La législation luxembourgeoise sur les aides financières accumule les remontrances de la CJUE, qui se prononce sur deux clauses ces jours-ci. (Photo: licence cc )

La législation luxembourgeoise sur les aides financières accumule les remontrances de la CJUE, qui se prononce sur deux clauses ces jours-ci. (Photo: licence cc )

La CJUE s’est prononcée mercredi dans l’affaire C-238/15 Bragança Linares Verruga contre ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Elle a suivi les conclusions de l’avocat général publiées en juin dernier en estimant que l’exigence d’avoir travaillé pendant cinq années successives au Luxembourg n’est pas conforme au droit de l’UE.

Un nouveau coup de griffe dans la législation luxembourgeoise sur les aides financières aux étudiants, qui n’en finit pas de susciter des recours devant la justice. La loi du 28 juillet 2010 venait remplacer les allocations familiales pour les jeunes de plus de 18 ans par un système destiné à encourager la poursuite d’études par les jeunes résidents. Contestée par les syndicats et retoquée par la CJUE pour violation de la libre circulation des travailleurs, puisqu’elle privait les enfants de frontaliers de ces aides, elle avait été remplacée par une nouvelle loi le 19 juillet 2013.

La Cour avait suggéré dans son arrêt Giersch que l’on pourrait éviter de voir apparaître un «tourisme des bourses d’études» en conditionnant l’octroi de l’aide financière au fait que le travailleur frontalier qui demande une bourse pour son enfant ait travaillé dans l’État membre pendant une période minimale déterminée. Une recommandation que le gouvernement a suivie en imposant la condition que les parents frontaliers justifient avoir travaillé au Luxembourg de manière ininterrompue durant les cinq années précédant la demande de bourse.

L’enjeu du lien d’intégration

C’est pour cette raison qu’André Angelo Linares Verruga, résidant chez ses parents à Longwy, a essuyé un refus lors de sa demande de bourse à l’automne 2013. Ses parents travaillaient en effet tous les deux au Luxembourg depuis 2004, mais pas de manière ininterrompue – sa mère a connu une interruption de trois mois fin 2011 et son père de deux ans entre 2011 et 2013. L’étudiant a attaqué la réponse du ministère de l’Enseignement supérieur devant le tribunal administratif qui a directement posé une question préjudicielle à la CJUE: cette condition des cinq années consécutives est-elle conforme au droit européen?

Soutenu par ses homologues danois et norvégien, le gouvernement luxembourgeois a argumenté devant la Cour que la condition d’une durée de travail au Luxembourg minimale et ininterrompue de cinq ans vise à assurer que les aides financières reviennent aux seuls étudiants qui entretiennent avec la société luxembourgeoise un lien de rattachement tel qu’il existe une haute probabilité d’une installation au Luxembourg et d’une intégration au marché du travail luxembourgeois au terme des études supérieures.

Comme l’avocat général Melchior Wathelet en juin dernier, la Cour considère que la condition d’une durée de travail ininterrompue de cinq ans constitue une discrimination injustifiée et enfreint le droit de l’UE. Si elle juge légitime que le Luxembourg requière un lien d’intégration avec la société luxembourgeoise pour se prémunir contre un risque de «tourisme des bourses d’études», tout comme elle juge appropriée la condition d’une durée de travail minimale du parent travailleur frontalier, elle estime que le législateur est allé trop loin en exigeant une durée de travail ininterrompue.

Une clause remplacée en 2014

La CJUE relève que, dans le cas d’espèce, les parents de l’étudiant avaient travaillé près de huit ans – une durée qualifiée de significative – au Luxembourg, nonobstant quelques brèves interruptions, au moment de la demande de bourse.  

Il se trouve que le gouvernement luxembourgeois a anticipé cette nouvelle charge de la CJUE contre sa législation sur les aides financières en introduisant une règle plus souple par la loi du 24 juillet 2014: le travailleur frontalier doit justifier d’une durée minimale de travail de cinq ans au cours des sept années précédant la demande de bourse de son enfant.

Un assouplissement qui n’a pas convaincu l’avocat général. Dans ses conclusions, celui-ci avait rappelé la position de la Cour dans un arrêt de 2012 Pays-Bas contre Commission, qui concernait justement l’attribution d’aides financières aux enfants de frontaliers sous réserve que leurs parents aient travaillé en Hollande au moins trois ans sur les six précédant la demande. La CJUE avait donné tort aux Pays-Bas.

Un nouvel arrêt jeudi

La CJUE ne se prononce pas expressément sur ce point, mais précise que la jurisprudence Giersch ne pourrait pas s’appliquer dans le cas des étudiants issus de parents travailleurs frontaliers. Elle concerne strictement des personnes candidates au séjour permanent et s’applique «uniquement à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut, et les membres de leur famille».

La CJUE a en tout cas ajouté une ligne à la liste des ajustements invalidés, le plus récent étant le non-cumul avec des aides au logement. Une liste qui pourrait s’allonger dès demain avec la réponse très attendue à une question préjudicielle portant cette fois sur l’éligibilité des beaux-enfants d’un travailleur frontalier.

De son côté, l’OGBL a réagi mercredi en déplorant que la CJUE accepte l’argument du lien d’intégration comme condition à l’octroi de bourse d’études. Le syndicat défend «le droit inconditionnel de tous les travailleurs à bénéficier des mêmes avantages sociaux dans le pays dans lequel ils travaillent, pendant la durée de leur travail, comme le prévoit expressément le règlement sur la libre circulation des travailleurs».