L’année 2020 pourrait être marquée par un déficit des finances publiques qui, pour Muriel Bouchet, ne devrait pas être abyssal si le confinement ne s’éternise pas. (Photo: Patricia Pitsch - Maison Moderne Publishing SA/archives)

L’année 2020 pourrait être marquée par un déficit des finances publiques qui, pour Muriel Bouchet, ne devrait pas être abyssal si le confinement ne s’éternise pas. (Photo: Patricia Pitsch - Maison Moderne Publishing SA/archives)

Directeur de la Fondation Idea, Muriel Bouchet a analysé les premières mesures prises par le gouvernement dans le cadre de son programme de stabilisation de l’économie. Il insiste sur la nécessité d’un monitoring continu des entreprises.

Peut-on qualifier d’historique ce programme de stabilisation de l’économie proposé par le gouvernement?

Muriel Bouchet. – «Le contexte dans lequel nous vivons est pour le moins particulier. Personne n’aurait imaginé cela voici un mois encore. À ce titre, c’est donc historique, en effet.

Il fallait agir vite?

«Il fallait parer au plus pressé pour éviter des faillites. La nécessité absolue est en effet d’éviter le plus possible les faillites. Car si elles commencent à s’enchaîner, le choc engendrera des dégâts définitifs. Les mesures du gouvernement ont donc comme but de l’éviter. Une des solutions était que les entreprises puissent toujours disposer de liquidités.

Mais ce programme ne peut être qu’une première initiative?

«Ce programme ne propose en effet rien au niveau de la relance économique, et c’est quelque part normal, car l’urgence est ailleurs. Mais même si on est dans une phase aigüe, il faut déjà penser à l’après-crise sanitaire.

Comment cela peut-il se préparer?

«Il faut être très attentif à ce qui remonte du terrain, des entreprises. C’est cela qui devra aider à ajuster les mesures.

Il faut aussi que les finances publiques en aient les moyens...

«L’État vient de mobiliser 8,8 milliards, soit 14% du PIB. C’est très important. Mais il faut tenir compte du fait que 4,5 milliards sont des reports de charges et autres. Ce sont des rentrées postposées, ce qui n’affectera donc pas définitivement les finances publiques. Ce qui va réellement coûter, ce sont principalement le chômage provisoire et le congé familial. Si le confinement dure jusqu’au 15 avril – un scénario que je sais très optimiste –, il faudra compter sur une dépense de 1 milliard, soit environ 1,5% du PIB. La dépense sèche pour l’État est donc sans doute moins importante que ce que l’on peut croire de prime abord.

Il y a aussi les aides directes aux entreprises de neuf personnes au plus...

«Oui, c’est vrai. Mais ce n’est pas cela qui va considérablement alourdir le total. 

Avec la plus grande prudence, si le confinement est levé le 15 avril, on peut envisager un déficit public de 2 à 3% en 2020.
Muriel Bouchet

Muriel Bouchetdirecteur de la Fondation Idea

Que faire encore pour les entreprises?

«Après ce premier programme, il faudra donc un monitoring précis, presque entreprise par entreprise. Il faut aussi éviter les pertes d’emploi. Au cours de certaines crises, on peut avoir des pertes de compétences, de savoir-faire… Réembaucher ou remettre au travail des gens après plusieurs mois de chômage, c’est toujours compliqué. Accorder des aides de 5.000 euros à des entreprises de plus de neuf personnes pourrait aussi être étudié.

Il faudra toujours s’adapter aux circonstances...

«Il faudra une grande flexibilité, en effet, être tout-terrain. Les deux axes devront être l’investissement public et le soutien du pouvoir d’achat des personnes. Les personnes en difficulté sont aussi celles qui ont le plus tendance à consommer. C’est un levier important sur lequel il faudra peut-être jouer, car la consommation est évidemment décisive.

Reporter la charge des impôts est une mesure...

«... intelligente. Cela évitera des faillites, et donc à terme, des pertes de rentrées fiscales dans les caisses de l’État. Une entreprise qui disparaît ne paie plus d’impôts.

L’année 2020 sera-t-elle marquée par un déficit public?

«Si les recettes de l’État baissent, si de nouvelles mesures sont nécessaires et si la crise dure, ce sera le cas.

Peut-on déjà l’estimer?

«C’est très compliqué, et il faut faire preuve d’une extrême prudence. Mais ce ne sera pas 14%! L’an passé, l’excédent au niveau des finances publiques était quasi de 3%. Le Statec prévoyait 1,7% cette année. Avec beaucoup de prudence, je le répète, si on pense que le confinement durera jusque fin avril, cela représentera 1,5% de déficit. L’impact de la crise sur la croissance pourrait alors être de 2%. On serait proche de la vérité en augurant un déficit public de 2 à 3%.

Que se profile-t-il de positif à l’horizon?

«Il y aura inévitablement un rebond en 2021. La croissance dépend de l’activité économique, et c’est pour cela qu’il faut absolument éviter les faillites et assurer la continuité de l’activité économique. Car si les effets négatifs de la crise sont permanents, cela se marquera sur le solde budgétaire. Tandis que si la reprise est rapide, l’espoir est de revenir au niveau normal du PIB.

Faut-il déjà envisager des mesures de relance maintenant?

«Oui, car elles devront avoir un effet rapide pour revenir le plus vite possible à une situation normale. 

Le fait que le Luxembourg avait des finances saines et une économie en bonne santé était une chance...

«C’est une leçon à retenir. Cela permet de démarrer la course contre la crise ailleurs que depuis une impasse. Pour la France ou la Belgique, par exemple, c’est une autre histoire. Si déficit il y a au Luxembourg, il ne sera pas abyssal, même si conséquent. Ce qui ne voudra évidemment pas dire qu’on pourra faire n’importe quoi ensuite.»