Norbert Becker: «Je ne vais pas dans des conseils pour paraître, mais sur base de mes convictions afin d’avoir un certain impact sur la stratégie et le positionnement de l’entreprise.» (Photo: Anthony Dehez)

Norbert Becker: «Je ne vais pas dans des conseils pour paraître, mais sur base de mes convictions afin d’avoir un certain impact sur la stratégie et le positionnement de l’entreprise.» (Photo: Anthony Dehez)

Qu’est-ce qui fait courir Norbert Becker depuis 40 ans? «Je suis un homme d’action, impatient, et quand j’ai des idées, j’essaie de les concrétiser», résume le principal concerné et grand lauréat du Paperjam Top 100 2018 – le classement des décideurs économiques les plus influents du Luxembourg.

Ses années dans un grand cabinet de conseil, à réaliser des ventes, des transformations ou des fusions d’entreprises ont aussi fini par lui donner le goût de l’entrepreneuriat. «Un jour, je me suis dit que je deviendrais moi aussi un entrepreneur. Quand je suis revenu au Luxembourg, j’ai perçu que c’était le moment de rouler pour mon propre compte.»

Quant aux événements qui l’ont le plus marqués sur l’ensemble de sa carrière, il en pointe trois. En premier, il revient sur la condamnation «injuste» d’Arthur Andersen dans l’affaire Enron. Injuste, parce que, rappelle-t-il, la Cour suprême des États-Unis a cassé ce jugement à l’unanimité. Mais le mal était fait, le cabinet avait été démantelé.

«Cela m’a fortement marqué. J’ai géré la liquidation pendant 15 ans, j’ai vu la misère de veuves qui ne recevaient plus de pension et j’ai créé un fonds de soutien pour ces cas difficiles liés à cette décision de justice.»

Parmi les événements les plus déterminants de sa vie professionnelle, il pointe aussi la fondation d’Atoz en 2004 ou «la success-story d’un cabinet fiscal indépendant qui a su trouver sa place entre les cabinets d’avocats et les Big Four et jouit aujourd’hui d’une grande réputation internationale.» Enfin, il note la mise sur pied de CBP Quilvest en 2006, «la première création de toute pièce d’une banque luxembourgeoise depuis plus d’un siècle au départ de capitaux privés».

Trois chapitres

«Ma vie professionnelle se divise en trois chapitres», résume Norbert Becker. Première époque, le Commissariat au contrôle des banques, ancêtre de l’actuelle Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), où il entre, en 1974, dans une équipe qui comporte… cinq collaborateurs. En 1979 – chapitre deux –, il met en place la branche luxembourgeoise du cabinet d’audit et de conseil Arthur Andersen.

Un parcours de plus de 20 ans qui le mènera de la direction locale au poste de directeur financier mondial avec des fonctions à Londres, Chicago, Bruxelles ou Francfort. Après l’affaire Enron, il est chargé de fusionner plus de 50 bureaux nationaux avec le cabinet Ernst & Young (devenu EY) et prend finalement la direction financière de ce groupe pendant deux ans.

De retour au Luxembourg à partir de 2004, il crée avec des partenaires Atoz et CBP Quilvest. Chapitre trois: il gère désormais pour son propre compte des investissements en private equity et siège en tant que membre ou préside des conseils d’administration de grandes sociétés internationales. 

Avec une telle carrière, imprimer le CV de Norbert Becker n’est pas vraiment ce qu’on peut qualifier de geste écologique. L’historique est abondant, la liste des mandats relativement longue et le papier s’accumule dans le bac de réception. S’il y a bien un homme qui a marqué de son empreinte l’économie luxembourgeoise des dernières décennies, c’est lui.

J’ai récemment été nommé au conseil de gouvernance de l’Hôpital américain de Paris.

Norbert Becker, administrateur indépendant

On trouve sa trace dans les conseils d’administration d’institutions financières européennes (Rothschild Private Equity, Intesa Sanpaolo, Quilvest) ou chinoise (China Everbright Bank), chez certains géants technologiques (PayPal Europe, Wix) ou encore dans le milieu de l’assurance (Lombard International). Au carrefour de plusieurs secteurs décisifs pour la Place et l’économie du pays, il apporte aussi son expérience auprès de grands groupes familiaux comme Ferrero ou Abu Dhabi Investment Authority. 

Cette grande expérience en fait un homme fort demandé et son implication dans certaines success-stories rejaillit désormais sur l’économie du pays. C’est, par exemple, sa place à la présidence du conseil de surveillance de PayPal Europe qui a permis la création d’une chaire à l’Université du Luxembourg, financée par le géant technologique, pour l’enseignement des fintech.

