Le sujet est tabou au Luxembourg et le cabinet du Premier ministre (également titulaire du portefeuille médias et communication) s'est bien gardé de dire qu'il avait été évoqué avec le Conseil de presse ce lundi. Et pourtant, les aides à la presse, dans le collimateur de la Commission européenne, ont bel et bien été à l'ordre du jour de la réunion. Dans son édition d'avril, parue la semaine passée et consacrée à l'avenir de la presse écrite au Luxembourg, le mensuel Forum indiquait que le régime de promotion de la presse écrite pourrait bientôt disparaître sous sa forme actuelle, car la loi contrevient à la réglementation européenne sur la libre concurrence.
Échanges épistolaires entre Bruxelles et Luxembourg
La publication collaborative s'appuie sur les dires de Mario Martini, professeur de droit administratif européen à l'Université de Spire, lequel souligne que le système luxembourgeois pourrait être interprété comme faussant la concurrence du fait qu'il privilégie certaines entreprises, en l'occurrence une dizaine de journaux ou magazines luxembourgeois bénéficiant de l'aide étatique. Les produits de presse étrangers vendus au Grand-Duché sont exclus de ce régime, précise Forum. Rappelant que dans les pays membres de l'Union européenne, tout mécanisme d'aide à la presse doit obtenir le feu vert de la Commission européenne, l'expert allemand explique que, en vertu du traité européen, celle-ci peut accorder une exception à la règle de la concurrence sans entrave, à condition que l'État membre ait adressé une procédure de notification à Bruxelles et que cette aide soit conforme à des conditions d'autorisation liées à la diffusion du contenu. Ni l'un ni l'autre ne sont respectés, conclut le mensuel.
Au Luxembourg, le régime de promotion de la presse écrite repose à la fois sur une aide directe et des aides indirectes. L'aide directe est définie par la loi du 3 août 1998: elle est constituée d'une part fixe (154.083 euros en 2014), déterminée chaque année par un règlement grand-ducal, à laquelle s'ajoute une part variable calculée au prorata du nombre de pages éditées par an (132,54 euros par page en 2014). Plusieurs critères conditionnent en outre l'obtention de cette aide directe. Les journaux bénéficiaires reçoivent de plus un soutien sous forme indirecte, par le biais de tarifs préférentiels en matière de TVA et de frais postaux, d'avis officiels publiés dans la presse et d'un nombre conséquent d'abonnements souscrits par des institutions étatiques. Le montant total de cette aide n'est pas connu, mais le mensuel le chiffre à plus de 10 millions d'euros par an.
Le principe devrait perdurer
Selon Forum, le gouvernement luxembourgeois a informé la Commission européenne en 1997 de l'existence du régime d'aide à la presse, mais celle-ci n'avait alors pas pris de décision, et la notification fut ensuite retirée. Le gouvernement justifie ce régime de promotion par la nécessité de garantir le pluralisme démocratique et l'identité culturelle. Le mensuel se demande si ces arguments sont suffisants pour justifier le maintien de ce système, faute de quoi la Cour européenne de justice pourrait exiger que l'État récupère les sommes versées aux groupes de presse.
Toujours selon Forum, le Premier ministre, Xavier Bettel, qui aurait informé par écrit les éditeurs luxembourgeois de la situation actuelle, souhaite mettre le Luxembourg en conformité avec les exigences de la Commission européenne. Le Service des médias et des communications s'apprêterait à formuler une nouvelle notification sur l'aide à la presse, en vue de l'adresser à la Commission. Le Luxembourg espère ainsi bénéficier de l'exception légale, à l'instar d'autres pays de l'UE. Mario Martini ne partage pas cet optimisme: si l'aide luxembourgeoise à la presse vise bien le pluralisme des médias, elle ne fixe pas les mêmes conditions de départ à la diffusion des contenus journalistiques – notamment pour la presse électronique –, d'autant plus que le soutien étatique est substantiel. À Bruxelles, on se contente d'indiquer qu'on analyse le dossier, en attendant que la Commission affiche sa position. Selon les informations recueillies par paperJam.lu, le gouvernement n'envisage pas de supprimer le principe d'aide à la presse. Il l'aurait indiqué aux représentants du Conseil de presse.