Pierre Dubru: «La limite 
du plafond 
des 1.200 euros déductibles fiscalement paraît 
étriquée.» (Photo: Luc Deflorenne)

Pierre Dubru: «La limite 
du plafond 
des 1.200 euros déductibles fiscalement paraît 
étriquée.» (Photo: Luc Deflorenne)

Si les menaces souvent évoquées qui pèsent sur les systèmes de pension de plusieurs pays, dont celui du Luxembourg, inciteraient à davantage de prévoyance de la part des jeunes, la tendance ne semble pourtant pas fondamentalement aller dans cette direction. Première hypothèse pour expliquer ce cas de figure: une vue à court terme sur leur carrière dans le chef des nouveaux venus sur le marché du travail qui, sortis des écoles, sont amenés à rejoindre des entreprises de services, demandeuses de ce type de profil.

«Dès la création du cabinet il y a 10 ans, nous avons mis en place des plans de pension complémentaires pour tous nos collaborateurs, et cela, quelle que soit leur fonction et leur ancienneté professionnelle, déclare Benjamin Bonvalot, HR manager chez Atoz. Nous avons constaté d’emblée qu’il était difficile de valoriser ce type de produits et de sensibiliser nos collaborateurs à la valeur de cette participation de la part de l’employeur.»

La question de la communication efficace et adaptée autour des plans de pension apparaît d’emblée comme l’une des clés pour faire évoluer la situation. «Les plans de pension paraissent opaques pour les employés, ajoute Benjamin Bonvalot. Les jeunes qui viennent de sortir de l’université et que nous recrutons ne sont pas familiarisés avec ce type de produits.»

Un travail de marketing à destination des employés devrait donc se mettre en place, en collaboration étroite avec le prestataire. Reste à trouver le bon message, aussi simple que possible, et le support adéquat pour expliquer les bénéfices rapportés par le plan de pension au regard de l’argent investi.

«Lors de ses communications au personnel, l’employeur ne doit absolument pas négliger les avantages liés au régime de pension, confirme Pierre Dubru, employee benefits director chez Swiss Life. Une comparaison par rapport au benchmark où les avantages fiscaux sont de réels arguments de rétention. Pour cet exercice, les assureurs peuvent supporter les employeurs par des présentations du régime ou des outils de simulation.»

Des rôles à affiner

Si la définition des rôles de chacun est clairement fixée sur le contrat, les prérogatives que se fixent chacune des parties évoluent en fonction des circonstances. Et doivent, idéalement, tendre vers un partenariat. Mais à l’heure des écrans installés dans les «coffee corner», des communications via intranet de l’employeur vers ses collaborateurs et vice versa, les obligations de documentation des contrats de pensions complémentaires pourraient paraître rébarbatives.

«Les employeurs recherchent avant tout une qualité de service irréprochable, une solution flexible et un partenaire sérieux et pérenne, ajoute Pierre Dubru. Dans ce contexte, l’informatique, et notamment un portail convivial, est très certainement une des clés du succès.»

Car l’objectif reste de susciter un réflexe de gestionnaire de la part de l’employé vis-à-vis de l’investissement sur le long terme. «Il faut éviter que l’employé oublie qu’il a souscrit à un plan de pension et qu’il doit le gérer proactivement lorsque le régime de son employeur le permet. Les interfaces informatiques sur le modèle des webbanking sont donc à considérer davantage à l’avenir, déclare Jean-Paul André-Dumont, responsable de l’offre employee benefits chez Cardif Lux Vie. Rares sont toutefois ceux qui utilisent l’ensemble des outils qui leur sont offerts pour ne pas se retrouver dans l’inconnu à l’échéance de la retraite sans avoir opté pour une véritable stratégie d’investissement afin de faire évoluer les montants investis.»

