Sasha Baillie: «La situation économique est favorable au Luxembourg, mais il convient aussi de réfléchir à l’avenir.» (Photo: Anthony Dehez)

Sasha Baillie: «La situation économique est favorable au Luxembourg, mais il convient aussi de réfléchir à l’avenir.» (Photo: Anthony Dehez)

Madame Baillie, vous venez de prendre les fonctions de CEO de Luxinnovation. Quelles ont été les raisons qui vous ont poussée à accepter cette proposition?

«J’avais déjà beaucoup travaillé dans les domaines couverts par Luxinnovation. Le ministère de l’Économie, où j’étais chef de cabinet adjoint du ministre, travaille en étroite collaboration avec l’agence et je m’occupais justement du ressort de la promotion économique. J’ai donc notamment été impliquée dans la fusion opérée il y a deux ans des missions de Luxembourg for Business avec celles de Luxinnovation. Ces expériences m’ont permis de bien comprendre les synergies qu’il est possible de créer pour promouvoir notre économie. 

Je suis totalement motivée à l’idée de coordonner les actions de Luxinnovation

Sasha Baillie, CEO de Luxinnovation

L’idée de relever un nouveau challenge vous a motivée également?

«J’étais très heureuse au ministère de l’Économie, j’ai hésité à partir, car j’étais très motivée aussi à l’idée de poursuivre mes missions. Je coordonnais beaucoup de dossiers, j’ai eu la chance de travailler en direct avec la secrétaire d’État et le ministre pour faire avancer les choses concrètement. Mais je suis totalement motivée à l’idée de coordonner les actions de Luxinnovation, et en restant membre du comité de direction du ministère, je peux assurer un meilleur lien entre chaque partie. 

Comment appréhendez-vous la prise de risque inhérente à un changement de fonction?

«Cela s’est produit à plusieurs reprises durant ma carrière. J’ai passé 20 ans dans la diplomatie et le changement fait partie des usages. Vous êtes amené tous les quatre ans à changer d’affectation. J’ai toujours trouvé ce mouvement stimulant. Ce mode de fonctionnement m’a montré qu’il était important d’apprendre constamment de nouvelles choses, de rester ouvert à de nouvelles compétences, mais aussi que l’on peut apporter son point de vue, son savoir-faire à une autre organisation, un autre entourage que l’on est amené à rejoindre ou intégrer. Donc le changement ne me fait pas peur.

Nous avons beaucoup d’atouts, beaucoup de compétences et nous n’avons pas à avoir peur d’être ouverts.

Sasha Baillie, CEO de Luxinnovation

Une culture du changement, de l’apprentissage permanent qu’il faudrait inculquer dès le plus jeune âge…

«J’en suis convaincue. C’est en relevant de nouveaux défis, en restant ouvert à d’autres points de vue que l’on évolue. Le plus grand risque pour notre société est que les gens restent dans des groupes d’opinions figées au lieu d’être ouverts au débat d’idées.

Craignez-vous ceci au Luxembourg?

«Ce risque existe toujours. S’il existe au Luxembourg, c’est plutôt en raison d’une forme de manque de confiance en nous-mêmes. Nous n’avons pas de raison d’avoir ce manque de confiance. Nous avons beaucoup d’atouts, beaucoup de compétences et nous n’avons pas à avoir peur d’être ouverts.

Vous restez donc membre de la direction du ministère, allez-vous partager votre bureau entre le boulevard Royal et Belval?

«Je suis physiquement 100% à Belval! En tant que CEO, j’assume les responsabilités opérationnelles d’une organisation qui comporte tout de même près de 70 personnes. Il y a un ‘management committee’ avec lequel je travaille étroitement. J’ai certes encore des responsabilités au ministère en tant que membre du comité de direction, mais il s’agit surtout de rester impliquée dans les orientations stratégiques. Or, il est primordial de les ressentir, de pouvoir les comprendre pour ensuite les traduire au niveau de Luxinnovation. 

Nous sommes là pour conseiller les entreprises, pour les accompagner dans la composition de leurs dossiers.

Sasha Baillie, CEO de Luxinnovation

Car c’est le gouvernement qui définit les orientations stratégiques pour l’économie du pays. 

«Je poursuis aussi la présidence du comité interministériel en charge du ‘nation branding’, Inspiring Luxembourg. Mon rôle de présidente est de fédérer les acteurs, de donner une ligne stratégique, sans pour autant devoir remplir des fonctions opérationnelles dont a la charge une équipe. Nous sommes d’ailleurs dans une période de transition avec le départ de la coordinatrice générale du projet, Tania Berchem, vers Taïwan en tant que responsable du Luxembourg Trade and Investment Office à Taipei.

