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C'est ce soir, à minuit, que l'Union européenne va vivre un des moments les plus forts de sa jeune histoire, en accueillant, d'un seul coup, dix nouveaux Etats membres. Depuis sa constitution en 1952, c'est la première fois que l'Union, qui s'est élargie au fil du temps, va s'ouvrir à autant de nouvelles nations. 75 millions de nouveaux habitants vont faire de l'Europe des 25 une puissance économique forte de 455 millions d'âmes, en attendant, à l'horizon 2007, l'arrivée de deux ou trois autres pays, actuellement candidats.

La contribution économique de ces dix nouveaux pays est, certes, limitée, puisqu'ils "pèseront" moins de 5% du PIB total de l'Union, mais leur adhésion va évidemment bouleverser la donne, en déplaçant le centre de gravité de l'Europe vers son flanc oriental, tirant, en quelque sorte, un trait définitif sur la mainmise soviétique d'une grande partie de la seconde moitié du XXe siècle.

D'ailleurs, de nombreuses cérémonies symboliques égaieront ce week-end historique un peu partout de l'autre côté de ce qui fut, il n'y a pas si longtemps que cela, le rideau de fer: 20.000 Estoniens planteront pas moins d'un million d'arbres: les Lituaniens, pour leur part, prévoient d'allumer, à minuit précise, toutes les lumières disponibles afin de faire du pays la zone la plus lumineuse du continent sur les images satellites; à Budapest, les citoyens sont invités à déposer sur une place du centre-ville tous leurs objets encombrants, comme autant de symboles d'un passé dont il faut se débarrasser; aux frontières de la Réplique tchèque, des arcs-en-ciel artificiels fabriqués à l'aide de canons à eau et de projecteurs au-dessus de plusieurs postes douaniers feront office de trait d'union entre la "vieille" et la "nouvelle" Europe; en Pologne, les scouts de Lodz ont entrepris de fabriquer sous forme de patchwork de la plus grande carte de l'Union jamais réalisée pour la déployer samedi sur la place principale...

Dix nouveaux pays, cela représente neuf nouvelles langues officielles (les Tchèques et les Slovaques partageant la même), ce qui porte le total à 20 pour les 25 Etats membres. Plus d'un milliard d'euros par an seront consacrés aux traductions assurées par 4.000 traducteurs et interprètes. Le nombre de pages de documents officiels et législatifs sera doublé et porté, annuellement, à 2,4 millions à l'horizon 2005.

La seule Commission européenne emploie actuellement 1.800 personnes dans ses services de traduction, pour un coût de 230 millions d'euros par an, sans compter les nombreux traducteurs extérieurs à l'institution auxquelles elle a recours tous les jours. Elle devra engager quelque 1.000 personnes supplémentaires pour remplir cette tâche après le 1er mai.

Le coût de la traduction pour toutes les institutions européennes confondues, dont le Parlement européen, le Conseil des ministres ou le Comité des régions, passera de 550 millions d'euros par an à 808 millions après l'élargissement. Afin de réduire ces coûts, l'exécutif européen limitera les traductions des documents de travail à trois langues (français, anglais et allemand), en plus de la langue de la personne directement concernée par le texte. Seuls les documents "définitifs" sont traduits dans les 20 langues.

Là où cela va se compliquer davantage, c'est en ce qui concerne les services d'interprétariat... La Commission européenne fournit chaque jour de 700 à 800 interprètes pour la soixantaine de réunions quotidiennes qui se déroulent à Bruxelles entre délégations. Si l'interprétation simultanée requiert 33 interprètes lorsque les propos d'un orateur sont traduits directement vers les 10 autres langues, il faut au moins disposer de 60 interprètes pour réaliser ce travail avec 20 langues, car il existe pas moins de 380 combinaisons si l'on veut interpréter de langue à langue: du français à l'allemand, mais aussi du finnois au portugais ou du maltais au tchèque.

Outre le fait qu'il est difficile de trouver des compétences dans toutes les langues (le premier concours pour la langue maltaise s'est, par exemple, conclu sans lauréat), le coût prévisible est largement supérieur aux 140 millions d'euros annuels prévus par la Commission. Les institutions européennes prévoient donc l'emploi d'une ou de plusieurs langues-relais, le français ou l'anglais étant le "pivot" à partir duquel l'interprétation se fait, ce qui n'est pas non plus sans poser quelques problèmes, en terme de compréhension et de rapidité...

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Le nouveau Parlement européen
Les citoyens de ces 10 nouveaux pays seront déjà appelés à participer à l'activité politique de l'Union en exerçant leur droit de vote lors des élections européennes de juin prochain qui visent à élire leurs représentants au Parlement européen.