Une autre chaire concernant la fiscalité a également été créée grâce à la Fondation Atoz. Avant cela, il a également joué un rôle majeur dans l’installation de Skype au Luxembourg, événement qui a ensuite permis de mettre sur les rails le hub ICT luxembourgeois. Intéressé par le monde des start-up et l’investissement dans les sociétés de demain, il a justement présidé et supporté l’éclosion de Mangrove Capital Partners entre 2004 et 2010, une époque où le succès et la vente de Skype à eBay pour 3 milliards d’euros ont propulsé la société de venture capital luxembourgeoise dans une autre dimension.

Chapitre quatre? «J’ai récemment été nommé au conseil de gouvernance de l’Hôpital américain de Paris. Je découvre donc des méthodes de gestion spécifiques à l’organisation d’un hôpital privé et je trouve cela passionnant.» Dans le même ordre d’idées, il soutient aussi un projet de recherche à l’Université du Luxembourg sur la maladie de Batten – une maladie infantile neurologique – et est membre du conseil de la Fondation ELA qui lutte contre une pathologie dégénérative.

«Je fais ce que je dis»

Tout cela fait-il de Norbert Becker l’homme d’influence que notre jury a vu en lui? «J’ai certainement de l’influence dans les entreprises que je préside et où je joue un rôle d’administrateur. Je ne vais pas dans des conseils pour paraître, mais sur base de mes convictions afin d’avoir un certain impact sur la stratégie et le positionnement de l’entreprise.»

Une influence dont la définition s’appuie sur un binôme: «Pour exercer une influence, il faut une conviction par rapport à un sujet. Et cette conviction doit être basée sur la connaissance en profondeur de ce sujet. Sans conviction, pas d’influence.» Et si le jury l’a retenu, c’est sans doute aussi sur base de son parcours de 40 années au Luxembourg et à l’étranger «sans trop de maladresses, d’erreurs et de déchets par rapport aux décisions que j’ai pu prendre. Généralement, je dis ce que je fais et je fais ce que je dis. Il y a une cohérence dans mes actions.»

Qu’on me voie comme un homme d’action et équitable me suffit amplement.

Norbert Becker, administrateur indépendant

Ceci dit, il ne tient pas spécialement à laisser une trace indélébile dans la société. «Qu’on me voie comme un homme d’action et équitable me suffit amplement.» Équitable… Il dit avoir horreur de tout ce qui est injuste. Un sentiment qui le fait défendre la place des femmes à l’égal des hommes dans les entreprises où il détient des responsabilités.

«À compétences égales, une femme a droit aux mêmes responsabilités et au même salaire qu’un homme. En même temps, je ne suis pas favorable aux quotas, que j’estime dénigrants. Les promotions se font par rapport aux compétences.» Dans la même veine, il explique vouloir donner leur chance aux jeunes le plus rapidement possible, quitte à leur proposer des postes un peu trop grands pour eux au départ. «Je n’ai jamais été déçu par ma décision, ils se fondent rapidement dans leurs responsabilités et acquièrent rapidement les réactions adéquates.»

Crier plus fort

Connu pour avoir détenu des fonctions de management de première importance à l’étranger, Norbert Becker admet que, même en disposant du même niveau technique qu’un cadre américain, français ou britannique, un Luxembourgeois devra se battre plus fort pour obtenir des responsabilités dans les grandes entreprises internationales.

«Si vous débarquez à New York et que vous dites que vous venez du Luxembourg, les gens vous confondent avec un habitant du Liechtenstein», sourit-il. Mais il voit cependant des avantages dans le bagage des cadres grand-ducaux. «Nous étudions l’histoire, la philosophie et nous comprenons la culture de nos voisins parce que nous lisons la presse internationale et que nous regardons les journaux télévisés en français et en allemand, et les films en anglais.» Il admet d’ailleurs, pour sa part, un grand intérêt pour la chose publique, l’Europe et le monde. 

Fondateur des jeunesses libérales, il n’est pas rare de le croiser au QG du DP lors d’une soirée électorale nationale. Il a aussi l’oreille du Premier ministre Xavier Bettel et a fait partie dès 2011 d’un groupe informel de discussion autour d’une éventuelle majorité gouvernementale DP-Déi Gréng, pour contrecarrer le CSV.

Sa passion pour la politique vient aussi de l’époque où il était un proche conseiller de feu le Premier ministre libéral Gaston Thorn. Entre 1974 et 1979, ce dernier avait confié à Norbert Becker l’organisation de ses campagnes électorales. «C’est un homme exceptionnel qui m’a fait l’honneur de son amitié et de sa confiance. Nous avons pu réaliser des changements sociétaux très importants à l’époque.» Des mots que certains décideurs politiques et managers emploient aussi, aujourd’hui, lorsqu’ils parlent de Norbert Becker.