Les magasins en libre-service ont fait leur apparition à Luxembourg en 1952. (Photo: Pol Aschman © Photothèque de la Ville de Luxembourg)

Les magasins en libre-service ont fait leur apparition à Luxembourg en 1952. (Photo: Pol Aschman © Photothèque de la Ville de Luxembourg)

«Emplacement, emplacement, emplacement»… Le premier facteur de succès d’un commerce est et reste sa situation. Au cœur de la ville de Luxembourg, dans ce que les professionnels de l’immobilier appellent la zone «high street», les bonnes adresses sont rares. Pour la ville haute, elles se trouvent au confluent des deux axes que sont la Grand-Rue et la rue Philippe II. Et encore, on considère que les meilleurs emplacements sont situés sur des portions congrues de ces deux rues… L’offre, pour l’un de ces emplacements de premier choix, est donc extrêmement limitée. Alors que la demande, elle, ne cesse de croître. Depuis quelques années, le commerce au Grand-Duché connaît d’importantes mutations. «Alors que, il y a peu, les Luxembourgeois allaient encore volontiers à l’étranger pour faire leurs emplettes, depuis une dizaine d’années, ils trouvent de quoi satisfaire leurs besoins sur le territoire de la capitale», explique Jean-Marie In, head of Industrial & Retail Agency chez Property Partners. La levée du moratoire sur le développement de surfaces commerciales a redynamisé ce secteur, entrainant des mutations profondes en son sein. «On compte désormais entre 80 et 130 transactions immobilières liées à des biens commerciaux chaque année au Luxembourg, assure Thierry Debourse, head of Luxembourg Office de Cushman & Wakefield. Le commerce évolue sans arrêt. On a notamment pu le constater au niveau du quartier de la gare, qui a connu un redéploiement important ces dernières années et qui a vu de grandes enseignes internationales s’installer en son sein, parfois aux dépens de commerces multimarques luxembourgeois. On constate que, jusqu’il y a peu, le centre-ville était épargné par ces mouvements. Resté figé pendant longtemps, il bouge à nouveau et rattrape un certain retard.»

Du simple au quintuple

L’attrait pour le centre-ville est aujourd’hui bien réel. Il se traduit notamment par l’évolution des montants des transactions que certaines enseignes sont désormais prêtes à avancer pour jouir d’un bien idéalement situé. Ce nouvel engouement pour le centre-ville ne plaît cependant pas à tout le monde. Des commerçants, historiquement implantés au cœur de la capitale, sont mis sous pression et ne cachent pas leurs inquiétudes de voir leur loyer augmenter quand viendra l’heure de renégocier leur bail. «Actuellement, au niveau des baux commerciaux, les loyers peuvent être renégociés tous les 3, 6 ou 9 ans. Selon les cas, on peut voir des loyers passer du simple au quintuple. Certains magasins, présents au centre, ne sont pas prêts à payer ces loyers. Je connais des commerçants qui ont licencié du personnel afin de pouvoir payer leur loyer. Ça ne peut pas durer», confiait récemment la ministre des Classes moyennes et du Tourisme, Françoise Hetto-Gaasch, qui indique travailler sur une législation plus équilibrée en matière de baux commerciaux. Dans le centre-ville, le montant moyen du «prime rent» a évolué de 4,2% en un an, alors que la croissance sur les cinq dernières années n’a été que de 0,8%. Aujourd’hui, il s’établit à 125 euros par mètre carré par mois. Au niveau du quartier de la gare, la croissance annuelle a été un peu plus importante encore. Elle s’établit à 7,7%. Le prime rent, en cinq ans, a évolué de 2,5%. La mensualité moyenne au mètre carré s’établit à 70 euros. Ça grimpe, donc. Et, à ce rythme, pour peu que l’on renégocie son bail à neuf ans, les différences entre le loyer d’origine et celui d’arrivée ont, en effet, de quoi chambouler un business plan. «Il faut cependant faire la part des choses entre les rumeurs et la réalité chiffrée, commente Thierry Debourse. S’il est vrai que certains commerçants craignent pour leur avenir au regard des récentes transactions effectuées au cœur des centres commerciaux et en centre-ville, il faut aussi faire le constat que le high street a repris du poil de la bête.»

