Monsieur Georges, vous avez vécu, de l’intérieur, la montée en puissance de Fortis dans BGL, avant de tirer votre révérence. Etait-ce déjà, en 2000, la fin de sa «luxembourgisation»?
«Il n'est pas très utile de reconstruire le passé, même si l'on peut ressentir quelque tristesse en constatant que les solutions d'aujourd'hui auraient été possibles hier, et auraient ainsi évité un coût humain et financier considérable.
Il semble clair, aujourd'hui comme en 2000, qu'une banque importante comme la BGL doit travailler dans un groupe international, à moins d'atteindre rapidement une taille suffisante par fusion, pour pouvoir offrir un service complet et de qualité à sa clientèle locale et internationale. Le rattachement à la BNP semble être ainsi la meilleure solution, offrant un partenaire solide et compétent.
Comme en 2000, la question est aujourd'hui celle de l'autonomie de la BGL. Peut-on trouver une solution sous la forme partenariale, proposée déjà en 1999, installée aujourd'hui par le tandem Etat-BNP?
Vu, ensuite, de l’extérieur, avez-vous senti venir, d’une façon ou d’une autre, les événements qui viennent de se dérouler?
«Le modèle Fortis était fragile. Une structure complexe, un assemblage d'une dizaine d'entreprises disparates, un processus décisionnel alambiqué, une attribution de responsabilités biaisée souvent par des choix ayant peu à voir avec compétence professionnelle ou expérience de banquier.
La banque n'est pas un métier pour visionnaires. C'est un métier dangereux et difficile exigeant un esprit d'entreprise affirmé, mais tempéré par ailleurs par une très grande prudence, un jugement réfléchi et un ensemble de normes et de valeurs résistantes aux modes du jour. Cet ensemble de vertus forme la culture d'entreprise qui prend des années à mûrir et des années à apprendre.
Le temps a manqué, le bon modèle manquait et la crise financière a précipité les choses.
La participation de Fortis dans le consortium de rachat d’ABN Amro a été perçue par beaucoup comme «suicidaire». Etiez-vous de cet avis?
«A mon avis, l'acquisition partielle d'ABN Amro était une opération justifiée du point de vue stratégique et porteuse de synergies considérables.
L'opération était cependant d'une taille telle qu'elle pouvait menacer la survie de l'acquéreur. L'histoire des banques, celle de la disparition de la Midland Bank en 1987 par exemple, montre les dangers d'une politique d'acquisition trop ambitieuse et mal exécutée.
Dès l'acquisition d'ABN Amro, une démarche prudente aurait mené Fortis à une seule priorité: faier en sorte, sans délai, que son bilan soit en mesure de porter le fardeau de l'acquisition, quels qu'eussent été les sacrifices à consentir dans d'autres parties du groupe. De l'extérieur, il m'a semblé que, malheureusement, les priorités étaient plutôt du côté de l'intégration et du compte de pertes et profits.
Du temps précieux a été perdu, la crise est venue et d'un jour à l'autre, il était trop tard.
L’Etat a-t-il parfaitement joué son rôle en injectant de l’argent frais dans les caisses de Fortis Luxembourg (et, accessoirement, de Dexia BIL)?
«BGL-BNP, l'ancienne Fortis Banque Luxembourg, est la plus grande banque du Luxembourg, principale banque de l'artisanat, du commerce et de l'industrie, très importante aussi pour le marché des particuliers et le private banking.
Sa chute, entraînée par celle de la maison mère, aurait provoqué des perturbations systémiques graves au Luxembourg. L'intervention de l'Etat a permis d'éviter cette catastrophe. L'Etat était donc absolument dans son rôle, agissant dans un cas de danger extrême pour protéger l'économie et la population luxembourgeoises. L'action claire, déterminée et rapide du Gouvernement mérite respect et considération.
Le plus dur est-il passé?
«Je crois que pour la nouvelle BGL-BNP, les craintes existentielles apaisées, clients et collaborateurs peuvent respirer. Le management actuel, gardien de la continuité depuis l'ancienne Banque Générale du Luxembourg et sa culture d'entreprise saine, est bien placé pour continuer le développement de la banque après la rupture avec Fortis. Après 90 ans, la BGL pour la première fois n'aura pas de lien direct avec son partenaire historique belge! Il faut maintenant définir une nouvelle stratégie ensemble avec la BNP et l'Etat luxembourgeois.
Quant à la crise boursière et la récession, elles vont peser lourdement sur nos économies et rester une préoccupation majeure pour nos gouvernants, acteurs économiques et citoyens.
Très généralement, se dirige-t-on désormais vers une «nouvelle donne» en matière de pratiques financières, capitalistiques et de globalisation, une fois que le calme sera revenu?
«L'économie évolue en cycles depuis que l'activité économique est mesurée. Dans le cadre d'une tendance générale positive sur la durée, l'activité connaît des périodes de croissance, suivies de périodes de ralentissement et d'ajustement. Notre mémoire étant courte, nous croyons, lors de chaque période de croissance, à sa pérennité. Quand la récession arrive, destinée à corriger les excès accumulés (cette fois-ci surtout dans l'évaluation des actifs), nous croyons volontiers que c'est la fin d'un monde ou d'une époque.
L'économie de marché se maintiendra comme le modèle le plus efficace pour favoriser la croissance de la prospérité, stimulée par une productivité croissante, appuyée par le progrès technologique et l'extension de la globalisation.
Il est certain qu'il faudra revoir la copie de la réglementation bancaire. Pléthorique, cette réglementation minutieuse passe parfois à côté de l'essentiel, comme les contraintes de liquidité. Les USA doivent discipliner leur système financier. Les Européens doivent aller vers un système mieux coordonné et concerté s'ils veulent faire l'EURO et devenir le marché de référence et le pilier du système financier mondial.
Il y a du pain sur la planche des gouvernants et régulateurs. Il faut une meilleure réglementation, en évitant d'en faire simplement davantage ».