Le «Groupe Bruxelles Lambert a la tristesse d’annoncer qu’Albert Frère, président d’honneur et actionnaire de contrôle conjoint de la société, s’est éteint ce jour à l’âge 92 ans».
C’est par un communiqué que le Groupe Bruxelles Lambert (GBL) a annoncé le décès de ce patron qui aura marqué l’économie européenne durant un demi-siècle.
C’est sous son impulsion, en effet, que GBL deviendra la seconde holding d’Europe, présentant un actif net réévalué de 19 milliards d’euros et une capitalisation boursière de 15 milliards fin septembre 2018.
Albert Frère, c’est évidemment un nom étroitement lié à la CLT (RTL) qu’il rapprochera d’UFA. Mais au fil des années, les racines luxembourgeoises de GBL sont devenues de plus en plus fortes. Désormais, ce sont 60% des actifs de la holding qui sont gérés depuis les bureaux de la route d’Arlon à Strassen.
La sidérurgie d’abord
Albert Frère naît en 1926 à Fontaine-l’Évêque, près de Charleroi. Ses parents sont à la tête d’une entreprise de production et de vente de clous. Quand il en prend les commandes, Albert Frère se lance dans l’exportation. Il profite des effets de la guerre de Corée, achète de l’acier partout, réussit déjà quelques jolis coups...
Finalement, à 28 ans, il met la main sur sa première entreprise sidérurgique, les laminoirs du Ruau. Son ascension est lancée, plus rien ne l’arrêtera. En 20 ans, il devient le roi du bassin sidérurgique carolo et se bâtit une énorme fortune personnelle. La crise de la sidérurgie arrive avec les années 80.
Albert Frère anticipe les évolutions et profite à plein des aides d’État. Il prend la tête des bassins liégeois et carolo fusionnés, devenus Cockerill-Sambre, puis quitte la sidérurgie en revendant ses parts à l’État, au prix fort.
Tractebel, Petrofina, Suez...
Durant ces années, Albert Frère a pris goût à la finance. Il acquiert 35% des parts du Groupe Bruxelles Lambert qui va mal, en s'associant au richissime Canadien Paul Desmarais, qui restera pour toujours son allié. GBL l’aide à avoir un pied dans des entreprises qui seront déterminantes par la suite: Tractebel, CLT, Petrofina...
Rusé renard, il cède Petrofina qui commence à battre de l’aile contre une entrée à hauteur de 6,8% dans la firme Total qui, suite à sa fusion avec Elf, deviendra le quatrième pétrolier mondial. Auparavant, il avait déjà vendu ce qui lui restait de Tractebel à la Générale de Belgique, pour entrer au capital du groupe Suez.
Albert Frère a une tactique limpide, mais efficace: multiplier les participations dans de grands groupes européens. Une diversification qui le rend moins influent, mais incontournable et lui offre le loisir d’être partie prenante à la globalisation de l’économie.
Il va aussi recomposer le paysage du secteur bancaire. Notamment en laissant ING lancer son OPA sur la Banque Bruxelles Lambert ou en cédant le fleuron de l’assurance qu’est la Royale Belge au groupe Axa.
CLT+UFA: c’est lui
Mais son coup le plus fumant, c’est dans l’audiovisuel qu’il va le réussir. Il va hisser la CLT, la compagnie luxembourgeoise de radiotélévision, en premier groupe audiovisuel d’Europe. En 1985, il est candidat pour lancer la Cinq sur le marché français. François Mitterrand fait barrage pour différentes raisons.
Albert Frère se voit attribuer la 6, qui deviendra M6 et connaîtra un beau développement tandis que la Cinq essuiera bien des tempêtes. En avril 1996, Frère noue une alliance entre CLT et UFA, le pôle audiovisuel du géant allemand de l’édition Bertelsmann.
Quatre ans plus tard, la CLT-UFA s’allie au pôle télévisé du groupe anglais Pearson pour donne naissance à RTL Group, premier groupe audiovisuel d’Europe. Comme à son habitude, Albert Frère échange en 2001 ses 30% chez RTL Group contre 25,1% chez Bertelsmann.
GBL dit adieu aux médias quelques années plus tard en empochant un pont d’or. Il revendra en 2006 sa participation à la famille Mohn, actionnaire familial de Bertelsmann, pour 4,5 milliards d’euros, enregistrant au passage une plus-value de 2,4 milliards d’euros!
En 2015, Albert Frère avait laissé son poste de CEO au duo composé de son gendre Ian Gallienne et de son collaborateur Gérard Lamarche, cela sous le contrôle de son fils Gérald, président de la holding. Sa fille Ségolènne Gallienne et son petit-fils Cédric ont aussi intégré le conseil d’administration. La saga Frère n’est donc pas terminée. Et de nombreuses lignes s’écriront encore depuis le Grand-Duché.