L’externalisation n’est pas une pratique nouvelle dans le monde des fonds d’investissement. Luxembourg, notamment, a vu une importante activité de prestataires de services attachés à la gestion des fonds se développer ces dernières années. (Illustration: Hadi Saadaldeen / Maison Moderne)

L’externalisation n’est pas une pratique nouvelle dans le monde des fonds d’investissement. Luxembourg, notamment, a vu une importante activité de prestataires de services attachés à la gestion des fonds se développer ces dernières années. (Illustration: Hadi Saadaldeen / Maison Moderne)

Depuis la crise financière, les gestionnaires d’actifs voient leurs marges se réduire significativement, commente Steven Libby, asset & wealth management leader au sein de PwC Luxembourg. La pression à laquelle ils font face découle d’une compétition toujours plus forte entre les acteurs, avec l’apparition de nouveaux entrants sur le marché qui profitent de la technologie pour proposer des offres plus accessibles. À cela s’ajoutent aussi de nouvelles réglementations qui pèsent sur leurs revenus, notamment Mifid II, qui introduit une transparence accrue sur la structure des coûts tout au long de la chaîne de valeur.» Les investisseurs comprennent désormais mieux ce pour quoi ils paient. Plus que jamais, ils sont attentifs aux management fees qu’ils laissent aux gestionnaires. «Si les institutionnels sont prêts à payer pour la performance émanant d’une gestion active des investissements, ils le sont de moins en moins dans le contexte d’une gestion passive des actifs, s’appuyant sur des trackers, par exemple», poursuit Steven Libby.

Réduction des revenus, maintien des coûts

Ces trends participent à une transformation profonde de l’industrie des fonds. Les asset managers, comme de nombreux asset servicers autour d’eux, font face à une réduction sensible de leurs revenus. «Pour un service de gestion active, les fees moyens en Europe sont passés de 2% à 1,6% en une dizaine d’années. Sur la même période, les frais dans la gestion passive d’actifs ont diminué de 1,1% à 0,6%, commente Benjamin Collette, strategy, clients & industries leader et associé au sein de Deloitte Luxembourg. La difficulté pour les acteurs réside dans le fait que les coûts, eux, ne sont pas forcément variables. Tous doivent assumer des coûts fixes, avec des infrastructures techniques et des ressources humaines à entretenir, qui ont plutôt eu tendance à augmenter ces dernières années.» 

Les exigences en matière de reporting, avec Ucits Kiid ou Priips Kid, et dans le domaine de la gestion de risques sont autant de nouvelles contraintes réglementaires qu’il faut pouvoir assumer. Au niveau fiscal aussi, les gestionnaires de fonds comme les sociétés de services associées à l’administration doivent composer avec une complexité grandissante. «La pression sur les revenus se fait d’autant plus ressentir au Luxembourg, avec des acteurs positionnés sur une distribution transfrontalière de leurs produits beaucoup plus coûteuse que celle des fonds destinés à un marché domestique», poursuit Benjamin Collette.

Les management fees ont longtemps été une réelle source de revenus pour les gérants d’actifs.

Jeremie Schaeffer, associé et responsable du département Corporate Implementation chez Atoz

Deloitte avait notamment estimé le coût supplémentaire associé à cette distribution transfrontalière, évalué entre 6 et 10 points de base, par rapport à des fonds domestiques. Dans un marché tendu, avec des investisseurs plus attentifs, les produits luxembourgeois s’exposent à un risque encore plus grand de perte de compétitivité. «Les management fees ont longtemps été une réelle source de revenus pour les gérants d’actifs. C’est de moins en moins le cas, assure Jeremie Schaeffer, associé et responsable du département Corporate Implementation au sein d’Atoz. La pression sur les TER (total expense ratio, ou ratio des charges totales) et son impact sur les frais de gestion entraînent un alignement accru des intérêts des investisseurs sur ceux des gérants d’actifs, dans la mesure où la rémunération de ces derniers réside plus que jamais dans le carried et autres performance fees.» 

Investir ou externaliser

L’effet ciseaux, avec cette réduction des revenus associée à une hausse des coûts, oblige les acteurs à envisager de nouvelles stratégies, à se repositionner quant aux services qu’ils proposent et aux activités qu’ils choisissent de mener directement. «L’une des possibilités qui s’offrent aux gestionnaires désireux de retrouver des marges réside notamment dans un recours à la technologie. Le numérique permet d’accéder à un plus haut niveau d’automatisation et garantit un traitement opérationnel de la donnée plus efficient, au service de l’efficacité et de la compétitivité. Toutefois, le recours à la technologie implique des investissements supplémentaires qu’il est parfois difficile de mobiliser dans l’environnement actuel. L’autre possibilité réside dans la mise en place de partenariats, autrement dit dans l’externalisation de certaines fonctions, avec des acteurs tiers. Cette dynamique doit leur permettre de profiter d’économies d’échelle sur des activités considérées comme non core», poursuit Steven Libby. 

