Rares sont les journalistes qui sont reconnus par leur signature. Notre consœur, désignée par le jury du Paperjam Top 100 2018 comme l’un des décideurs «économiques» les plus influents, est aussi connue pour son visage. Celui de la passion journalistique, de la rigueur et d’une chaîne aux trois lettres: RTL.
«Je préfère les analyses aux commentaires», nous indique Caroline Mart. Un choix qui résume bien sa vision du métier de journaliste: donner à comprendre plutôt que d’ajouter du bruit au bruit ambiant. Son opinion personnelle, elle la garde pour elle, «et pour ses amis, en petit cercle». Mais qu’on ne s’y trompe pas, son approche n’est pas dénuée de points de vue, voire de prise de position, en premier lieu par le choix des sujets traités et des invités présents sur le plateau de son émission phare: Kloertext.
«Nous voulons montrer un sujet et l’éclairer sous plusieurs perspectives. Il n’y a pas la vérité, mais des vérités. Nous offrons aux téléspectateurs différentes opinions, à eux de réfléchir», résume Caroline Mart. Une ligne de conduite qu’elle préserve pour offrir un peu de recul dans un monde qui en manque parfois.
Je préfère les débats aux small talks.
Caroline Mart, journaliste RTL Télé Lëtzebuerg
Prenant à cœur le rôle de service public que doit remplir RTL – bien que média privé – en raison de l’accord conclu avec l’État luxembourgeois pour l’exploitation de fréquences, concessions télévisées et en contrepartie d’aides financières, Caroline Mart tient à différencier la notion de neutralité de celle d’esprit critique. «Cette neutralité que nous devons respecter ne signifie pas l’absence d’esprit critique, mais bien de se tenir à équidistance par rapport aux partis politiques. Cela m’importe énormément.»
Tout au long de sa carrière, débutée en radio chez RTL, celle qui dispose d’un «CV de dinosaure» – ceux qui ont fait toute leur carrière ou presque auprès d’un seul employeur – a tenu à garder étanche la frontière avec ses interlocuteurs. «Je préfère les débats aux small talks.» Les cocktails en ville? Très peu pour elle. «Garder une distance est une seconde nature. Il y a bien parfois des déjeuners, des rencontres informelles pour en savoir plus, ça fait partie du métier. Mais en tant que maman avec trois enfants, je n’aurais pas pu le faire.»
Se tenir à distance et se remettre en question. Des principes-clés pour celle qui n’est pas entrée dans le journalisme par vocation. Plutôt littéraire que scientifique, elle aurait volontiers exercé dans la psychologie ou se serait tournée vers le théâtre à l’époque du bac. La première matière l’a certainement aidée à mener d’innombrables interviews au Luxembourg et à l’étranger, avec des témoins de la vie locale ou des décideurs politiques d’envergure internationale.
Je viens d’une famille politiquement engagée, ce qui ne veut pas dire forcément engagée pour un parti.
Caroline Mart, Caroline Mart, journaliste RTL Télé Lëtzebuerg
Le volet culturel, elle l’a abordé à ses débuts. Reste que l’attrait pour la chose publique, la compréhension des systèmes, la psychologie, la sociologie n’est pas tout à fait étranger à son entourage familial. Partager le quotidien d’un père homme politique et ministre n’est pas toujours facile, mais cela contribue à forger l’esprit critique, encore lui.
Marcel Mart a en effet été ministre DP de l’Économie, puis de l’Énergie et des Transports, sous les gouvernements Werner et Thorn. «Je viens d’une famille politiquement engagée, ce qui ne veut pas dire forcément engagée pour un parti. La presse était d’ailleurs omniprésente à la maison, mon père lisait en permanence.»
Un contexte propice au débat d’idées et à l’éclosion de principes directeurs avant de mener une interview. «J’ai compris que si je voulais débattre avec mon père des décisions prises par le gouvernement, par exemple, il fallait bûcher les dossiers pour trouver des arguments.» Un frère médecin, une cousine élue à la Ville de Luxembourg (Colette Mart), et pourtant pas d’engagement politique au sens partisan du terme, bien que la possibilité lui en aurait été donnée.
«Ma liberté, c’est mon luxe. S’il y a bien une chose que mon père nous a transmise, c’est l’esprit critique. C’est quelque chose que je voudrais garder jusqu’à la fin et que j’essaie de transmettre à mes enfants, de transmettre au travail, ici.» Des raisons qui l’ont conduite à quitter le conseil d’administration du Land en 2014, où elle siégeait depuis 2008, sur fond de divergence de vues avec d’autres administrateurs.