Haut de gamme et luxe

Pour calculer les loyers, on use de méthodes complexes et bien précises. Mais il demeure que l’offre et la demande régulent la croissance. Ainsi, le prime rent est évalué en fonction de la surface utilisable ou commerciale, selon des critères qui prennent en considération l’emplacement, la dimension de la vitrine, la surface disponible 10 mètres au-delà de la vitrine, qui, étant visible depuis la rue, est mieux valorisée, puis enfin le reste des mètres carrés du rez-de-chaussée, de l’étage ou du sous-sol, qui ont moins de valeur.

Un bien idéalement situé, avec la vitrine la plus grande possible (quitte à rogner sur les portes permettant l’accès aux étages) et un large espace de plain-pied, sera donc mieux valorisé qu’un magasin étroit et profond. «Le centre-ville n’intéresse que des enseignes spécifiques, différentes de celles qui cherchent à s’implanter au sein des centres commerciaux ou des retail park, précise Jean-Marie In. De manière générale, dans les capitales européennes, les centres-villes accueillent des enseignes moyen-haut de gamme, haut de gamme ou de luxe. Ces enseignes cherchent toujours le meilleur emplacement, dans la meilleure portion de la rue. Elles veulent pouvoir s’implanter entre telle et telle boutique. Leurs exigences sont extrêmement précises et elles sont prêtes à mettre le prix pour s’installer là où elles le souhaitent.» Les enseignes de luxe, depuis 2007, se sont amourachées de Luxembourg. Si certaines sont présentes au cœur de la capitale depuis plusieurs années, d’autres font part d’un nouvel intérêt pour la ville. Certes, Cartier, Louis Vuiton, Hermès ou Rolex étaient déjà présents. Mais on a vu arriver Gucci, Chanel ou Montblanc, avant peut-être Dior ou Prada. Cartier a déménagé dans un espace plus grand et a été jusqu’à débourser 2,5 millions d’euros en guise de pas-de-porte (voir encadré) pour obtenir l’emplacement souhaité. «Si Cartier accepte de payer cela, c’est parce que ce bien est idéalement situé, parce que le bail reste raisonnable, qu’il y avait peu de travaux à faire. Ce déménagement lui a permis de tripler sa surface et doit engendrer une hausse du chiffre d’affaires», commente Thierry Debourse. L’exemple de Cartier n’est cependant pas isolé. De nombreuses enseignes sont aujourd’hui prêtes à payer le prix fort pour s’installer là où elles le désirent.

Disparité justifiée

Plusieurs éléments permettent de définir qu’un emplacement est plus intéressant qu’un autre. Le premier réside dans le trajet emprunté par les piétons. «Il suffit de s’arrêter au niveau d’une rue et d’observer pendant un moment les gens qui passent. On peut identifier assez précisément les trajets privilégiés par les chalands, qui vont par exemple traverser la rue pour aller voir telle vitrine, aller jusqu’à un endroit déterminé sans poursuivre plus loin ou avant de retraverser la rue pour admirer les produits d’une autre locomotive commerciale, explique Jean-Marie In. Des études ont été menées et nous permettent de déterminer quelles sont les portions de rue les plus intéressantes pour les enseignes.» La présence d’une enseigne motrice peut considérablement augmenter les prix du bien voisin, sans pour autant avoir un impact sur celui de la vitrine installée à deux pas dans une rue secondaire. On peut en effet constater de fortes différences entre les loyers demandés pour différents biens situés pourtant à quelques mètres les uns des autres. «Certains propriétaires, dès lors, ne comprennent pas que, en étant situés juste à côté de Hugo Boss ou de Nespresso, mais dans une rue secondaire, ils ne puissent obtenir un loyer qui est deux ou trois fois inférieur à celui de ces enseignes de standing. Mais, en étant situés dans une rue secondaire, la visibilité n’a rien de comparable», assure Jean-Marie In.