La taille, ça compte

Selon la taille de l’acteur, définie par le volume d’actifs sous gestion, la pression sera plus ou moins fortement ressentie. «Tous les acteurs sont confrontés aux mêmes enjeux. Les plus importants d’entre eux ont toutefois plus de ressources à leur disposition pour mieux envisager la diversité des solutions, entre investissements propres permettant des gains d’efficience ou externalisation», précise Steven Libby. Les plus petits promoteurs de fonds s’appuieront sur un écosystème d’acteurs pour faire face à leurs obligations réglementaires, comme des ManCo tierces ou d’autres prestataires spécialisés dans une activité particulière.

Cette tendance est déjà perceptible dans le monde des Ucits depuis plusieurs années. «Au niveau des fonds alternatifs aussi, une certaine typologie de gestionnaires d’actifs (ceux dont les fonds sous gestion représentent généralement moins de 500 à 700 millions d’euros d’actifs) fait aujourd’hui le choix du recours à des AIFM tiers. En mettant leur licence à la disposition de promoteurs, ceux-ci offrent une solution mutualisée en termes d’infrastructure et d’équipe, et prennent à leur charge le risque opérationnel qui en résulte, précise Jeremie Schaeffer. L’asset manager qui envisage ce modèle doit bien en évaluer le coût, sa pertinence au regard du volume des actifs gérés, ainsi que le modèle de gouvernance qu’il entend mettre en place avec l’AIFM tiers, afin d’assurer un équilibre entre les besoins de fluidité et de rapidité, d’une part, et de saine gestion, d’autre part.» Dans ce contexte, on pourrait donc voir des acteurs se spécialiser avec des services d’AIFM tiers dédiés à des segments particuliers du domaine des fonds alternatifs (dette, private equity, real estate…), les uns et les autres n’impliquant pas forcément le même niveau de contrainte. Quoi qu’il en soit, cette activité de services a tendance à se développer un peu partout, et particulièrement au Luxembourg.

En Europe, la taille moyenne des fonds est significativement inférieure à celle des structures US, par exemple.

Benjamin Collette, strategy, clients & industries leader et associé, Deloitte

Face à la réduction des marges, au final, c’est sur les acteurs de taille moyenne que la pression est la plus importante. Ce sont eux qui, les premiers, seront amenés à faire des choix stratégiques. «Soit pour atteindre un volume suffisant d’actifs sous gestion leur garantissant le niveau de marge requis pour maintenir et faire évoluer leurs ressources, soit en externalisant pour se concentrer sur des activités particulières, à haute valeur ajoutée», précise Steven Libby. Plus généralement, donc, on devrait assister à des mouvements de consolidation des acteurs sur le marché. «En Europe, la taille moyenne des fonds est significativement inférieure à celle des structures US, par exemple. Dans une perspective de développement d’un marché unique, appelée de ses vœux par les autorités, il y a une volonté de voir les acteurs grandir en même temps que les règles de distribution se simplifient. Pour les asset managers, ‘big is beautiful’, précise Benjamin Collette. Les grands acteurs sont donc amenés à grandir toujours plus.»

De nouveaux services 

L’externalisation n’est pas une pratique nouvelle dans le monde des fonds d’investissement. Luxembourg, notamment, a vu une importante activité de prestataires de services attachés à la gestion des fonds se développer ces dernières années. De nombreux acteurs se sont positionnés autour du gestionnaire pour l’accompagner dans son développement en assurant une large diversité de fonctions. «Face à une complexité grandissante découlant de la réglementation, mais aussi de l’internationalisation des
activités, de plus en plus de fonctions sont confiées à des acteurs experts, notamment dans les domaines du reporting et de la fiscalité», précise Steven Libby. «Les asset managers doivent mieux considérer les opportunités d’outsourcing au regard des prestataires de services formant l’écosystème fort qui existe autour d’eux, commente Benjamin Collette. Les éléments que les asset managers souhaitent externaliser en premier lieu sont les fonctions qui ne créent pas de valeur ajoutée eu égard à leur métier, d’une part, et celles qui présentent un certain niveau de complexité et exigent des ressources importantes, d’autre part.» 