Quelles sont les missions principales de l’agence?

«Nous supportons le développement des secteurs qui ont été identifiés dans le programme gouvernemental, dans le cadre de la diversification économique. Pour y parvenir, il faut disposer d’une bonne connaissance du contenu des secteurs en présence, afin de cerner les manques pour in fine aller les chercher à l’étranger. Nos nouvelles missions issues de la refonte de la promotion économique du pays nous ont amenés à être dotés d’une unité en charge de la ‘market intelligence’. Elle s’occupe de suivre les évolutions technologiques internationales qui sont pertinentes pour le Luxembourg. Cette dynamique va nous aider à développer des secteurs de manière intelligente et durable.

Nous gérons aussi des clusters sectoriels réunissant les acteurs publics et privés concernés. Nos ‘business developers’ soutiennent, quant à eux, le ministère de l’Économie pour aller à l’international vers d’autres entreprises qui seraient complémentaires aux éléments dont nous disposons ici. Notre démarche s’inscrit dans un esprit de développement durable et intelligent. 

L’autre grand volet de nos missions recouvre le soutien aux entreprises dans leur recherche d’aides financières nationales et européennes. Nous sommes là pour les conseiller, pour les accompagner dans la composition de leurs dossiers. Toujours dans le soutien aux entreprises, nous avons élaboré des programmes d’accompagnement pour les préparer à des enjeux comme la digitalisation. Par ailleurs, l’un des rôles de Luxinnovation est d’agir comme passerelle entre les instituts de recherche et les entreprises, et de mettre en relation les entreprises qui ont un réel besoin de connaissances technologiques et spécialisées avec les chercheurs des instituts spécialisés.

Quelle est votre vision stratégique pour Luxinnovation?

«Il faut que Luxinnovation donne envie à nos entreprises d’innover, de grandir de manière intelligente et de bien se préparer aux défis de l’avenir avec les technologies nouvelles, et en partie aussi disruptives. Il faut que Luxinnovation donne envie à tous nos acteurs du développement économique de collaborer, de réunir leurs forces pour faire avancer le pays de manière durable. Enfin, il faut que Luxinnovation parvienne à faire rayonner à l’international les atouts de notre économie et donner envie aux entreprises à travers le monde de mener des projets avec nous. Nous voulons être un facilitateur de synergies et apporter une valeur ajoutée à l’économie du pays.

L’industrie 4.0 nécessite des investissements conséquents, une bonne planification pour intégrer les nouvelles technologies

Sasha Baillie, CEO de Luxinnovation

Comment résumer cette valeur ajoutée de Luxinnovation?

«La situation économique est favorable au Luxembourg, mais il convient aussi de réfléchir à l’avenir. Nous sommes là pour aider les entreprises à se projeter vers l’avenir sans que les efforts nécessaires soient perçus comme des fardeaux. Quand il s’agit d’obtenir des aides au financement de l’innovation, nous sommes aussi actifs pour les accompagner, afin que cette démarche ne soit pas une charge supplémentaire, en particulier pour les PME.

Allez-vous apporter des changements à la structure de l’agence?

«Il n’y a pas forcément besoin de revoir la structure, l’organisation ou les missions. Il s’agit juste de continuer à être au service de l’économie, au service des entreprises.

Nous devons bâtir sur nos propres bases.

Sasha Baillie, CEO de Luxinnovation

Un nouveau programme pour soutenir un secteur spécifique est-il prévu?

«L’industrie 4.0 nécessite des investissements conséquents, une bonne planification pour intégrer les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle, l’usage de données massives en temps réel, l’utilisation de ressources de manière durable et, dans ce contexte, le développement de nouveaux matériaux. Nous devons soutenir ce nouveau volet de l’industrie, afin de gagner en productivité et en compétitivité. C’est un défi pour le Luxembourg et l’Europe, en général. Notre pays doit donc aussi assumer ce défi.

Il faut donc un Luxembourg diversifié, sans oublier l’industrie…

«Il s’agit de problématiques transversales. Nous devons bâtir sur nos propres bases. Je pense à notre solide histoire manufacturière, nos infrastructures ICT, la proximité des gouvernements ouverts au développement durable.»

Retrouvez la deuxième partie de cette interview ici.