Dans cette affaire sulfureuse, le consultant a cherché à arracher des informations confidentielles venant de la Cour de justice de l'UE. (Photo: Olivier Minaire / archives)

Dans cette affaire sulfureuse, le consultant a cherché à arracher des informations confidentielles venant de la Cour de justice de l'UE. (Photo: Olivier Minaire / archives)

Le Parquet avait requis 18 mois de prison et 50.000 euros d’amende contre l’avocat fiscaliste du Barreau de Luxembourg, Stefan Oostvogels, qui avait comparu au mois d’avril dernier devant la 18e chambre du tribunal correctionnel de Luxembourg aux côtés d’un consultant belge en environnement pour faux et usage de faux et abus de biens sociaux. Selon l’accusation, les deux hommes avaient mis en place entre le Luxembourg, la Suisse et les îles Vierges britanniques une structure servant à payer au noir des fonctionnaires pour obtenir des informations confidentielles pour les besoins de l’industrie cimentière.

Les juges ont seulement retenu le faux et l’usage de faux, laissant tomber l’abus de biens sociaux, condamnant ce jeudi l’avocat à six mois de prison avec sursis et 5.000 euros d’amende. Son ancien client, Karl Rudolf Winzen, a écopé de 12 mois de prison avec sursis et d’une amende de 1.000 euros.  

Je suis complétement innocent dans cette affaire, et confiant de pouvoir défendre ma réputation.

Stefan Oostvogels, avocat fiscaliste

L’affaire «sulfureuse», selon le Parquet, au cœur de leur comparution avait mis à jour un système de fausses factures destinées à couvrir des commissions occultes versées par le consultant belge Karl Rudolf Winzen pour dévoyer des fonctionnaires et leur tirer des informations confidentielles. L’homme travaillait entre autres pour le compte des cimentiers belges. Il est allé voir l’avocat d’affaires, fondateur d’un cabinet très en vue (Me Oostvogels a quitté l’étude en 2011), pour l’aider à mettre en place un mécanisme complexe destiné à sortir du cash sans faire apparaître de factures.

Le Parquet avait reproché à l’avocat sa participation à la mise en place de structures au Luxembourg, en Suisse et dans les îles Vierges britanniques qui permettaient de sortir du cash sans avoir à en apporter les documents comptables et sans qu’il y ait derrière ces montages de justification économique.

Les deux hommes devaient ainsi répondre de leur participation à des infractions de faux et d’usage de faux par l’établissement de 65 factures fictives pour un peu plus d’un million d’euros, et la remise de ces factures à une société commerciale prétendument débitrice en vue de justifier le paiement du montant des factures par celle-ci, selon le Parquet. Les faits s’étaient produits entre 1998 et 2006.

Lobbyistes à la Cour de justice de l’UE

Le Parquet avait considéré que la structure mise en place pour «soudoyer des fonctionnaires allemands et peut-être aussi communautaires» était «intrinsèquement illégale». 

Lors de son interrogatoire devant la police judiciaire et le juge d’instruction, Winzen avait reconnu que son intention, en allant voir l’avocat au Luxembourg, était de retirer des liquidités de sa société au Grand-Duché, Indes SA, au moyen de factures fictives qu’une «société de facturation» en Suisse, 3C Consulting, émettait sans justification économique et contre une commission de 3%. C’est l’avocat qui avait établi le contact entre le consultant et la société suisse.

Les montants payés sur la base de ces fausses factures étaient ensuite transférés à une société établie aux îles Vierges britanniques (mais gérée depuis le Luxembourg) du compte bancaire de laquelle l’inculpé pouvait retirer l’argent et le mettre dans des enveloppes. L’enquête a montré que les prélèvements se faisaient par petites tranches de 20.000 euros.

L’avocat avait été inculpé en avril 2012. Selon le ministère public, ce dernier ne pouvait pas se méprendre sur la finalité frauduleuse du montage. De plus, en tant que domiciliataire, il avait le devoir de veiller au respect du droit des sociétés. Or, l’enquête judiciaire a montré que la fiche «KYC» (know your customer), conformément aux obligations de connaissance pour les avocats des activités et de l’identité des clients lors de l’entrée en relation, faisait défaut.

Winzen avait dans son portefeuille de clientèle des cimentiers belges. Son rôle, a-t-il raconté à l’audience, consistait à «les aider à contrecarrer des pratiques en Allemagne», qui, au nom de la protection de l’environnement, mettait des freins à l’importation vers la Belgique de déchets valorisables dans les fours des cimenteries. Les opérateurs belges visaient le marché des déchets en France, aux Pays-Bas, mais l’Allemagne leur était fermée. Une plainte fut alors déposée contre Berlin auprès de la Commission européenne à la fin des années 1990. Bruxelles ouvrit une enquête et traîna les Allemands devant la Cour de justice européenne pour des pratiques jugées abusives et une entrave au développement économique. Un arrêt favorable aux industriels belges fut prononcé en 2003.

Choqué et scandalisé

Mais dans l’intervalle, pour défendre leur position dans la procédure devant la juridiction européenne, les autorités allemandes avaient recruté des grands cabinets d’avocats. «Il y avait un besoin de savoir ce qui se passait, un besoin d’informations confidentielles. Et pour les obtenir, il fallait payer sans comptabilité», a dit le prévenu à l’audience. D’où l’idée de créer une société au Luxembourg et d’y ouvrir un compte bancaire, auprès de la Fortis BGL.

À l’audience, Stefan Oostvogels avait assuré ignorer que le but visé par son client belge en montant des structures offshore était de «faire de la corruption».

«Mon rôle dans ce dossier», avait-il indiqué devant les juges, «a été de répondre à des questions juridiques et fiscales bien précises de M. Winzen. Je l’ai aidé à constituer la société luxembourgeoise et à acquérir une BVI et à le mettre en contact avec 3C. Pour le reste, mon rôle s’est limité à la domiciliation de la société luxembourgeoise». 

Contacté par Paperjam.lu, Stefan Oostvogel se déclare «choqué et scandalisé» par ce jugement et répète avoir agi de bonne foi en 1998, lorsque son client est venu lui demander conseil pour une structure de sous-traitance alors «parfaitement légale».

Son intention de déposer un recours ne fait aucun doute, indique-t-il encore. «Je suis complétement innocent dans cette affaire, poursuit l'avocat, et confiant de pouvoir défendre ma réputation».