Alain Kinsch  et Caroline Dupuy, managing partner et Communication and Press relations manager, Ernst & Young (Photo : David Laurent/Wide)

Alain Kinsch et Caroline Dupuy, managing partner et Communication and Press relations manager, Ernst & Young (Photo : David Laurent/Wide)

Comment une structure comme Ernst & Young organise-t-elle sa communication ? Certains aspects de son activité sont réglementés, et donc ne permettent pas une totale liberté…

Alain Kinsch : « Dans la pratique, le département Communication me répond directement. Pour un Big 4, la communication est une fonction extrêmement impor­tante, que le managing partner d’un grand cabinet d’audit et de conseil doit superviser personnellement. La première question est de savoir à quel public on cherche à s’adresser. En premier lieu, il y a bien évidemment nos clients. Il ne s’agit pas du grand public, mais d’institutionnels ou d’entreprises nationales et internationales. Nous devons communiquer avec eux grâce à des vecteurs que nous choisissons avec attention. De manière assez naturelle, nous privilégions la presse spécialisée à la télévision ou au cinéma. Un élément important est, en effet, le contenu. C’est grâce à lui que nous pouvons démontrer notre capacité technique, à travers des publications et des articles. Cela permet aussi de rappeler que nous faisons partie d’un réseau, et que nous pouvons faire appel à des compétences en dehors du Luxembourg.

Et, effectivement, nous travaillons – au moins partiellement – dans un secteur réglementé. Il y a un code éthique, qui ne nous permet pas de faire n’importe quelle sorte de communication – même si ce code est moins contraignant que celui des avocats.

Pour nos activités de conseil opérationnel ou stratégique, ou bien encore dans le secteur de l’informatique ou dans le domaine fiscal, nous sommes plus libres. C’est à nous de décider ce que nous souhaitons faire.

Caroline Dupuy : « La profession de l’audit très réglementée, soumise au respect d’un code de déontologie très strict, nous oblige à analyser pour toute communication les parties avec lesquelles nous interagissons et, plus largement, nous interdit toute publicité ou promotion de nos services d’audit. Par exemple, une analyse approfondie est requise avant de cosigner un article ou rédiger une préface.

Quelles sont vos cibles ? Vous limitez-vous aux entreprises ?

A. K. : « Je me souviens, quand j’ai commencé chez Arthur Andersen, ma grand-mère m’avait alors demandé ce que je faisais comme travail. Je me suis rendu compte qu’après une demi-heure d’explications, je n’avais pas réussi à bien le lui faire comprendre ! Chaque année, nous embauchons environ 200 personnes. Nous avons donc d’autres cibles que les entreprises et avons tout intérêt à être ‘pédagogues’ en termes de communication.

Il y a tout d’abord les jeunes et les étudiants, qu’il faut intéresser à nos métiers. Si l’Institut des Réviseurs d’Entreprises le fait, nous y participons également à travers des publicités, des stands sur les salons étudiants ou le sponsoring d’associations étudiantes. Et il y a le grand public. Nous travaillons cette cible en développant une approche de responsabilité sociétale des entreprises. Nous sommes par exemple partenaires de l’association SOS Villages d’Enfants Monde et sponsorisons en particulier leur concert annuel. Il y a plusieurs centaines de personnes à l’événement, où nous pouvons les rencontrer et nous faire connaître.

Notre troisième cible rassemble tous ceux qui ne se trouvent pas au Luxembourg. Ernst & Young, par son appartenance au réseau, a pour objectif de faire la promotion de notre pays, en le représentant, en mettant en avant les atouts de la Place. C’est d’autant plus important que le Luxembourg est certainement un des pays dans lesquels nous pesons le plus lourd, tous ensemble, en termes de pourcentage de la main d’œuvre. Les associés, dans leur réseau, doivent faire la promotion du pays, de la même manière que nous devons aider et accompagner le gouvernement lors de missions économiques, ou de promotion, à l’étranger. Je pense que cette partie est un élément constitutif de notre stratégie de communication.

Comment choisissez-vous et construisez-vous vos messages ?

C. D. : « Nous sommes sur un marché où la concurrence est particulièrement forte. Il est donc important de réussir à rendre nos métiers plus palpables pour des externes. Et pour faire cela, ce sont nos clients qui sont nos meilleurs guides, grâce aux informations qu’ils nous font remonter.

A. K. : « Un grand défi est de réussir à faire comprendre notre spécificité. Les grands cabinets offrent tous des services assez similaires. Il faut donc faire ressortir ce qui nous différencie à travers la communication. Par exemple, si l’on porte attention au logo d’Ernst & Young, nous sommes les seuls à y avoir intégré notre tagline : ‘Quality in everything we do.’ Cela prouve bien que c’est un élément décisif pour nous. C’est également une promesse à nos clients : celle de pouvoir travailler avec eux, en permanence, avec à l’esprit, et jusqu’à la dernière minute, la qualité de ce que nous faisons. La qualité fait partie de l’ADN de l’entreprise.