Outre les informations relatives aux avantages, aux simulations des montants disponibles, une autre voie doit être envisagée, celle de la sensibilisation aux types de produits dans lesquels il est possible d’investir. Sans toutefois franchir la ligne jaune qui emmènerait les fournisseurs de services vers le rôle de conseiller qu’ils ne peuvent et ne veulent d’ailleurs pas exercer. Même si, côté employeur, on est demandeur d’un «plus» de la part de l’assureur. «L’assureur se doit de sensibiliser les employés, mais il doit aussi pouvoir communiquer quant aux types de fonds dans lesquels il est possible d’investir, les rendements qui s’y rapportent afin de disposer des éléments saillants», estime Benjamin Bonvalot.

Un pilier à élargir

«Si certains assureurs offrent une flexibilité d’investissement comme le rebalancing en fonction de l’âge de l’affilié ou des stratégies d’investissement adaptées au profil de l’affilié, il ne lui appartient pas de fournir un conseil de placement, ajoute quant à lui Pierre Dubru. Pour les demandes plus spécifiques, il revient plutôt aux promoteurs des fonds concernés de partager leur savoir-faire avec les affiliés.» Si les plans de pension proposés aux employés représentent un véritable marché pour les entreprises qui y prospèrent, ceux-ci prennent aussi leur sens dans le cadre des changements démographiques de notre société, marquée, entre autres, par un déséquilibre de la pyramide des âges permettant d’assurer un financement pérenne des pensions. Lorsqu’il n’est pas question d’économies ou d’allongement de la durée du travail, les moyens alternatifs pour financer une pension individuelle sont donc à examiner. Avec, dans ce cas aussi, une approche à moyen, voire à long terme.

«Le risque encouru par un investissement dans un produit particulier dans le cadre d’un régime de pension complémentaire doit être considéré et estimé sur l’ensemble d’une carrière, ajoute Jean-Paul André-Dumont. Or, l’on constate que le véritable risque est bel et bien de ne pas disposer de suffisamment de revenus au terme de sa période de travail.»

Certaines projections fixant à 2030 l’épuisement des réserves du premier pilier (pensions légales) au Luxembourg, le système en vigueur sera amené à être de nouveau adapté par les pouvoirs publics. Le sujet est à l’ordre du jour du gouvernement, qui indiquait dans son programme qu’il «poursuivra les efforts en matière de régimes de pension engagés par la réforme de 2012. Le gouvernement redéfinira la stratégie de placement de la réserve financière de l’assurance-pension.»

L’une des demandes les plus récurrentes de la part des professionnels du secteur est d’élargir le cadre légal concernant le deuxième pilier. «Le champ d’application de l’article 110 alinéa 3 de la loi concernant la déductibilité des cotisations personnelles devrait être étendu à tous les salariés, indépendamment de l’existence d’un régime complémentaire de pension, estime Pierre Dubru. De plus, la limite du plafond des 1.200 euros déductibles fiscalement apparaît quelque peu étriquée et de nombreux salariés apprécieraient le rehaussement du plafond déductible.» Non inclus dans l’arsenal législatif, les indépendants et professions libérales auraient aussi intérêt à pouvoir, d’une manière ou d’une autre, participer à ce deuxième pilier.

«Le mécanisme à retenir devra assurer que les principes de base soient les mêmes pour les indépendants, les libéraux et pour les salariés concernés, précisait à ce sujet le programme gouvernemental. Une possibilité consiste dans l’ouverture du système du régime dûment agréé aux contributions des indépendants et des salariés ne contribuant pas personnellement à un régime patronal. Ce mécanisme permettrait également à un regroupement professionnel d’agir comme initiateur en négociant des conditions avantageuses auprès d’un assureur ou d’un fonds de pension et en mettant en place un régime dûment agréé spécialement et exclusivement créé pour ses membres ou les professions qu’il représente.»

Une revendication portée par plusieurs acteurs, dont le syndicat LCGB et l’Association des compagnies d’assurances (ACA).

