Le Conseil d’État a livré cette semaine son avis sur le projet de loi relative à l’immobilisation des actions et parts au porteur. Ce type de titre, non-nominatif et permettant potentiellement de cacher les bénéficiaires économiques d’une société, est depuis plusieurs années dans le viseur des organisations internationales, comme le Gafi (Groupe d’action financière) et le Forum mondial sur la transparence. Ce régime a même mis le Grand-Duché au ban des États prônant la transparence financière.
Les ministres des Finances, Luc Frieden (CSV) puis Pierre Gramegna (DP) ont ainsi décidé de modifier a minima le droit des sociétés pour à la fois montrer patte blanche auprès de ces acteurs «para-institutionnels» et conserver l’existence – au moins formelle – d’un titre qui a fait les beaux jours de la place financière luxembourgeoise.
Via media
Cette via media qu’est l’immobilisation des actions et parts au porteur – à savoir l’inscription de leur détenteur à un registre et le dépôt du titre auprès d’un professionnel – permet de joindre les deux objectifs. Mais cela ne va pas sans créer une certaine confusion qu’a soulignée le Conseil de l’ordre des avocats et que souligne à nouveau le Conseil d’État dans son avis philosophico-légal du 24 juin.
«Ce qui peut, à première vue, paraître anodin et sans portée au-delà du rayon d’action direct de ce qui est expressément dit recèle un changement de paradigme dans la conception du titre, au sens du document commercial porteur de valeur, tel qu’il existe depuis des siècles dans notre droit civil et commercial», indiquent les Sages, qui rappellent que le projet de loi ne vise au demeurant pas tous les titres au porteur, mais seulement les actions et les parts de sociétés.
Pas d’abolition à court terme
L’abolition pure et simple du titre n’est pas, à court terme au moins, envisagée, mais son immobilisation par voie d’inscription à un registre. «Ce qui inspire la question de savoir si une chose ne change pas nécessairement de nature quand une qualité essentielle, voire son attribut qualifiant, vient à disparaître», songe le Conseil d’État qui se méfie du rapprochement formel de titre au porteur du titre nominatif.
Ainsi, pour garantir la sécurité juridique de leurs titulaires – tant vantée par les professionnels de la place –, la haute juridiction propose de bétonner les dispositions de la loi de sorte à ce que le titre au porteur enregistré ne devienne pas une quatrième catégorie juridique de titre en droit (en plus des titres aux porteurs classiques qui subsistent, des titres nominatifs et des titres dématérialisés), mais demeure dans celle des titres au porteur matérialisés et scripturaux.
Pour une distinction claire
Le Conseil d’État propose ainsi, entre autres, de changer le libellé du futur article 42 de la loi du 10 août 1915. «Tel que proposé par les auteurs du projet, le libellé reprend textuellement le libellé concernant les actions nominatives (article 39). Afin de marquer la différence de nature entre les deux catégories de titres, à savoir que pour l’action nominative l’enregistrement est essentiel, le certificat entre les mains de l’actionnaire n’étant que déclaratif de son droit, alors que pour l’action au porteur immobilisée, l’inscription est un pur formalisme, le titre restant porteur du droit, il convient de choisir un libellé pour décrire l’opération d’enregistrement et la cession du titre,» soulignent les Sages.
Outre les dispositions visant à garantir la sécurité juridique des titulaires d’actions et parts au porteur, le Conseil d’État invite le législateur à prolonger la période transitoire de 18 mois permettant leur régularisation. En cas de manquement au délai, les Sages préconisent non pas d’annuler les droits des actions gagées, mais de les suspendre pour la durée du gage. Il revient dorénavant aux députés, réunis en Commission, d’examiner les différents avis pour soumettre un projet de loi amendé.