C. D. : « Il est important de bien se connaître pour se faire comprendre. Et bien se faire comprendre passe par une bonne pédagogie autour de nos spécificités. À nouveau, il faut revenir vers nos clients, nos références. Notre forte spécialisation est en fait une réponse aux demandes des clients. Nous avons adapté notre modèle organisationnel à celui de notre clientèle locale et internationale. Nous sommes par exemple les seuls à être organisés par secteur industriel et par métier.

A. K. : « C’est effectivement une des particularités. Lors­­que les jeunes diplômés arrivent chez nous, ils peuvent dès le début marquer leur préférence pour un secteur ou un autre, comme le private equity, l’immobilier ou le secteur des télécom s et médias. C’est un modèle qui nous permet, vis-à-vis des clients, de mettre sur les missions des gens avec de l’ex­pé­rien­­ce, même s’ils sont encore jeunes. Si nous voulons proposer des services de conseil à nos clients, c’est d’autant plus simple s’ils ont en face d’eux des interlocuteurs qui connaissent leur secteur. Cela permet également de développer des compétences. Nous incitons même les jeunes recrues à écrire des articles, à proposer des contenus. L’objectif est de mettre leur nom sur le marché, de mettre en place une ‘pression positive’ pour communiquer et échanger.

Un autre élément de notre communication est l’événementiel. Nous organisons par exemple un tournoi de golf. Nous participons à des conférences de l’Alfi, ou de l’ABBL, ainsi qu’à des événements ciblés, comme le Mipim. L’intérêt de ces moments, c’est que l’on est dans un véritable environnement B2B, et que l’on peut avoir une discussion de personne à personne, en face à face, de manière hyper ciblée.

C. D. : « En étant aux bons endroits, au bon moment, là où les clients nous voient, cela permet de leur réserver du temps et de créer un lien spécial.

Y a-t-il d’autres défis à relever ?

A. K. : « Une autre chose qu’il faut expliquer et mettre en avant, c’est la manière dont nous sommes organisés. Notre modèle est très intégré. Si je suis le managing partner pour le Luxembourg, chaque associé en charge d’un département répond également à un responsable métier au niveau européen. C’est une organisation matricielle qui permet de mieux intégrer les différentes entités nationales. Cela se traduit aussi par une trentaine de collaborateurs étrangers qui travaillent chez nous, ainsi qu’une quarantaine de nos collaborateurs qui sont en mission dans d’autres pays.

Il nous faut aussi régulièrement répéter notre solide ancrage national. Avec près d’un tiers des associés luxembourgeois, c’est le taux le plus élevé localement dans notre profession. Nous continuons également de renforcer notre présence dans des marchés clés. La communication doit expliquer que nous sommes à la fois locaux et internationaux.

Mesurez-vous l’efficacité de votre communication, avec un suivi des résultats ?

A. K. : « Nous n’utilisons pas d’outil d’analyse externe pour faire le suivi de nos actions de communication. Ce qui est fait est à la fois quantitatif et qualitatif. Nous suivons le traitement de nos communiqués dans la presse, nous avons le feedback de nos équipes et de nos clients… Nous évaluons également son efficacité par le retour du marché que reçoivent nos différents associés. C’est la satisfaction des responsables de chaque métier qui nous sert de guide principal.

C. D. : « En fait, plutôt que de faire un suivi a posteriori, nous préférons faire une bonne sélection des relais a priori. Ce sont nos besoins qui construisent notre communication, en segmentant notre présence. Nous réfléchissons à qui consulte les différents médias, et nous nous y adaptons. L’enjeu est également de réussir à lisser notre présence, pour ne pas systématiquement présenter la même personne pendant trois mois, ou pour assurer une homogénéité dans les sujets d’intervention.


Parcours - Duo

Âgée de 40 ans, Caroline Dupuy est titulaire d’une maîtrise en Langues étrangères appliquées option Affaires et commerce de l’Université de Metz, puis d’un DESS en Commerce interna­tional de l’Université de Paris-Sorbonne. Elle rejoint le département Marketing d’Arthur Andersen en 1998. Après
avoir été en charge du site Internet luxembourgeois et responsable du suivi des relations presse, elle est depuis deux ans responsable de la
communication externe et des relations presse pour l’entreprise. Également âgé de 40 ans, Alain Kinsch a obtenu un magistère en Sciences de gestion
de l’Université de Paris-Dauphine en 1995, complété d’un MBA de l’INSEAD en 2003. Il est le Country managing partner de Ernst & Young Luxembourg depuis début 2010.