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Aucune règle universelle ne prévaut. Mais la préférence des spécialistes du secteur va à la propriété.

Est-il plus intéressant pour une entreprise d'être propriétaire ou locataire de ses locaux? Des "astuces" fiscales sont-elles à prendre en compte lors d'une décision d'achat? Les banques ont-elles aussi un rôle de conseil, au-delà de leur vocation purement financière?

La réponse à la première de ces trois questions dépend évidemment des spécificités de chaque entreprise: il n'y a forcément aucune commune mesure entre une grande entreprise manufacturière, une institution financière ou un commerce. Mais l'impact fiscal est toujours à prendre en compte et les banques ont un rôle de conseil à jouer, même s'il vaut mieux aussi s'entourer d'un conseil extérieur, considèrent le consultant Deloitte et le cabinet Allen & Overy.

Chez Deloitte, Sonja Linz s'attache prioritairement à une entreprise existante, "qui a donc déjà un passé et un actif immobilier éventuel, exploitée soit sous forme individuelle, soit sous forme sociétaire, et qui se trouve parfois confrontée, par son type d'activité, à un besoin de renouvellement de son immobilier". S'il s'agit alors de construire ou d'acquérir de nouveaux locaux, "le problème des parkings dans la ville de Luxembourg peut amener notamment l'entreprise à se délocaliser. Il s'agit alors de trouver le lieu où investir, compte tenu de contraintes logistiques et financières, ce qui n'est pas facile, vu le prix des immeubles ou autorisations nécessaires, et de vendre l'immobilier existant pour obtenir une part des fonds nécessaires à l'investissement immobilier. Dans ce cas, les lois fiscales permettent de vendre sans charge fiscale immédiate, par transfert de la plus-value vers la nouvelle construction. Ceci est d'autant plus intéressant lorsque l'existant est vieux, donc présente une valeur comptable très peu importante alors que le prix du terrain peut être élevé. Il faudra aussi examiner de cas en cas si la soumission à la TVA de la cession ou de la vente d'un immeuble apporte des avantages à l'entreprise donnée".

Et de souligner que, dans l'ensemble, la propriété vaut mieux que la location, parce que l'on ne dépend pas d'un propriétaire, à moins d'avoir un bail à durée suffisamment longue. "Encore faut-il, en cas de bail commercial, que celui-ci soit équitable pour les parties, aux niveaux des indexations du loyer et des possibilités d'annulation ou de prolongation, sans oublier que les conditions peuvent encore brutalement évoluer au terme de ce délai. Mais tout dépend toujours des besoins de l'entreprise, en acceptant, le cas échéant, de regarder au-delà des frontières, toujours à cause du prix ou de la disponibilité des terrains au Luxembourg".

Garantir la continuité

Sonja Linz insiste sur l'importance de la propriété lorsque celle-ci permet de garantir la continuité, élément prédominant entre autres pour un commerce, dont la vie est liée à son emplacement, à sa clientèle, etc. "Mais propriété veut aussi dire que des fonds sont immobilisés qui pourraient, le cas échéant, être utilisés pour répondre à d'autres besoins de l'entreprise. Dans ce cas, la location peut parfois s'avérer plus intéressante. Un autre moyen aussi, pour une entreprise propriétaire, de rendre ses immeubles plus 'liquides' afin de pouvoir développer ses activités est le sale and lease back, qui permet de rester dans un même emplacement tout en facilitant des investissements d'exploitation par cash-flow. Et le leasing long terme assure la sécurité de l'entreprise. Mais, au Luxembourg, cette formule est moins développée, surtout à cause des droits d'enregistrement".

Un cas particulier est celui d'une entreprise familiale qui souhaite scinder l'opérationnel de l'immobilier, pour éloigner cet actif des risques inhérents à l'entreprise. "Il n'y a dans ce cas aucune réponse générale", indique Mme Linz. "Il faut voir au cas par cas, selon les activités, et comment effectuer cette scission afin d'éviter une imposition immédiate sur plus-value, qui pèserait très lourd dans une opération de restructuration, alors même qu'il n'y a rien de vendu. Mais la législation offre des moyens pour différer l'imposition et cela présente l'avantage, en cas de succession, de vendre uniquement l'exploitation'.

Pour ce qui concerne une nouvelle entreprise, il existe des aides d'Etat. "Mais elles sont très limitées, note Sonja Linz. Et, dans ce cas, il faudra que le bâtiment et l'activité opérationnelle soient réunis auprès de la même personne physique ou légale. Si la nouvelle entreprise opte pour la location, il faut néanmoins qu'elle s'assure d'un contrat de bail tel qu'il revienne à ce qu'elle soit quasi propriétaire, chose évidemment pour le moins ardue à négocier. Reste malgré tout que, pour une entreprise à créer, même si tout est prévu au mieux, il y a toujours des impondérables. Dans ce contexte, peut-être vaut-il mieux éviter l'achat. Et, si propriété il y a, on ne peut que conseiller de veiller à mettre l'immeuble dans une entité séparée, ce qui, en outre, à très long terme, facilitera la cession de l'entreprise. Enfin, toute décision dépend aussi du type de la société (de capitaux, de personnes, etc.) puisque les retombées fiscales peuvent être très différentes, entre autres du point de vue amortissements ou impôt commercial, si par exemple la société de personne n'a, du point de vue fiscal, pas d'activité commerciale".

Enfin, pour ce qui est du rôle des banques, Sonja Linz estime que "tout bon banquier doit voir toute l'opération comme un conseiller d'entreprise, en se mettant dans la peau de l'entreprise. Le coût immobilier est en effet très important. Le banquier doit analyser le business plan et ne pas financer quelque chose qui pourrait poser problème à moyen terme. Il doit en outre proposer diverses options et voir si l'investissement dans l'immobilier ne réduit pas trop le financement des opérations courantes".