Avec l'élargissement, cette institution va passer de 626 à 732 députés. L'Allemagne en comptera 99, l'Italie, le Royaume-Uni et la France 78, l'Espagne et la Pologne 54, les Pays-Bas 27, la Belgique, la République tchèque, la Grèce, la Hongrie et la Portugal 24, la Suède 19, l'Autriche 18, le Danemark, la Finlande et la Slovaquie 14, l'Irlande, la Lituanie 13, la Lettonie 9, Slovénie 7, l'Estonie, le Luxembourg, Chypre 6, Malte 5.

Actuellement, la Commission compte 20 commissaires (deux membres pour la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne, un membre pour chacun des autres pays), nommés pour cinq ans d'un commun accord par les Etats membres après un vote d'investiture du Parlement. Dès demain, chaque Etat disposera d'un commissaire. A l'issue des élections européennes de juin 2004, et après le vote d'investiture du Parlement européen, une nouvelle Commission devrait prendre ses fonctions le 1er novembre 2004.

Le nombre de votes dont dispose chaque pays au sein du Conseil de l'Union européenne est pondéré selon la taille relative de sa population. Le nombre minimal de votes requis pour constituer une majorité qualifiée est, jusqu'à aujourd'hui, de 62 sur un total de 87 (c'est-à-dire 71,3 %).

Pendant six mois à partir du 1er mai 2004, des arrangements transitoires seront en place, la majorité qualifiée s'élèvera à 88 voix sur 124. à partir du 1er novembre 2004, cette majorité sera de 232 voix sur 321 (72,27%). Le nombre de votes attribué à chaque pays sera de 29 pour l'Allemagne, la France, l'Italie, le Royaume-Uni, de 27 pour l'Espagne et la Pologne, de 13 pour les Pays-Bas, de 12 pour la Belgique, la République tchèque, la Grèce, la Hongrie et le Portugal, de 10 pour l'Autriche et la Suède, de 7 pour le Danemark, l'Irlande, la Lituanie, la Slovaquie et la Finlande, de 4 pour l'Estonie, Chypre, la Lettonie, le Luxembourg et la Slovénie, et de 3 pour Malte.

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Les nouveaux Etats membres en chiffres
(sources: présidence italienne du Conseil de l'Union européenne; Eurostat (2002); finance.yahoo.com)

CHYPRE (CY)
Superficie: 9.251 km2; Population: 759.100
Monnaie: Livre chypriote (1 EUR = 0,59 CYP)
PIB par habitant: 14.550 euros
Taux de chômage: 3,3%; Taux de croissance: 2%; Taux d'inflation: 2,8%
Déficit/PIB: -3,5%

ESTONIE (EST)
Superficie: 45.227 km2; Population: 1.366.959
Monnaie: Couronne estonienne (1 EUR = 15,6 EEK)
PIB par habitant: 4.940 euros
Taux de chômage: 10,3%; Taux de croissance: 5,6%; Taux d'inflation: 3,6%
Excédent/PIB: 1,3%

HONGRIE (H)
Superficie: 93.029 km2; Population: 10.174.853
Monnaie: Forint (1 EUR = 262 HUF)
PIB par habitant: 6.520 euros
Taux de chômage: 5,8%; Taux de croissance: 3,3%; Taux d'inflation: 5,3%
Déficit/PIB: -9,1%

LETTONIE (LV)
Superficie: 64.589 km2
Population: 2.345.768
Monnaie: Lats letton (1 EUR = 0,67 LVL)
PIB par habitant: 3.720 euros
Taux de chômage: 12,3%
Taux de croissance: 6,1%
Taux d'inflation: 1,9%
Déficit/PIB: -2,5%

LITUANIE (LT)
Superficie: 65.300 km2; Population: 3.475.586
Monnaie: Litas (1 EUR = 3,45 LTL)
PIB par habitant: 4.260
Taux de chômage: 16,9%; Taux de croissance: 5,9%; Taux d'inflation: 0,3%
Déficit/PIB: -1,8%

MALTE (M)
Superficie: 316 km2; Population: 394.641
Monnaie: Lire maltaise (1 EUR = 0,43 MTL)
PIB par habitant: 10.610 euros
Taux de chômage: 6,9%; Taux de croissance: 3%; Taux d'inflation: 2,2%
Déficit/PIB: -6,1%

POLOGNE (PL)
Superficie: 312.685 km2; Population: 38.632.453
Monnaie: Zloty (1 EUR = 4,8 PLN)
PIB par habitant: 5.230 euros
Taux de chômage: 20%; Taux de croissance: 1,3%; Taux d'inflation: 1,9%
Déficit/PIB: -4,2%

REPUBLIQUE TCHEQUE (CZ)
Superficie: 78.860 km2; Population: 10.269.726
Monnaie: Couronne tchèque (1 EUR = 32,8 CZK)
PIB par habitant: 7.210 euros
Taux de chômage: 7,3%; Taux de croissance: 2%; Taux d'inflation: 1,4%
Déficit/PIB: -6,5%