Logiquement fixée à l’âge de la retraite, l’échéance des plans de pension devrait cependant être suivie par une autre dynamique selon les experts du secteur, en l’occurrence celle de l’optimisation des montants disponibles au sortir de la période de travail.

«Il convient à ce moment de trouver les produits adéquats et les bonnes solutions pour libérer l’argent sans que les preneurs d’assurances soient pénalisés par une situation de marché ponctuellement défavorable», précise Jean-Paul André-Dumont.

Des outils pour fidéliser

La conception de nouveaux mécanismes pourra permettre aux États de juguler des difficultés budgétaires structurelles tout en offrant aux assurés cotisant une sécurité supplémentaire pour leurs «vieux jours». Mais au-delà de la retraite, d’aucuns appellent à une évolution du financement d’autres prestations sociales. À l’instar de l’invalidité.

«La conception de la couverture d’invalidité au Luxembourg pourrait être affinée, estime Jean-Paul André-Dumont. Il faut s’assurer que les régimes de la sécurité sociale et du deuxième pilier des retraites ne sont pas, dans certains cas, redondants et éviter les zones d’absence de couverture en veillant à suivre l’évolution de la réalité économique. La pratique belge, par exemple, la serre de plus près.»

Les employeurs sont aussi demandeurs d’adaptations, qui nécessiteront cependant de passer par l’ensemble du circuit législatif. «L’employeur devrait pouvoir moduler à sa guise le taux de participation, estime Benjamin Bonvalot. Cette mesure constituerait un avantage supplémentaire pour les employeurs qui s’engageraient dans cette voie.»

Car l’objectif, de part et d’autre, est de disposer d’un moyen de fidéliser les employés tout en nouant une relation sur le long terme avec une clientèle jeune. «Dans le cadre de la mobilité des talents observée sur le marché du travail depuis plusieurs années, plus l’employeur adoptera une démarche volontariste autour des questions relatives à la retraite, tout en valorisant cet investissement, plus il bénéficiera d’un potentiel non négligeable d’attrait auprès des jeunes générations», conclut Pierre Dubru.

Revendications

En front commun

«Une révision de la loi du 8 juin 1999 relative aux régimes complémentaires de pension s’impose à plusieurs niveaux», indique le programme gouvernemental qui a prévalu à la formation de l’exécutif DP-LSAP-Déi Gréng.

Une annonce qui, sur le principe, a dû satisfaire différentes parties prenantes concernées par le dossier et militant pour un élargissement du deuxième pilier des pensions, principalement à destination des professions libérales et des indépendants. L’Association des compagnies d’assurances (ACA) s’est naturellement saisie de cette thématique depuis plusieurs années en revendiquant une ouverture à tous les exclus, y compris les fonctionnaires et employés publics et assimilés. Car les salariés dont l’employeur a décidé de ne pas mettre en place un tel régime complémentaire de pension ne peuvent pas cotiser en bénéficiant des aspects fiscaux liés au régime. «Il faut intégrer les exclus», déclarait Pit Hentgen, le président de l’ACA, au sortir de l’assemblée générale en 2013, où plusieurs idées en la matière étaient remises sur la table. Concernant la déductibilité, les cotisations versées resteraient déductibles du côté du «payeur», à une hauteur maximale de 20% du salaire annuel de l’affilié. Le LCGB, qui avait rencontré en 2013 l’ACA pour évoquer cette thématique, milite aussi en faveur des pensions complémentaires professionnelles élargies, qui «constituent un outil permettant à chaque assuré d’améliorer sa pension en cas de besoin», selon le syndicat qui est rejoint sur ce point par les autres centrales, respectivement l’OGBL et la CGFP. Plus discrète, l’Association luxembourgeoise des fonds de pension (ALFP) s’était fendue d’un – volumineux – courrier de doléances à l’entame de la formation du gouvernement, dans la continuité de la campagne des législatives anticipées de 2013. Dans sa lettre adressée à celui qui était encore formateur et président du DP – Xavier Bettel –, l’ALFP détaille les raisons pour lesquelles elle plaide pour une généralisation et un développement durable des régimes complémentaires de pension au Luxembourg. L’argumentation fait référence à des défis d’ordre sociétal afin de compenser les limites du modèle de financement du premier pilier. Elle renvoie aussi aux opportunités économiques pour ces acteurs du secteur financier, qui salueraient volontiers le développement de fonds de pension paneuropéens depuis le Luxembourg, dans le contexte de la révision du cadre réglementaire communautaire (voir page 92). Indiquant avoir été reçues et écoutées par le précédent exécutif, les associations syndicales ou sectorielles regrettent à tout le moins que les concrétisations ou nouvelles mesures soient, jusqu’ici, restées lettre morte. Le gouvernement sera donc aussi jugé sur sa capacité à réformer le système général des pensions (premier, deuxième et troisième piliers confondus) en prévision des besoins des futures générations. Outre les défis démographiques et sociologiques, l’ouverture du deuxième pilier correspond aussi aux besoins d’une Place qui veut pouvoir diversifier ses activités.