C’est avec la même idée de son métier qu’elle se désolidarisera de la direction de RTL lorsqu’éclatera la dénommée «affaire Lunghi», fin 2016. L’histoire d’une interview d’Enrico Lunghi au montage alambiqué faisant passer le coup de sang du directeur du Mudam pour une agression à l’encontre de la collaboratrice de la chaîne. Lorsque les images sont utilisées à des fins d’audience… et peuvent conduire à la démission d’un directeur de musée.
Engagements de vie
S’engager pour son métier, s’engager pour des causes aussi. La défense des droits et des conditions de vie des enfants a occupé Caroline Mart en tant que membre de l’Ombuds-Comité pour les droits de l’enfant. Un engagement qui l’a conduite à découvrir une certaine face cachée du Luxembourg.
La cause féminine fait également partie des combats qu’elle mène au quotidien, en conseillant les femmes journalistes au sein de la rédaction, en tant que rédactrice en chef adjointe de RTL Télé Lëtzebuerg. Car les débuts ne furent pas faciles.
«Ce n’est pas un métier pour une femme», cette phrase, elle l’a entendue. «Je n’ai jamais arrêté de travailler, il n’y avait pas de congé parental, j’étais obligée d’avoir une nounou avec ce que cela impliquait comme mauvaise conscience, mais je vous parle d’un autre temps.»
Il n’y a pas de normalité, mais bien un équilibre entre différentes forces, qui résulte d’une certaine lutte.
Caroline Mart, Caroline Mart, journaliste RTL Télé Lëtzebuerg
Néanmoins, Jean Octave, le rédacteur en chef de la télé à l’époque, a fait preuve de bienveillance en lui proposant de passer de la radio à la TV et d’intégrer son équipe. Un moment déterminant pour la suite de sa carrière.
Les journalistes féminines ont-elles conscience du chemin parcouru pour éviter que du Jofferchen soit donné aux jeunes femmes aspirant à ce métier? Ce que Caroline Mart a connu lui fait dire à ses proches au travail et à ses enfants qu’il faut rester vigilant. Qu’il s’agisse de la condition féminine, de la représentation des élues ou des libertés fondamentales. «Il n’y a pas de normalité, mais bien un équilibre entre différentes forces, qui résulte d’une certaine lutte. Restez vigilants, rien n’est jamais dû.»
Apprentissage permanent
Au fil des années, la rédaction de RTL s’est élargie, et les générations se sont renouvelées. «Je continue à apprendre. Je reste curieuse. Je pourrais même dire que j’ai fait des métiers différents tellement le journalisme évolue. Quand je regarde en arrière, je ne me suis jamais embêtée, c’est déjà un énorme privilège, car beaucoup de gens font des métiers où ils s’ennuient, qu’ils ne choisissent pas.»
Des débuts à la Villa Louvigny, le chemin parcouru est long, mais la passion est intacte au quotidien. «Je fais des interviews, c’est ça ma spécialité. L’interview est surtout un exercice psychologique, vous sentez les gens physiquement, vous les sentez même au sens propre du terme.»
Comment toutefois garder une certaine fraîcheur, une originalité au moment d’aborder cet exercice particulier qu’est l’interview, dans un sérail d’interlocuteurs dont la taille est proportionnelle à celle du pays? «On a le droit d’être critique par rapport au métier de chacun, mais il ne faut jamais oublier que nous sommes face à des humains. En politique, il ne faut pas sous-estimer la pression qu’ils subissent, les difficultés. La politique, c’est l’art du compromis, qui est un art difficile. Quand on n’a plus cet art du compromis, on alimente les populismes.»
Je n’ai jamais couru derrière le scoop.
Caroline Mart, Caroline Mart, journaliste RTL Télé Lëtzebuerg
Nommée dans le top 10 du Paperjam Top 100 2018 – une première pour un(e) journaliste –, Caroline Mart y voit aussi une reconnaissance pour le métier, une façon de mettre en avant d’autres personnes, en concédant que «c’est peut-être une reconnaissance pour la façon dont j’exerce mon métier et dont je le conçois».
Avec comme garde-fou le respect de la parole donnée. «J’ai aussi réussi à avoir une certaine crédibilité, car j’ai eu beaucoup de discussions que je n’ai jamais révélées, je n’ai jamais couru derrière le scoop, qui n’est qu’un effet, très vite évaporé. Luxembourg est un microcosme, ne l’oublions pas.» Face aux sirènes d’un star-system, à la drogue que représente l’exposition médiatique, Caroline Mart préfère se ressourcer dans l’essentiel, elle qui a débuté en radio et a compris l’impact de la télévision dès la fin de son premier JT, lorsque ses auditeurs lui ont dit qu’ils «l’avaient vue».
Une vie de famille et des amis qui permettent de garder les pieds sur terre. Et de partager tellement de sources d’inspiration pour des sujets au gré de conversations, forcément en Kloertext.