Supports/Surfaces au MNAHA? Que vient donc faire ce mouvement au Nationalmusée? La question est en effet légitime, mais s’explique. , directeur du MNAHA: «En 1957, le conservateur en chef du musée reçoit l’autorisation de constituer une collection d’art contemporain et d’élargir la sélection à un art autre que luxembourgeois. Il développe alors une stratégie d’acquisition avec un focus sur l’art français, et en particulier la peinture. Il achète beaucoup d’œuvres issues de l’abstraction lyrique. Ses successeurs, Jean-Luc Koltz et Paul Reiles, réorientent la politique d’acquisition vers la figuration narrative. En 2010, nous nous sommes posé la question à notre tour de savoir comment orienter les acquisitions. Notre première proposition a été d’ouvrir la collection à d’autres médiums que la peinture, à savoir la photographie, pour entrer en résonance avec les œuvres d’Edward Steichen que nous possédons, et de poursuivre avec l’art français et la peinture, mais en l’orientant vers Supports/Surfaces.»
La dernière avant-garde
Ce mouvement, dont l’apogée se situe dans les années 1970, est en effet le dernier mouvement d’avant-garde de l’art français et interroge directement le médium de la peinture. En déconstruisant les éléments traditionnels de la peinture et ses composants, comme la toile et le châssis, les artistes de Supports/Surfaces dépassent les limites de la peinture et flirtent avec l’installation et la sculpture. En rejetant le formalisme et le marché de l’art commercial, ils introduisent une dimension politique à leurs œuvres, qui tournent aussi le dos aux conventions bourgeoises et aux contraintes institutionnelles. Ces artistes tentent de sortir de l’ornement, de proposer autre chose que le point et la ligne de Kandinsky, et veulent en finir avec la figuration.
«Nous possédions un petit noyau d’œuvres, dont un petit triptyque de Pierre Buraglio, sur lequel nous appuyer pour développer le corpus», poursuit Ruud Priem, co-commissaire de l’exposition. Le musée a alors cherché à acquérir, entre 2013 et 2024, de nouvelles œuvres, en vente publique, mais aussi par le biais de Bernard Ceysson, grand spécialiste de ce mouvement et qui a une galerie au Luxembourg (Galerie Ceysson & Bénétière), ainsi que directement auprès des artistes qui ont accepté de faire des dons au musée. Aujourd’hui, nous avons dans notre collection des œuvres des artistes les plus importants du mouvement: Vincent Bioulès, Noël Dolla, Louis Cane, Daniel Dezeuze, Bernard Pagès, Jean-Pierre Pincemin, Patrick Saytour, Claude Viallat…
Un ensemble significatif
Au total, le musée possède désormais 38 œuvres, dont 35 sont présentées dans l’exposition temporaire et trois dans l’accrochage permanent. «Le Nationalmusée possède à présent un ensemble d’œuvres significatif de ce mouvement», a commenté Bernard Ceysson. «Seuls le Centre Pompidou, le musée de Saint-Étienne et le musée de Montpellier ont des collections plus importantes. Au niveau mondial, il faudrait aussi ajouter le musée de Philadelphie et le Hirshhorn Museum.»
Il est à noter que le musée a développé des cartels spécialement conçus pour les enfants pour favoriser la découverte de ces œuvres par les plus jeunes. Une brochure est également à leur disposition pour parcourir l’exposition tout en s’amusant.

Noël Dolla et Bernard Cesyyon, devant l’oeuvre «Toile Rouge» de Noël Dolla. (Photo: Paperjam)
Entretien avec Noël Dolla
Pouvez-vous nous présenter «Toile Rouge» (1968), qui est présentée dans l’exposition?
«Cette œuvre fait partie de cette série de pièces aux points. En décembre 1967, j’ai fait ma première pièce sans châssis. Suite à cela, j’avais pris connaissance du groupe BMPT et j’ai regardé les œuvres de Michel Parmentier. J’avais 22 ans à l’époque, j’étais tout jeune. Et j’ai fait un tableau qui ressemblait à un Parmentier, avec simplement une bande peinte. Je me suis demandé ce que je pouvais faire après cela. J’ai alors réduit la bande, jusqu’à une ligne. Puis je l’ai réduite à un trait de crayon. Là, je me suis dit que j’étais au bout. Mais je me suis rendu compte que je pouvais encore la réduire, à un point. C’est comme cela que je suis passé de la ligne au point. Et non du point à la ligne, comme Kandinsky. Et pour poursuivre ce travail, j’ai décidé de multiplier les points. C’est l’origine de ces œuvres aux points.
Comment avez-vous choisi ce support?
«Il se trouve que c’est un support quelconque. C’est en fait un ami qui avait une entreprise de bâches, stands et stores qui m’a donné cette toile de tissu imprimé. Beaucoup de pièces que j’ai faites ont été réalisées sur des tissus donnés par cet ami. Mais il se trouve que c’est aussi un tissu qui reprend des motifs de feuille d’acanthe, un motif qui a une histoire et qui m’intéressait par le jeu de positif et de négatif. C’est donc un peu par un hasard aidé, comme les ‘ready-made aidés’, que j’ai travaillé cette toile.
Pouvez-vous commenter le choix des couleurs de vos points?
«Il y a des points blancs, qui entrent en contraste avec le noir et le rouge du tissu, et des points jaune citron, qui est pour moi une couleur liée au danger, tout comme le sont le noir et le rouge. Dans mon travail, je suis intéressée par ces petites choses, qui semblent presque insignifiantes, mais qui sont marquantes par rapport au sens.
Et la distribution des points?
«Elle est aléatoire. Elle n’est pas faite dans la frontalité. Je travaille au sol et en général sur une table à tapisser. Je ne considère jamais l’ensemble pour peindre. Mes plus grandes pièces ont été faites sur une planche à tapisser de 2m sur 60cm. Et la distance entre chaque point est très simple: c’est une distance correspondant à la taille entre mon coude et mon poignet, un bras. C’est tout bête.
L’acceptation du pli, vous pouvez nous en dire deux mots?
«Il faut l’accepter à partir du moment où on a de la toile non tendue. Contrairement à Claude Viallat, je suis revenu à la toile tendue sur châssis. Je dis souvent: ‘Ce n’est pas parce qu’on a quitté le port qu’on n’y revient jamais.’
Que ressentez-vous de voir cet ensemble d’œuvres regroupées ici?
«Cela veut dire que nous n’avons peut-être pas travaillé pour rien toute notre vie. Pour un artiste, être dans un musée est un but ultime. J’ai fait de l’art pour une idée de l’art, pas pour l’argent. Être montré en compagnie d’autres artistes dans de grands musées dans le monde signifie que peut-être un jour des enfants auront la même émotion que je peux avoir devant des Titien, Brancusi, Ryman ou autre. Être artiste, c’est souhaiter rejoindre la lignée de ceux qu’on a admirés. Pour moi, aujourd’hui, être parmi vous, c’est émotionnellement extrêmement satisfaisant. Parce que des gens nous défendent et nous honorent.»