Les gouvernements de Xavier Bettel et Charles Michel ont convenu de réapprovisionner le «Fonds Reynders». Une vieille histoire remise en lumière. (Photo: SIP / Zineb Ruppert)

Les gouvernements de Xavier Bettel et Charles Michel ont convenu de réapprovisionner le «Fonds Reynders». Une vieille histoire remise en lumière. (Photo: SIP / Zineb Ruppert)

C’est une des mesures issues de la dernière réunion «Gäichel» (du nom du village aux portes d’Arlon, où s’est tenue la première réunion du genre, en 2004), la huitième, qui a rassemblé les gouvernements luxembourgeois et belge il y a quelques jours (le 5 février dernier). La déclaration conjointe détaille: «Le montant de la compensation financière attribuée par le Luxembourg à la Belgique en vue de garantir le financement des communes belges dont un nombre significatif de résidents exercent une activité professionnelle au Luxembourg est porté à 30 millions d’euros. Cette augmentation tient compte de l’évolution du nombre de résidents belges travaillant au Luxembourg et des revenus professionnels perçus par ceux-ci. La compensation sera revue tous les trois ans sur la base des revenus professionnels réels des travailleurs transfrontaliers.»

La chose a été évoquée mais peu commentée (au Luxembourg en tout cas), sans doute un peu cachée par une autre annonce, celle de règles communes entre autorités fiscales des deux pays pour régler le contrôle des travailleurs frontaliers aux prises avec le zèle fiscal belge…

Il en a quand même été question à nouveau, lors des entretiens de Xavier Bettel et Corinne Cahen avec le Premier wallon Paul Magnette, lundi.

C’est que cette «manne» portée à 30 millions, versée par le Luxembourg à l’État belge, à charge pour ce dernier de le répartir selon des clés de calcul fiscal auprès des communes destinataires, ce n’est pas neutre dans le paysage. C’est même un vieux dossier qui est ainsi réactivé et qui mérite un peu de décodage.

24 millions en 2002

Ce «fonds de compensation» est un avatar de la coopération belgo-luxembourgeoise historique. Sous sa forme actuelle, il est apparu en 2002, sur base d’un accord signé en décembre 2001.

On l’appelle communément le «Fonds Reynders». L’actuel ministre belge des Affaires étrangères Didier Reynders (MR, libéral) a en effet signé l’accord, avec Jean-Claude Juncker, en tant que ministre des Finances à l’époque.

Pour la petite histoire, en Belgique, la paternité du fonds a fait débat politique. Ce mécanisme pour les communes hébergeant de nombreux frontaliers mais ne disposant pas des recettes fiscales issues d’un impôt sur le revenu perçu au Grand-Duché, des élus locaux le réclamaient depuis longtemps. À la pointe du combat, le député-bourgmestre d’Attert, Josy Arens avait harcelé au moins deux titulaires du portefeuille des Finances fédérales belges, sociaux-chrétiens comme lui, avant d’obtenir – avec d’autres mandataires ayant rejoint la «lutte» – de leur successeur libéral, le fonds en question…

En tout cas, le Fonds dit Reynders a été perçu pour la première fois en 2002. Son montant forfaitaire était alors de 24 millions d’euros. Il a progressivement baissé, selon l’accord négocié, à 20, puis 15 millions. Ce montant de 15 millions a ensuite servi de base, indexée annuellement au taux de 2% dès 2005. On en était là depuis 10 ans.

L'UEBL et l'effet Martelange

On notera que, avant 2002, une compensation financière était déjà transférée du Luxembourg vers la Belgique. Elle était issue des accords de l’Union économique belgo-luxembourgeoise (UEBL), puis d’un accord de compensation de taxes et accises (dit «effet Martelange»).

L’idée était d’assurer une répartition des recettes, les différences des taux de taxation entre la Belgique et le Grand-Duché impliquant que les Belges faisaient massivement leurs achats – surtout de carburant, d’alcool, de tabac… – au Luxembourg.

7% des recettes luxembourgeoises étaient transférées à la Belgique. Le pourcentage de rétrocession passait à 5,65905% du 1er janvier 1992 au 31 décembre 2001. Et jusqu’à la suppression de ce système, remplacé par le Fonds Reynders, l’argent du Luxembourg était intégré au budget de l’État belge, sans affectation particulière.

Un gâteau à bien découper

Depuis 2002 donc, les communes belges se sont mises à toucher une participation made in Luxembourg, via l’État fédéral, assurant la réception et la découpe du gâteau. Au plus fort du rendement (en 2005-2006), Arlon recevait ainsi quelque 4 millions d’euros, Aubange 1,7 million, Habay 1,1 million, Messancy 1 million, etc.

Quant à la clé de calcul, elle est claire. Chaque résident belge doit mentionner les rémunérations et les revenus professionnels provenant de l'étranger, ce qui permet aux Finances de calculer un IPP (impôt sur les personnes physiques) théorique – ce que le travailleur devrait payer si ces revenus avaient été perçus en Belgique. Puis, selon le domicile de tous ces contribuables belgo-luxembourgeois, l'administration fédérale établit la part revenant à chaque commune, soit un pourcentage du forfait versé par le Luxembourg.

CQFD. Les communes et le ministère des Finances belges vont pouvoir affûter les calculettes. L’assiette est dorénavant à 30 millions d’euros. Pour plus de 40.000 travailleurs frontaliers belges, répartis un peu partout dans le royaume, mais surtout dans la province voisine, la bien nommée province du Luxembourg.