Me André Marc, du cabinet Allen & Overy Luxembourg, se place quant à lui dans une optique liée à ses activités d'aide à l'acquisition, par des fonds d'investissement - surtout allemands et institutionnels - de bâtiments presque entièrement construits et loués, à rendement intéressant. "Nous sommes également très impliqués dans des opérations de sale and lease back ainsi que dans les services d'aide à l'achat au profit de la grande distribution dans les domaines alimentaire et textile, pour tous les acteurs de ce créneau particulier, souligne André Marc. Ce qui me passionne dans l'immobilier, ce sont les investissements en termes de rendement pour les investisseurs institutionnels et la référence pour les grands commerçants. Pour ces derniers, je m'aperçois parfois que des choix stratégiques radicalement différents sont opérés. Ainsi, par exemple, un grand groupe luxembourgeois en matière de distribution alimentaire choisit à chaque fois d'être à 100% propriétaire de son immobilier".

Des choix stratégiques parfois très différents

L'avantage, selon André Marc, n'est pas négligeable puisque le commerçant propriétaire peut - comme n'importe quel propriétaire - entrer dans son bien, le transformer ou le quitter à tout moment. Il a toutes les cartes en mains. "Cet avantage est décisif, aussi, dans le cas des centres commerciaux, puisque le propriétaire est également à 100% celui qui détermine le branch mix et surtout le choix de la "locomotive " dans une autre activité, le plus souvent dans celle du textile".

D'un autre côté, une autre enseigne très connue de la grande distribution préfère généralement, quant à elle, être locataire. "L'inconvénient est qu'elle n'a aucune influence sur le choix de la "locomotive" textile, qui est toujours très importante. Lorsqu'on est locataire, on subit les choix stratégiques du propriétaire du centre commercial. Le succès d'une formule peut ainsi être un frein pour l'autre".

Quant à la rentabilité financière de l'une ou l'autre formule, André Marc opte clairement pour l'achat. "Souvent, la décision de se tourner vers la location est tributaire de l'aspect bilantaire, pour ne pas disposer d'un patrimoine immobilier qui aura bien sûr un impact sur le bilan. Pour preuve, souvent, même si une entreprise envisage d'acheter le terrain et/ou la construction, elle le et/ou la met à disposition d'une entité financière distincte auprès de qui elle reprendra ce bien en location long terme, pour éviter les charges financières. Mais il n'en reste pas moins qu'un acteur financier n'accepte de conclure un tel contrat que si le locataire s'engage sur bien plus de quinze ou vingt ans. Ce qui revient, pour le preneur, à assumer des contraintes contractuelles lui enlevant toute flexibilité. Dès lors, les avantages financiers de la location ne persistent pas à long terme. Il faut toujours une pondération entre ces avantages et la flexibilité stratégique, raison pour laquelle, très souvent, les grands groupes préfèrent être propriétaires. Je remarque en outre, à propos de cette flexibilité, que des acteurs de la distribution ont effectivement opéré cette séparation du retail et de la gestion du parc immobilier. Cela peut paraître intéressant du point de vue de la séparation des métiers et des compétences. Mais, dans un même groupe, ceux qui déterminent la stratégie commerciale peuvent avoir des conceptions très différentes de celles des responsables gérant le parc immobilier. Et ces personnes ne se parlent pas suffisamment, ce qui peut conduite à un manque d'harmonie".

Les banquiers très réticents

En ce qui concerne les banques, André Marc est d'avis qu'elles ont à jouer un rôle de conseiller stratégique qui prend en compte toute la dimension bilantaire de l'opération envisagée. Mais il constate qu'en réalité, et vu la conjoncture actuelle, cette fonction de conseil est souvent délaissée. "Les banquiers sont en général très réticents. Pour les opérations de financement, la seule chose qui les intéresse, ce sont leurs garanties de remboursement. Tout tourne autour de l'assise financière du candidat acheteur et du pourcentage de location déjà conclu du projet immobilier (facteurs auxquels s'ajoutent les qualité et réputation des locataires, ainsi que la durée des baux). Si 10% seulement du bien sont déjà loués, tous les banquiers émettront un avis négatif sur le financement, même si l'acheteur dispose d'une bonne assise financière. Les banques se montrent aujourd'hui beaucoup plus réservées qu'il y a cinq ans, lorsque le marché était en pleine expansion. Il y a eu, depuis, le tassement que l'on sait et l'emplacement d'un projet reste primordial puisque tout ce qui est hors du centre-ville et de zones comme le Kirchberg et la Cloche d'Or reste considéré comme un investissement très périlleux. A mon avis, d'ailleurs, l'un ou l'autre acteur immobilier en périphérie va rencontrer de sérieux problèmes financiers dans les six à dix-huit mois à venir, car ses projets ne trouveront pas de locataires. On peut donc considérer que la prudence des banques est on ne peut plus compréhensible".

La conséquence de cet état d'esprit bancaire saute aux yeux: tout candidat investisseur doit se tourner vers un cabinet de conseil pour la mise en place d'une structure juridique parfaite. "A un moment où le ralentissement se fait sentir, la garantie de remboursement pèse en effet de tout son poids. D'ailleurs, les banques demandent souvent à revoir ces garanties dans la gestion des crédits accordés ces dernières années, parce qu'elles les estiment insuffisantes et parce qu'il y a une augmentation des demandes en vue de se voir accorder des délais de paiement. Le marché reste très chaud, mais il comporte de plus en plus d'aléas. Dans ce contexte, ceux qui réussissent sont ceux qui ont très bien géré leur dossier et qui ont prévu le maximum'.