Les acteurs envisagent progressivement l’opportunité d’externaliser des fonctions présentant une réelle valeur ajoutée avec un haut niveau de complexité.

Benjamin Collette, strategy, clients & industries leader et associé, Deloitte

Les asset managers ont d’abord commencé par externaliser les fonctions de dissémination des VNI et des informations requises par les régulateurs. Sont ensuite apparues les démarches d’outsourcing visant la compilation des états annuels des fonds et le support à la distribution cross-border. «Désormais, certains acteurs envisagent progressivement l’opportunité d’externaliser des fonctions présentant une réelle valeur ajoutée avec un haut niveau de complexité, explique Benjamin Collette. C’est le cas dans le domaine du tax reclaim, la récupération des retenues à la source au profit du client dans le cadre d’une convention de non-double imposition entre deux États, par exemple, et pour les contraintes de KYC et d’AML. Ces éléments créent beaucoup de valeur, du point de vue du client, d’une part, au niveau des possibilités d’accéder au marché et de pouvoir distribuer le produit, d’autre part.»

La complexité qu’impliquent ces démarches, les ressources qu’elles demandent de mobiliser et d’entretenir ou tout simplement la difficulté de trouver les talents adéquats poussent les acteurs à réfléchir aux possibilités d’externaliser. Par rapport aux démarches fiscales, des initiatives privées voient le jour. De grands cabinets, principalement les Big Four, pouvant s’appuyer sur un réseau global sont aujourd’hui les plus à même de pouvoir mettre en place un tel service.

Il est probable que, dans un horizon de cinq ans, que ces plateformes soient mises à la disposition de l’ensemble du marché

Benjamin Collette, strategy, clients & industries leader et associé, Deloitte

En matière de KYC et d’AML, il y a d’importantes économies d’échelle à aller chercher à travers une approche commune, pour éviter à un acteur d’avoir à effectuer des investigations qui auraient été menées par ailleurs, par exemple. Ainsi, des initiatives naissent. «On peut citer la collaboration entre Fund-square et Post, ou des démarches entamées au niveau de Swift, ainsi que l’initiative D.KYC de Deloitte, précise Benjamin Collette, qui voit poindre à terme des infrastructures de Place. Il est probable que, dans un horizon de cinq ans, que ces plateformes soient mises à la disposition de l’ensemble du marché, suite à une recommandation des autorités, par exemple, pour permettre à tout le monde d’en profiter.»

Des activités core délaissées

Au-delà, des activités hier considérées comme stratégiques pour un asset manager sont aujourd’hui réévaluées à la lumière des changements réglementaires qui affectent le marché. Dans le domaine des fonds alternatifs, par exemple, le fait qu’un certain nombre d’activités ne sont plus rémunérées de la même manière a pour incidence que certains asset managers vont diminuer ou supprimer les moyens qu’ils dédient au sourcing de deals. «Par le passé, l’asset manager pouvait avoir recours à des conseillers et pouvait lisser les coûts liés à la recherche d’opportunités, les due diligences qui y étaient associées, en les mutualisant avec d’autres frais supportés par le fonds sur l’ensemble de sa durée de vie. Désormais, avec une transparence accrue et une plus forte corrélation entre les deals à succès et le droit à une rémunération pour cette recherche, alors que les gestionnaires d’une certaine taille peuvent supporter le changement, l’écosystème des asset managers de petite et moyenne taille est directement affecté. Ces derniers s’orientent désormais volontiers vers des structures de co-investissement ou d’investissement indirect pour bénéficier dans ce contexte des produits fructueux des recherches effectuées par d’autres», explique Benoît Kelecom, asset management leader au sein de la société Atoz.

Alors que les gestionnaires d’une certaine taille peuvent supporter le changement, l’écosystème des asset managers de petite et moyenne taille est directement affecté.

Benoît Kelecom, asset management leader chez Atoz.

Le Luxembourg doit profiter de cette tendance. «La Place a toujours été réputée pour l’administration des fonds. L’écosystème en place constitue désormais une plateforme back-office à haute valeur ajoutée. L’avenir de la Place et des services qu’elle propose passera par une consolidation de l’expertise sur place, avec le développement de services spécifiques qui impliquent un haut niveau de complexité et qui créent de la valeur», ajoute Benjamin Collette. «Il y a une vraie opportunité à faire levier sur l’expertise existante au Luxembourg. Avec celle-ci, la place financière est bien positionnée pour répondre à une complexification croissante de l’industrie et accompagner les asset managers à la recherche de solutions efficientes», conclut Steven Libby.