SLOVAQUIE (SK)
Superficie: 49.035 km2; Population: 5.379.455
Monnaie: Couronne slovaque (1 EUR = 40,4 SKK)
PIB par habitant: 4.730 euros
Taux de chômage: 18,5%; Taux de croissance: 4,4%; Taux d'inflation: 3,3%
Déficit/PIB: -7,7%

SLOVENIE (SLO)
Superficie: 20.273 km2; Population: 1.994.026
Monnaie: Tolar (1 EUR = 237,5 SIT)
PIB par habitant: 11.670 euros
Taux de chômage: 6%; Taux de croissance: 3%; Taux d'inflation: 7,5%
Déficit/PIB: -1,8%

Données comparatives équivalentes pour le Luxembourg
LUXEMBOURG (L)
Superficie: 2.586 km2; Population: 444.050
PIB par habitant: 48.820 euros
Taux de chômage: 2,4%; Taux de croissance: 0,4%; Taux d'inflation: 2,1%
Excédent/PIB: 2,6%

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De la CECA à l'Europe des 25: 25 dates clés

- 5 mai 1949: création du Conseil de l'Europe à Londres.
- 9 mai 1950: déclaration de Robert Schuman appelant à une coopération européenne.
- 18 avril 1951: création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), entrée en vigueur le 25 juillet 1952, pour une durée de 50 ans.
- 25 mars 1957: signature du Traité de Rome, acte de naissance de la Communauté économique européenne à 6 Etats.
- 1er juillet 1968: entrée en vigueur de l'union douanière avec 6 mois d'avance, grâce notamment à la forte croissance des échanges dans les pays européens.
- Décembre 1969: sommet de La Haye, où les membres de la CEE se donnent pour objectif de parvenir à l'Union économique et monétaire, sur la base d'un plan élaboré par Raymond Barre.
- 1er janvier 1973: adhésion de la Grande-Bretagne, de l'Irlande et du Danemark à la CEE.
- 1er janvier 1979: instauration du Système monétaire européen, donnant à chaque monnaie un cours officiel de change par rapport à une nouvelle unité de compte commune: l'ECU (European Currency Unit). La silhouette d'une future monnaie unique se dessine.
- 1er janvier 1981: adhésion de la Grèce à la CEE.
- 1er janvier 1986: adhésion de l'Espagne et du Portugal à la CEE.
- Février 1986: Signature de l'Acte unique européen, qui inscrit dans le traité de Rome l'objectif de réalisation progressive de l'Union économique et monétaire (UEM).
- 1er janvier 1990: mise en place de la libre circulation des capitaux, première étape de l'UEM.
- 7 février 1992: signature du Traité de Maastricht, qui marque la fin de la CEE et l'avènement de l'Union européenne. Les critères de convergence entre les monnaies nécessaires à la mise en place de la monnaie unique sont définis.
- 1er janvier 1993: entrée en vigueur de la libre circulation des personnes, des marchandises, des capitaux et des services. Suppression des contrôles douaniers aux frontières communes des Etats membres de l'Union.
- 1er janvier 1994: création de l'Institut monétaire européen chargé, entre autre, des modalités techniques du passage à la monnaie unique le 1er janvier 1999.
- 1er janvier 1995: adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède à l'Union européenne.
- 15 et 16 décembre 1995: le Conseil européen de Madrid entérine la dénomination de l'euro pour la future monnaie unique et arrête le calendrier de sa mise en place.
- 13 et 14 décembre 1996: le Conseil européen de Dublin définit le Pacte de stabilité et de croissance fixant les sanctions éventuelles pour éviter les déficits supérieurs à 3% du PIB.
- 16 et 17 juin 1997: le Conseil européen d'Amsterdam adopte le Pacte de stabilité et de croissance, et présente les dessins des billets en euros.
- Mai 1998: le Conseil européen de Bruxelles entérine le choix des pays qualifiés pour l'euro, dès 1999. La Banque centrale européenne est constituée et son premier président, le néerlandais Wim Duisenberg, nommé.
- 1er janvier 1999: introduction de l'euro dans les échanges monétaires, et fixation irrévocable des parités entre les monnaies faisant partie de la zone euro.
- 1er janvier 2002: mise en circulation des pièces et des billets en euros.
- 1er novembre 2003: Jean-Claude Trichet succède à Wim Duisenberg à la présidence de la Banque centrale européenne.
- 1er mai 2004: adhésion de Chypre, de l'Estonie, de la Hongrie, de la Lettonie, de la Lituanie, de Malte, de la Pologne, de la République tchèque, de la Slovaquie et de la Slovénie à l'Union européenne.
- 2007: Adhésion prévue de la Bulgarie, la Roumanie et la Croatie.