En matière commerciale, la ville de Luxembourg est en train de se repositionner. Le marché dicte ses règles. Un nouveau mix commercial s’établit. Même s’il n’est pas toujours au goût de tout le monde. «En deux ans, la ville haute est montée en gamme, attirant notamment des enseignes de luxe, mettant une certaine pression sur les commerces présents historiquement, mais qui ne peuvent pas s’aligner sur les offres faites par de grands acteurs internationaux. En dehors de deux acteurs locaux qui ont pu gagner en envergure ces dernières années, de nombreux autres commerces peinent à se maintenir dans les zones considérées comme les mieux situées. C’est ce qui explique un certain mouvement de contestation des petits commerçants», précise Jean-Marie In. En outre, la politique de la ville en termes de mobilité, qui privilégie les transports en commun par une limitation des places de parking et une augmentation du tarif de stationnement, incite beaucoup d’enseignes à envisager une autre localisation. Du côté de la gare, par contre, les espaces disponibles sont plus vastes et les prix du loyer plus abordables. L’accès en voiture ou en transport en commun est facilité. La ville haute étant devenue, pour beaucoup, trop chère, il y a un nouvel intérêt pour ce quartier plus accessible. On retrouve donc des enseignes internationales proposant des produits moyen de gamme.

Repositionnement

Le centre-ville, à l’avenir, sera-t-il exclusivement dédié au luxe ou une mixité d’enseignes est-elle à plébisciter? Les professionnels de l’immobilier estiment que les marques de luxe sont des éléments à ne pas négliger pour renforcer l’attractivité touristique de la capitale. «Des touristes en provenance de Chine apprennent l’existence de Luxembourg parce qu’ils ont vu le nom de la ville sur le site internet de Chanel, tout simplement», ajoute Jean-Marie In. En outre, ces enseignes de luxe, en attirant un flux plus important de passage au niveau des axes principaux, ne peuvent que générer des retombées positives au niveau des rues secondaires. «Ces commerçants, même s’ils sont un peu moins bien situés, pourront profiter du nouveau dynamisme que connaît Luxembourg au niveau commercial. Je ne serais pas étonné que, dans les années à venir, des rues commerçantes actuellement considérées comme axes secondaires gagnent en attractivité et connaissent un nouveau développement», ajoute Jean-Marie In. Des projets, de plus, doivent encore voir le jour au centre de Luxembourg, comme le Royal Hamilius, et en périphérie, celui du Ban de Gasperich. Il faudra voir quel sera leur impact sur les loyers. Ce qui est certain, c’est que le commerce au cœur de la capitale n’a pas encore fini sa mutation.

Pratique

Le pas-de-porte, un droit d’entrée

Au Luxembourg, le recours au pas-de-porte a tendance à se généraliser. Cette pratique consiste à payer un droit d’entrée pour un emplacement. Le pas-de-porte est payé au commerçant déjà installé, qui dispose d’un contrat de bail en bonne et due forme, par une enseigne qui désire occuper son emplacement. Il y a moins de 15 ans, cette pratique était quasi inexistante au Luxembourg, alors qu’en France, par exemple, elle est généralisée. Ce sont d’ailleurs des enseignes françaises (Sephora, Grand Optical) qui ont introduit ce concept au Grand-Duché. En toute logique, le commerçant entend bien récupérer cet investissement au moment de sa sortie, en exigeant un droit d’entrée à celui qui prendra sa place alors que son bail n’est pas forcément arrivé à échéance. Il essaiera même de le valoriser. Depuis, la pratique du pas-de-porte s’est généralisée au Luxembourg. Ainsi, le centre-ville a vu ses pas-de-porte flamber. Avec l’arrivée des marques de luxe, certains pas-de-porte, dans le centre de Luxembourg, peuvent atteindre 2 millions d’euros.