L'achat d'un gTLD coûte 185.000 dollars. Et ce n'est qu'un début. Photo: ICANN

L'achat d'un gTLD coûte 185.000 dollars. Et ce n'est qu'un début. Photo: ICANN

Le 20 juin 2011, le Financial Times indiquait que la décision prise par l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) de permettre aux organisations la création et l’acquisition de nouvelles extensions dans le protocole Internet, constituait le « plus grand chambardement dans le système des noms de domaine depuis la création du .com en 1995 ».

L’autorité internationale chargée de l’attri­bu­tion et de la gestion des noms de domaines génériques de premier niveau va donc « offrir » la possibilité de remplacer les .com, .org, .net et compagnie par des marques (ou des appellations), pour former des .canon, .hitachi ou .sap, entreprises qui ont déjà annoncé leur candidature.

« L’un des buts de l’ICANN est de donner plus de choix au consommateur et d’introduire plus de compétition dans le secteur », explique Rod Bekstrom, président de l’organisme. Une porte vers une nouvelle dimension économique est par conséquent ouverte ; ou plutôt entrouverte.

Montrer patte blanche

Car, d’abord, la période de souscription est courte. Après sept années de discussions dans les couloirs de l’organisation basée à Marina Del Rey en Californie, les autorités ont décidé de n’accorder que quatre mois pour postuler, à partir du 12 janvier. Le 13 avril 2012, il sera trop tard et aucune date de réouverture des extensions n’est prévue.

Ensuite, le ticket d’entrée n’est pas donné. Il y a 16 ans, se procurer l’appellation « point com » coûtait une centaine de dollars pour deux ans. Aujourd’hui, l’achat d’un generic Top Level Domain (gTLD) – idiome éminemment jargonneux pour désigner les labels figurant après le dernier point de l’adresse Internet – coûte 185.000 dollars. Et ce n’est pas tout. Par la suite, il faudra à l’heureux propriétaire du « .machin » débourser annuellement entre 25.000 et 50.000 autres billets verts pour l’entretenir. Pourquoi un tel coût ? Pour éviter, autant que possible, le cybersquatting, ou l’occupation de noms de domaines par des individus ou des organisations mal intentionnés. En sus, pour l’acquisition de l’extension, le candidat doit faire parvenir un cahier des charges faisant mention de la stratégie envisagée et de l’organisation de la gestion technique du suffixe, ainsi que les garanties financières apportées pour la viabilité du projet.

Comme l’ICANN l’explique, posséder un suffixe « implique un certain nombre de responsabilités importantes vu que l’opérateur d’un nouveau gTLD dirige une des pièces de l’infrastructure visible de l’Internet ». Pour acheter un nom de domaine, les organisations doivent adresser leur candidature directement à l’organisme international. Le circuit pour l’obtention d’une adresse Internet s’en trouve du même coup chamboulé.

Jusqu’à aujourd’hui, le « gouvernement » du web cède seulement la gestion des noms de domaines de premier niveau, génériques (22) ou géographiques (environ 250), à des sponsors ou des registres. Ces entités, sous la forme de société ou d’association, organisent, administrent et gèrent ces extensions. Au Luxembourg, DNS-LU, dépendant de la fondation Restena (organisme public) est responsable de l’extension .lu

Sa mission inclut la maintenance des bases de données et des services de recherche publics, l’accréditation des bureaux d’enregistrement, l’enregistrement des noms de domaine demandés par les bureaux accrédités et l’exploitation des serveurs. En échange, le registre perçoit une redevance fixe sur chaque nom de domaine déposé dans son extension. La partie commerciale est, elle, assurée par les registraires. Ces derniers, autrement appelés registrars ou bureaux d’enregistrement, rétrocèdent les noms de domaine : ils alimentent un véritable marché en les vendant à des registrants. 54 registraires sont accrédités auprès de DNS-LU. On compte, entre autres, parmi les principaux luxembourgeois : Crossing Telecom, ArianeSoft, e-Biz Solutions, root ou encore Web Technologies.

En permettant l’acquisition des gTLD, l’ICANN passe outre les registres et les registrars. Mais en théorie seulement, car certains bureaux d’enregistrements et leurs excroissances spécialisées dans l’administration des noms de domaines s’accaparent un rôle dans la redistribution des cartes.
Comme les nouvelles extensions permettront aux entreprises de mettre leur marque et leur image au premier plan de l’Internet, de mieux protéger leurs droits de propriété intellectuelle ou de vendre des noms de domaine (à des distributeurs par exemple), alors une activité sera potentiellement générée, en interne ou en externe.Au Luxembourg, les sociétés de conseil et de gestion de noms de domaines se placent. C’est le cas de Deloitte, eBrand Services et OpenRegistry avec leur produit « time2dot ». Elles préviennent les organisations des risques qu’elles encourent en ne souscrivant pas à l’appel d’offre sur les gTLDs. Les enjeux de sécurité sont importants. Ne pas acquérir le nom de domaine de sa marque, c’est laisser l’occasion à son concurrent ou à des cybersquatteurs de jouer avec son identité.Ces sociétés promeuvent également l’initiative en faisant part des éventuels bénéfices à tirer, pour leurs clients, de l’acquisition d’un gTLD. Lutz Berneke, CEO de EuroDNS et de eBrand Services, se mue en conseiller communication pour vendre la possibilité de faire le buzz lors du lancement de l’extension éponyme. De nouveaux business models peuvent également être dégagés ; en louant « l’enseigne » à des sociétés exploitantes, par exemple.

Partage de dot

Bref, les déclinaisons du suffixe alimentent les fantasmes et, selon M. Berneke, entre 500 et 1.500 groupes devraient postuler. « La marge d’erreur est grande, car certaines préfèrent rester sous le radar. » Et le Luxembourg doit devenir leur terrain de jeu. Les gestionnaires de noms de domaines comme eBrand Services usent des traditionnels arguments commerciaux pour vendre le Grand-Duché : la stabilité politique et fiscale, un vaste réseau de traités de non-double imposition pour rapatrier les profits, des directives européennes ne taxant pas les dividendes intra-groupes au sein de l’UE, des autorités facilement accessibles...

Ils comptent en fait convaincre les groupes internationaux de créer une filiale au Luxembourg, sans forcément de substance, afin de gérer leurs intérêts liés à l’utilisation du nom de domaine.

Mais le suivi sera en réalité effectué par le gestionnaire et le cabinet de conseil qui empaquettent le tout dans un concept de one stop shop. Les sociétés sœurs d’EuroDNS, eBrandServices et OpenRegistry ont recruté respectivement 10 et cinq personnes, et visent une augmentation du chiffre d’affaires de 30 %. Des start-up émergent également. C’est le cas de .Dotsport qui, depuis le Luxembourg, souhaitera se rapprocher des registraires d’un maximum de pays pour vendre un gros volume de noms de domaines, finissant par .sport, que la société eschoise aura au préalable achetés.

Ainsi ce trimestre revêtira une importance majeure pour le gouvernement luxembourgeois qui a beaucoup misé sur les nouvelles technologies, notamment via la loi du 19 décembre 2007 qui accorde une exonération fiscale de 80 % aux revenus acquis par l’usage ou la concession de noms de domaine. L’ouverture de ce nouveau marché signale le début d’un nouveau paragraphe de l’e-économie dont le Luxembourg aimerait écrire quelques lignes.