Jean-Claude Juncker a rapidement accepté la demande d’interview pour ce numéro spécial. (Photo: DR)

Jean-Claude Juncker a rapidement accepté la demande d’interview pour ce numéro spécial. (Photo: DR)

C’est le 23 septembre 1988 que le Grénge Spoun est arrivé pour la première fois dans les foyers de ses abonnés. Un mensuel tout d’abord, devenu hebdomadaire en 1989. En 2000, le nom «Woxx» est choisi pour marquer son autonomie vis-à-vis du parti Déi Gréng, sans renier la défense d’une approche durable pour la société. Et la volonté de proposer un journalisme «alternatif». Richard Graf, un des pionniers de l’aventure et aujourd’hui gérant de la coopérative éditant l’hebdomadaire, témoigne. 

Ce 1.500e numéro a-t-il une tonalité particulière?

Richard Graf. – «Nous avions prévu de le célébrer avec davantage de ressources pour nos contenus en ligne, mais nous avons été retardés dans ce projet. Notre demande d’aide à la presse en ligne n’a été acceptée qu’en octobre, après un refus du dossier cet été. Nous n’avions pas très bien compris l’argumentation. Compte tenu de la taille de notre équipe et d’une actualité chargée, nous avons décidé de célébrer ce 1.500e numéro et les 30 ans de Woxx sans en faire trop, mais en nous adressant à nos lecteurs habituels, en revenant sur les thèmes suivis depuis 30 ans.

Vous avez aussi sollicité une interview avec Jean-Claude Juncker, qui occupe la une de ce numéro spécial…

«Et la réponse à notre demande fut très rapide… et positive. L’interview a eu lieu la semaine dernière à Bruxelles. Nous disposions d’un créneau de 30 minutes, nous sommes sortis après 1h10. 

Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, livre une interview à l'occasion de ce numéro spécial.

Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, livre une interview pour les 30 ans de Woxx.

De quoi avez-vous pu parler avec le président de la Commission européenne… et évidemment ancien Premier ministre luxembourgeois, qui a pu suivre l’aventure de Woxx?

«Nous avons notamment parlé de l’Europe, de son évolution récente, et des médias, dont le rôle est contesté par une partie de la population dans le contexte populiste. Jean-Claude Juncker s’est montré inquiet concernant certains enjeux qui doivent encore être résolus, dont le développement durable et la question climatique.

Il faut parfois 30 ans et plus pour que certains enjeux soient réellement reconnus.

Richard Graf, Woxx

30 ans après, pensez-vous que ces notions sont entrées dans les mentalités, entre autres via votre média?

«Pour préparer ce numéro, nous nous sommes posé la question suivante: Quand avons-nous parlé pour la première fois du climat dans notre journal? Le sujet est venu tard dans les médias classiques, et même chez nous. Le climat a été thématisé à l’échelon mondial avec le Sommet de la Terre de Rio en 1992, bien qu’il y ait eu des signes avant-coureurs, comme la catastrophe de Tchernobyl. On voit maintenant que le sujet occupe la presse au quotidien et que plus aucune politique n’est conduite sans en tenir compte. Il faut parfois 30 ans et plus pour que certains enjeux soient réellement reconnus. Sur le plan national, nous avons remarqué que le dossier du tram, dont la première étude a été menée en 1991, n’a toujours pas été bouclé. Il sera complété à l’horizon 2021-2022. Là aussi, nous avons perdu 30 ans, bien que le retard ait été rattrapé récemment.

Comment expliquez-vous le succès connu par Déi Gréng aux législatives? 

«Le parti a eu la chance d’avoir en charge des dossiers pour lesquels il était bien disposé et préparé. Cette première législature était une chance pour les Verts, et tout le monde, de montrer que des choses pouvaient être réalisées, même avec du retard. D’autres ne marchent toujours pas, comme la situation sur la ligne ferroviaire Luxembourg-Bruxelles, qui reste absurde. 

Un autre facteur expliquant leur succès est la préoccupation, en particulier de la part des nouvelles générations, pour les problèmes écologiques. Les Verts sont légitimes pour porter ces thématiques. Je pense d’ailleurs qu’une des raisons pour lesquelles le CSV a perdu les élections est qu’il n’a pas affirmé qu’il voulait aller aussi dans cette direction, en pensant s’arrimer avec le parti libéral (DP, ndlr) pour une coalition. La deuxième législature qui va s’ouvrir doit permettre aux Verts de finaliser des dossiers. Je note que leur dynamique électorale s’inscrit aussi dans une tendance européenne, à l’instar de ce qui se remarque en Allemagne et en Belgique.  

Nous n’avons jamais réellement connu d’année faste.

Richard Graf, Woxx

Woxx est-il un trentenaire qui se porte bien?

«Nous sommes confrontés aux problèmes que rencontrent tous les médias imprimés, les jeunes ne comprennent pas pourquoi ils devraient acheter le journal, alors qu’il est disponible à tous les coins de rue. Financièrement, nous ressentons toujours les conséquences de notre problème initial, puisque nous n’avons pu percevoir l’aide à la presse qu’après cinq ans de fonctionnement. Pendant 10 ans, nous avons dû rembourser les prêts contractés à titre privé, sans lesquels nous aurions dû fermer. Nous n’avons donc jamais réellement connu d’année faste, mais nous sommes toujours là. À titre personnel, je n’aurais jamais imaginé tenir 30 ans. Et Jean-Claude Juncker nous a avoué, lors de notre rencontre, qu’il était étonné que nous existions toujours!

Quelles sont vos ambitions dans le digital grâce à l’aide reçue par l’État?

«Nous avons beaucoup de lecteurs très réactifs, mais en tant qu’hebdomadaire, il était difficile pour nous de les suivre, de nouer un contact. Cette aide nous permettra d’échanger avec eux, de poursuivre les questionnements ouverts dans le print et de ramener des gens qui sont sur les réseaux sociaux vers ce qu’on a fait sur le print. Nous publions d’ailleurs en ligne nos articles trois jours après la sortie de la version imprimée. C’est une sorte de cannibalisme que nous nous imposons, mais nous avons remarqué que certains lecteurs en ligne ne se seraient jamais abonnés au print. 

Comment imaginez-vous Woxx dans 1.500 numéros?

«Certains pensent que le print n’existera plus. Je suis un lecteur assidu de publications imprimées, mais je les lis dans une version électronique, car je n’ai plus ni l’espace ni le temps pour les acheter en version papier. Le papier suscite aussi des questions écologiques quant à l’impression, mais le coût de l’énergie utilisée par internet n’est pas non plus évident… L’enjeu à l’avenir pour le lecteur sera aussi de trouver la bonne info rapidement, de ne pas se laisser distraire par des choses pas sérieuses. Peut-être aurons-nous des tablettes pliantes qui remplaceront le journal dans un aspect digital, sans avoir besoin de papier…»