Pour Susanne Jaspers, «il faut mettre les choses à plat entre le ministère de la Culture et les éditeurs.» (Photo: Jaspers/Binsfeld)

Pour Susanne Jaspers, «il faut mettre les choses à plat entre le ministère de la Culture et les éditeurs.» (Photo: Jaspers/Binsfeld)

Madame Jaspers, vous avez tenu un discours qui n’est pas passé inaperçu, lors de la Buchmesse de Francfort. Et vous avez démissionné, dans la foulée, de la présidence de la Fédération luxembourgeoise des Editeurs. Quel est le contexte qui a mené à ce coup d’éclat?

«J’ai effectivement pris la parole lors de la conférence de presse sur la Foire, sur le stand luxembourgeois. J’ai lancé un 'j’accuse' très net, pour dénoncer ouvertement le problème que les éditeurs de notre fédération rencontrent avec le gouvernement. C’est un sérieux malentendu… En gros, la fédération représente les éditeurs, dans tous les genres, depuis 30 ans et ce bénévolement, même si nous recevons des subventions publiques. Nous sommes des habitués de la Foire de Francfort, qui est une vitrine pour tous les éditeurs et aussi pour la culture luxembourgeoise. Or cette année, nous avons eu le sentiment d’être cantonnés à une place inacceptable. Il y a des éditeurs qui n’ont pas souhaité, et c’est leur droit, rejoindre notre fédération. Ils ont voulu être présents à la foire et c’est, là aussi, leur droit. Le hic, c’est que le gouvernement, le ministère de la Culture, a souhaité reprendre l’organisation d’un stand unique. Il y a eu des réunions mais sans nous, alors que nous étions intéressés par la formule. Au final, la Fédération n’a pas eu son mot à dire, au prétexte que nous sommes aussi des éditeurs commerciaux et qu’il fallait promouvoir davantage le pays et sa culture. Nous représentons 90% de la production nationale. Mais, sur le stand commun, nous avions nos livres sur trois étagères. Les autres avaient deux rangées rien que pour eux. Et j’ai eu l’impression de me trouver sur un stand où l’on vendait le Luxembourg touristique… Alors je l’ai dit, haut et fort.

Et vous avez le sentiment de n’avoir pas été entendue?

«C’est le moins que l’on puisse dire. Il semblait logique que chacun ait accès à une visibilité sur sa production. Il y a une littérature luxembourgeoise qui rencontre un intérêt réel du public sur le marché national. Il y a des éditeurs indépendants. Il y a des livres de cuisine, de photos ou d’art, peu importe, car ils représentent tous le pays, dans sa diversité, dans ses richesses. Ils peuvent représenter le pays à l’international. Et il y a un marché sur lequel la Fédération des Editeurs constitue un poids, économique et culturel, indéniable. On a vraiment l’impression de s’être fait confisquer cette légitimité, sans avoir l’occasion de nous justifier. Je me suis exprimée. Et, faute de réactions, j’ai démissionné de mon poste. Je ne vois pas comment il me serait possible de collaborer avec le ministère dans ces conditions. La preuve: ma lettre a été envoyée il y a une semaine. Et je n’ai pas encore eu de réaction officielle…

Comment cela va-t-il se passer à présent?

«A vrai dire, je l’ignore. J’ai reçu le soutien de mes collègues, des membres du bureau et des réactions d’éditeurs de notre fédération. J’ai pris mes responsabilités et je pense être suivie sur le fond. Sur la forme, il faudra que la Fédération, qui souhaite évidemment poursuivre sa mission pour défendre la profession, remette une structure de décision en place. Mais avant tout, il faut une réaction de la part des autorités, une discussion sérieuse pour mettre les choses à plat. On ne peut pas nous faire le procès de chercher à vendre notre production, comme si c’était tabou de faire aussi de l’édition commerciale, au nom de la défense de la culture. Tous nous la défendons, évidemment. Mais qu’un éditeur et un auteur prennent le pas sur tous les autres, c’est inadmissible. Il faut mettre les choses à plat. Recommencer à zéro. Et travailler ensemble, comme on le fait depuis 30 ans, pour l’intérêt général de la profession. Et le public doit se rendre compte de ce qui se passe. On ne peut pas juste laisser pourrir la situation et espérer que cela se tasse.»