Les trois administrateurs historiques de la société en faillite avaient espéré échapper aux réclamations de l’administration fiscale luxembourgeoise en nommant d’autres administrateurs à leur insu. (Photo: Maison moderne / archives)

Les trois administrateurs historiques de la société en faillite avaient espéré échapper aux réclamations de l’administration fiscale luxembourgeoise en nommant d’autres administrateurs à leur insu. (Photo: Maison moderne / archives)

C’est une affaire peu banale que celle dans laquelle la 7e chambre a rendu son jugement vendredi dernier. Trois prévenus français âgés d’une quarantaine d’années, Jean-Michel R., Pierre S. et Fabrice F., comparaissaient pour faux et usage de faux et pour infraction à la législation sur les sociétés commerciales.

À l’origine de leur inculpation en 2014: la nomination de trois nouveaux administrateurs, résidant en région parisienne, à la tête de la société BEIO SA lors d’une assemblée générale extraordinaire le 28 décembre 2009. Ils sont censés remplacer les trois administrateurs historiques – les trois prévenus –, notamment aux fonctions d’administrateurs délégués à la gestion journalière de la société basée à Luxembourg.

Une nomination surprenante au vu de l’historique de la société, alors proche de la faillite et largement endettée. L’Administration des contributions directes avait en effet réclamé le 18 décembre 2009 la somme de 466.770 euros correspondant au recouvrement de l’impôt sur le revenu des collectivités, de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux et de l’impôt commercial communal pour les années 2001 à 2004, ainsi que de l’impôt sur la fortune pour l’année 2009. Jean-Michel R. a d’ailleurs échoué à faire annuler cette réclamation par le tribunal administratif en novembre 2015 comme par la Cour administrative l’été dernier.

Déboires fiscaux

En août 2010, c’est au tour de l’Administration de l’enregistrement et des domaines de se manifester afin de réclamer le remboursement de la TVA due par la société en faillite. Suivant les changements de statut intervenus fin 2009, elle s’adresse à l’un des nouveaux administrateurs. Sauf que celui-ci n’était pas informé de sa qualité d’administrateur. D’où le dépôt d’une plainte le 28 septembre 2010 pour escroquerie et usurpation d’identité.

L’enquête révèlera que Jean-Michel R. a adressé un courriel à la société domiciliataire Eurexperts en indiquant «passer à la vitesse supérieure en nommant une personne pour les poursuites» suite à la réception des revendications du fisc luxembourgeois, évoquant encore «les changements d’administrateurs comme nous l’avions vu ensemble».

Les copies des pièces d’identité des trois nouveaux administrateurs ont été envoyées à Eurexperts afin de préparer l’AG extraordinaire qui s’est supposément déroulée à Paris le 28 décembre 2009. Eurexperts envoie quelques semaines après les acceptations de mandat antidatées pour signature par les nouveaux administrateurs. Jean-Michel R. les renvoie signées par ceux-ci quelques heures plus tard. Il prétend durant l’enquête que c’est Pierre S. qui les lui a remises, ce que l’intéressé dément.

Les trois administrateurs historiques de BEIO SA ont tous nié les faits, présentant des déclarations contradictoires durant l’enquête et l’instruction, pour finalement se rejoindre sur une version commune faisant peser la responsabilité de ce faux sur une tierce personne, Frédéric J., réputé pour avoir voulu racheter la société fin 2009, qui aurait amené les trois nouveaux administrateurs. Un nouveau protagoniste décédé en 2010, «de sorte qu’il n’a pas été possible de le confronter aux déclarations des prévenus» d’après l’enquête. Mais Jean-Michel R. assure que Frédéric J. était au courant des déboires fiscaux de la société au moment de la reprise pour un euro symbolique.

Il ne fait pas de doute pour le tribunal que les diverses déclarations contradictoires des prévenus rendent peu crédible leur contestation de la matérialité des faits. Et que les prévenus ont tout simplement procédé à un montage fictif afin de se soustraire aux poursuites de l’administration fiscale luxembourgeoise.

Jean-Michel R., Pierre S. et Fabrice F. ont donc été condamnés à une peine d’emprisonnement de neuf mois avec sursis et à une amende de 2.000 euros chacun. Ils ont 40 jours pour interjeter appel.