Réglementation européenne

Opportunités de Place

Orientée vers la distribution de produits transfrontaliers dans le domaine des fonds, la place financière, dont l’essor doit beaucoup à cette industrie, verrait d’un bon œil l’adaptation de la réglementation européenne pour favoriser l’émergence d’un – véritable – marché intégré des fonds de pensions professionnelles.

Même si le chemin semble encore semé de quelques embuches politiques et légales, des acteurs luxembourgeois ont choisi d’emprunter cette voie qui, théoriquement, est permise selon les textes communautaires. Ces professionnels de l’assurance ont investi dans des produits à destination de groupes, distribués en libre prestation de services. À l’instar du créneau des produits luxembourgeois d’assurance vie, celui-ci pourrait être porteur, si les disparités législatives entre chaque État membre, qu’il s’agisse de fiscalité ou de droit social, n’étaient pas aussi nombreuses. Or, différentes catégories de travailleurs, de tous profils, peuvent représenter des cibles potentielles pour ces fournisseurs de services sans frontières. On pense d’une part aux travailleurs expatriés – que le marché du travail luxembourgeois accueille régulièrement – qui souhaitent conserver leurs droits tout en menant des missions successives dans plusieurs pays européens. Les groupes de sociétés ou multinationales sont aussi visés, en leur proposant potentiellement des produits valables sur l’ensemble de leurs implantations. Encadrant la supervision des institutions de retraite professionnelle, la directive 2003/41/EC a été réexaminée par la Commission européenne sous l’ère de José Manuel Barroso. Il en a résulté une proposition de révision éditée le 27 mars dernier qui devra, théoriquement, être poursuivie par l’équipe de Jean-Claude Juncker, en particulier par le commissaire européen français Pierre Moscovici, en charge des marchés financiers. Si elle est reprise dans son esprit, cette nouvelle mouture est d’ores et déjà vue d’un bon œil par les professionnels, qui ont salué des avancées sur différents points. Parmi ceux-ci, l’instauration d’un cadre de référence pour transférer des plans de pension d’une institution de retraite d’un État membre à l’autre, en plaçant l’autorisation de transfert dans les mains de cette dernière. Cette première étape, aussi importante soit-elle, devra être suivie d’une harmonisation du cadre légal, et donc fiscal, européen. On pense notamment à l’actualisation des conventions bilatérales pour aplanir les questions d’imposition à l’entrée et éviter une nouvelle taxation à la sortie dans le chef de travailleurs expatriés ou frontaliers, par exemple. Si les tours de vis au sein de la directive sont nécessaires, un changement de mentalité entre pays, en évitant les tendances protectionnistes, devra prévaloir pour que la réalisation effective du marché unique dont il a été question d’une manière générale dans la campagne des élections européennes du 25 mai dernier devienne une réalité dans ce créneau précis.