacun. Enovos a annoncé mettre un tel outil à disposition de ses clients prochainement. Mieux informé sur sa consommation, et sur le rendement de ses installations, l’habitant pourra en connaissance de cause envisager de doter sa maison d’infrastructures productrices d’énergie s’appuyant sur les ressources renouvelables, comme le vent, le soleil, la chaleur stockée dans le sol ou l’air. Le modèle actuel de production et distribution de l’énergie risque bien d’évoluer, de migrer vers des installations productrices d’énergie décentralisées. L’autre enjeu, dans le contexte de cette transformation, sera de pouvoir faire évoluer les réseaux actuels de distributions de l’énergie. Ceux-ci ayant été pensés pour distribuer l’énergie produite par quelques grosses centrales devront à l’avenir pouvoir accueillir l’énergie produite par de nombreuses petites installations. Cela ne se gère évidemment pas de la même manière. C’est un tout autre défi qui attend là les gestionnaires de réseaux, mais aussi les fournisseurs en énergie.