Lorraine Chéry, avocat à la Cour & senior associate au sein de CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg. (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg)

Lorraine Chéry, avocat à la Cour & senior associate au sein de CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg. (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg)

À la différence du droit français, le principe «à travail égal, salaire égal» n’a pas été généralisé en droit luxembourgeois à tous les salariés en situation identique de travail, mais a seulement été prévu en tant que tel par le législateur sous l’angle de l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes.

Le principe «à travail égal, salaire égal» figure en effet à l’article 1er du Règlement grand-ducal du 10 juillet 1974 qui prévoit que: «Tout employeur est tenu d’assurer pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes».

Le Code du travail n’a pas repris ce principe en tant que tel, mais le garantit indirectement par les articles L.241-1 et L.241-2 du Code du travail qui interdisent toute discrimination fondée sur le sexe en ce qui concerne notamment «les conditions d’emploi et de travail, y compris […] le salaire», et ce dès lors que les salariés se trouvent en «situation comparable».

Bien que le principe «à travail égal, salaire égal» n’existe pas en dehors du cadre de l’égalité hommes/femmes, il est intéressant de relever que le législateur a toutefois pris le soin d’étendre le principe de non-discrimination en matière «de salaire», aux critères de la religion ou des convictions, du handicap, de l’âge, de l’orientation sexuelle, de l’appartenance ou non appartenance, vraie ou supposée, à une race ou ethnie, dès lors que les salariés se trouvent en «situation comparable».

Quant à l’application du principe par les tribunaux, ces derniers font référence et appliquent stricto sensu le principe «à travail égal, salaire égal» lorsque la plainte en discrimination salariale est fondée sur le critère du «genre».

Dans un tel cas de figure, les tribunaux vérifient alors, sur base des faits rapportés par le salarié qui doivent laisser présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, si la situation des salariés avec lesquels la différence de traitement est alléguée est réellement comparable à celle du salarié «discriminé», et si le travail effectué est de valeur égale ou équivalente.

Cette comparaison effectuée par les tribunaux intervient dans le cadre de «l’office» du juge, qui consiste à vérifier sur base des faits rapportés par le salarié:

  1. si les situations sont comparables,
  2. s’il existe une véritable différence de traitement, et 
  3. si elle est susceptible de reposer sur un motif prohibé.

Une telle vérification du juge devrait être transposable à notre sens dans les cas où la plainte en discrimination salariale est basée sur d’autres critères prohibés de discrimination que celui du «genre» et ce même si le principe «à travail égal, salaire égal» ne s’applique qu’à la discrimination fondée sur le sexe.

Un arrêt rendu par la Cour d’appel en date du 14 juillet 2016 semble confirmer la tendance des juges à ne pas vouloir généraliser le principe «à travail égal, salaire égal» et à ne l’appliquer que dans les cas où une discrimination prohibée par la loi (i.e. discrimination fondée sur le genre, la religion, le handicap, l’âge, l’orientation sexuelle, etc.) est invoquée.

Dans cette affaire, une salariée de couleur de peau noire estimait avoir été moins bien rémunérée que ses prédécesseurs de sexe masculin au même poste.

Afin de trancher la demande de la salariée, la Cour d’appel a d’abord rappelé les règles de preuve qui incombent au salarié en cas de discrimination, à savoir qu’il «appartient d’abord au salarié qui s’estime discriminé d’établir les faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, auquel cas il appartient à l’employeur de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement. Les éléments apportés par le salarié doivent en outre laisser supposer l’existence d’un lien de causalité entre la décision de l’employeur et un quelconque critère discriminatoire, toute présomption de discrimination devant être écartée».

La Cour a rappelé ensuite l’office du juge qui consiste à déterminer notamment si les situations entre les salariés sont comparables: «Le salarié ne peut exiger de percevoir le même salaire que ses collègues, qu’à condition qu’il effectue un travail égal, ou du moins un travail à valeur égale [….]. L’élément de comparaison central est le travail effectivement presté par le salarié.»

C’est alors dans ce cadre que la Cour a analysé si la plaignante se trouvait réellement dans une situation comparable à celle de ses prédécesseurs de sexe masculin et qu’elle a vérifié sur base des faits rapportés par la salariée, si cette dernière prestait un travail égal ou de valeur égale par rapport à eux.

Après une comparaison minutieuse des fonctions et tâches exécutées par la salariée et celles de ses prédécesseurs, la Cour a néanmoins conclu que la salariée était restée en défaut d’établir qu’elle se trouvait dans une situation comparable à celles de ses anciens collègues de sexe masculin, ce qui n’a pas rendu plausible le fait que son employeur ait été inspiré par des motifs de discrimination interdits (genre et couleur de peau) pour lui attribuer une rémunération moindre.

La Cour a dans ce contexte jugé qu’il n’y avait partant pas besoin «d’examiner s’il y a eu traitement différent au niveau des salaires» ni de «présomption qu’il y ait eu discrimination prohibée faisant incomber à l’employeur la charge de la preuve qu’il y n’a pas eu discrimination prohibée» et qu’elle a rejeté la demande de la salariée en paiement de dommages et intérêts du chef de discrimination interdite.

Cet arrêt confirme alors:

  • l’application du principe «à travail égal, salaire égal» à tous les cas de discrimination interdits par la loi, et non pas seulement à celui du «genre» comme cela est prévu par le Règlement grand-ducal du 10 juillet 1974;
  • le devoir du juge en matière de discrimination interdite par la loi, consistant à vérifier sur base des faits établis par le salarié, si les situations sont comparables, puis le cas échéant à vérifier s’il existe une véritable différence de traitement et si elle est susceptible de reposer sur un motif prohibé;
  • l’absence de volonté claire des tribunaux d’appliquer le principe «à travail égal, salaire égal» à tous les salariés en situation identique de travail.

En conséquence et à défaut d’application généralisée à tous les salariés du principe «à travail égal, salaire égal» en situation identique de travail, le principe de la liberté contractuelle demeure en matière de salaire.

Les employeurs ne devraient donc continuer à se justifier de toute différence de traitement que dans les cas où elle se rattache à un critère d’égalité ou de non-discrimination prévu par la loi.

Cour d’appel, 14 juillet 2016, n°41026 du rôle

1 Cf. notamment Tribunal du travail de et à Luxembourg, 29 octobre 2012, répertoire fiscal n°3822/2012; Cour d’appel, 7 décembre 2015, n°39457 du rôle; Cour d’appel, 13 juillet 1995, n°16893 du rôle: «En effet, une discrimination de salaire par rapport au sexe subsiste si la salariée prouve, eu égard à la nature de ses prestations, qu’elle a perçu une rémunération moindre qu’un travailleur masculin employé antérieurement à la période de son engagement qui effectuait le même travail ou un travail à valeur égale pour le même employeur.»

2 Tribunal du travail de et à Luxembourg, 13 novembre 2014, répertoire fiscal n°4135/2014; Cour d’appel, 15 décembre 2011, n°35832 du rôle: «L’office du juge consiste à déterminer si les situations sont comparables, puis le cas échéant à vérifier s’il existe une véritable différence de traitement et si elle est susceptible de reposer sur un motif prohibé.»