Le Luxembourg est passé de l’autre côté de la barrière en légalisant ce mercredi le mariage homosexuel. «Le Luxembourg est plus solidaire et plus juste», a déclaré à la Chambre le ministre de la Justice Felix Braz, qui a hérité de ce projet de loi de ses prédécesseurs chrétiens sociaux, François Biltgen et Octavie Modert.
La Chambre des députés a adopté à une très large majorité le projet de loi avec 56 voix pour, et quatre voix contre (trois des députés ADR et celle du CSV Aly Kaes, qui s’est démarqué de la ligne de son parti).
Le Luxembourg devient ainsi le 11e pays européen à reconnaître le mariage pour tous, après les Pays Bas en 2001, La Belgique en 2003, l’Espagne en 2005, la Suède et la Norvège en 2009, le Portugal et l’Islande en 2010, le Danemark en 2012 et la France et la Grande Bretagne en 2013. À noter que Le Luxembourg avait reconnu en 2004 l’union civile aux couples du même sexe.
Le mariage gay, qui a fait le consensus au sein des partis politiques, à l’exception du parti populiste ADR, qui a voté contre mercredi, n’a pas fait descendre dans la rue de manifestants contre lui. Et contrairement à ce que certains de ses opposants ont affirmé, il a donné lieu à un large débat dans la société luxembourgeoise, entre les pro (comme l’ONG militante pour les droits des homosexuels, Rosa Lëtzebuerg, qui accordait au texte une importance symbolique, ou Transgender Luxembourg) et le camp des «anti».
On se souviendra notamment, comme l’a d’ailleurs lui-même souligné le rapporteur du projet de loi, Paul-Henri Meyers (CSV), qui a porté jusqu’au bout le texte, de l’avis négatif du Tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg, portant la seule signature du juge-directeur du Tribunal de la jeunesse et des Tutelles, Alain Thorn. Le magistrat y faisait part de son désaccord à l’ouverture du mariage gay.
On retrouvera aussi son nom, avec d’autres, dans la pétition qui fut organisée contre le projet de loi légalisant le mariage de couples de même sexe et l’adoption plénière, sous le couvert de la protection de l’enfant. La pétition n’a toutefois pas recueilli les 4.500 signatures nécessaires à l’organisation d’un débat public.
Une loi pour la famille, pas contre
Les «anti-mariage gay» mettaient en garde contre le «désordre social» qu’entraînera la reconnaissance du mariage de gens de même sexe, craignant que l’adoption d’un enfant par des couples homosexuels ouvre la voie à d’autres revendications comme la polygamie ou les mariages de groupes. «Nous voulons une loi pour la famille et pas contre la famille», a estimé l’ADR Roy Reding mercredi à la Chambre.
L’Église catholique a fait savoir lundi son attachement au mariage conventionnel: «Le mariage devrait donc garder sa position institutionnelle particulière comme union de vie durable, librement choisie, entre un homme et une femme, orientée vers le bien des conjoints et la procréation, représentant la structure fondamentale bio-culturelle de la vie sociale», a-t-elle ainsi expliqué dans un communiqué assez alambiqué.
L’ouverture des mariages aux homosexuels a été présentée par le Conseil d’État comme «la réforme la plus fondamentale du mariage depuis son instauration en 1804 en tant qu’institution de droit civil par le Code civil». L’article 143 du Code civil prévoit désormais que «deux personnes de sexe différents ou de même sexe peuvent contracter mariage».
«Je pense que la société luxembourgeoise est prête pour faire le saut» (dans le mariage homosexuel), a affirmé à la Chambre des députés, Alex Bodry, le chef de la fraction socialiste.
Le projet de loi autorise également les couples de même sexe à adopter des enfants. Il s’agissait d’un des points les plus controversés du texte. Initialement, le gouvernement n'avait envisagé que le principe d’adoption «simple», qui permettait à un enfant de connaître ses parents biologiques et d’entretenir des relations avec eux. Mais sous la pression du Conseil d’État, qui y voyait une violation de l’égalité des citoyens (pour les couples de sexes différents toutes formes d’adoption étaient ouvertes) et qui menaçait de mettre son véto, les autorités se sont ravisées en autorisant l’adoption plénière, qui n’impose pas de contraintes par rapport aux parents biologiques.
Premiers mariages début 2015
Le projet de loi a par ailleurs renforcé la lutte contre le mariage forcé et fixé l’âge légal de cet acte à 18 ans pour les femmes et les hommes. Sous l’ancienne loi, qui avait été réformée en 1993, le mariage était autorisé pour les filles à partir de l’âge de 16 ans et 18 ans pour les garçons.
La réforme du mariage et son ouverture aux couples homosexuels avait été inscrite en 2009 dans le programme gouvernemental de Jean-Claude Juncker, alors Premier ministre issu du parti conservateur, le CSV. Le projet de loi avait été déposé en juillet 2010 par le ministre de la Justice, également CSV, François Biltgen, mais le texte traînait depuis 2012, faute de consensus sur la question de l’adoption.
Le mariage homo a été réactivé par le gouvernement du Premier ministre libéral Xavier Bettel, qui assume son homosexualité.
Les premiers mariages homosexuels devraient être célébrés au début de l’année 2015, la loi devant entrer en vigueur six mois après son adoption.
Dans un communiqué diffusé ce mercredi en fin de journée, l’asbl AHA Lëtzebuerg (Allianz vun Humanisten, Atheisten an Agnostiker) a salué le vote, estimant qu'il constitue «un pas important vers la libération de la société luxembourgeoise des dogmes, de la discrimination et de la tutelle religieux». Du reste, l’association n’a pas manqué de se féliciter du fait que «le milieu rétrograde autour de l’église catholique n’a pas réussi à lancer un climat d’intolérance à l’instar de la situation récente en France».