Nouvelle donne – Suzanne Cotter est directrice du Mudam depuis janvier 2018. (Photo: Edouard Olszewski)

Nouvelle donne – Suzanne Cotter est directrice du Mudam depuis janvier 2018. (Photo: Edouard Olszewski)

Ils vous ont peut-être échappé pendant l’année. Retrouvez tous les jours de l’été un grand entretien paru dans le magazine Paperjam. Aujourd’hui, une interview avec Suzanne Cotter la directrice du Mudam.

Depuis le mois de janvier, Suzanne Cotter est la nouvelle directrice du Mudam. Australienne de naissance, passée par Londres, Oxford ou encore Porto, cette amoureuse de la création ambitionne de placer le Luxembourg sur la carte mondiale de l’art contemporain.

Vous avez pris vos fonctions à la tête du Mudam il y a 10 mois. Qu’est-ce qui vous a le plus surprise en arrivant au Luxembourg?

 – «Le dynamisme! Que ce soit de la part des personnes qui travaillent dans la culture, mais aussi des entreprises en général ou même de la ville en transformation permanente, avec l’arrivée du tram notamment, et tous les changements en cours sur le plateau du Kirchberg. J’ai été surprise de voir comment une ville comme Luxembourg est à la fois très contemporaine avec toutes ses nouvelles infrastructures, mais aussi ancrée dans une histoire très ancienne.

Quelle image aviez-vous avant de venir? 

«Celle d’une ville-pays féerique avec des princes, des princesses, des tours élancées, des banques… [sourire] J’avais aussi deux autres points de référence personnels qui sont la création de Radio Luxembourg dans les années 1960, avec son indépendance de programmation musicale, et bien sûr la fondation de l’Union européenne. 

Dans quel état avez-vous trouvé le Mudam?

«J’ai trouvé une institution orpheline, car elle n’avait plus de directeur depuis plus d’un an, un peu triste, flottante, sans certitude et très introspective. 

Dès votre arrivée, vous vous êtes intéressée à la collection. Comment l’avez-vous abordée?

«Il était d’abord important de la connaître, puisque c’est un des moteurs de cette institution. Je me suis plongée dans l’histoire de la construction du musée pour comprendre ses motivations et la façon dont la collection avait été constituée, pour déterminer les opportunités que celle-ci représente et continuer à la développer, bien sûr, mais aussi pour la situer dans l’esprit des gens. Car si on est un musée national, c’est donc une collection nationale. Et il est important que les personnes au Luxembourg la ressentent comme un patrimoine, un héritage.

Nous essayons d’identifier des lignes directrices pour la collection.

Suzanne Cotterdirectrice Mudam

Vous avez l’impression que les Luxembourgeois se sont approprié le Mudam et ses œuvres?

«Pas encore. Le Mudam est encore jeune. À 12 ans, on n’est même pas adolescent! Les bases sont bonnes. Maintenant la question est: où allons-nous après? C’est un travail passionnant qui doit se faire dans le dialogue avec le comité scientifique, avec les collègues. Nous essayons d’identifier des lignes directrices pour la collection. Une de nos ambitions, c’est que certaines œuvres deviennent phares et constitutent à elles seules une raison de venir visiter le musée.

Faire en sorte que le Mudam ait sa Mona Lisa…

«Oui, ce serait une façon de se distinguer ici au Luxembourg, mais aussi à l’étranger. On peut le faire avec une programmation ambitieuse. Mais les expositions changent, elles sont temporaires, alors qu’une collection reste et s’inscrit dans le temps. C’est pourquoi il est fondamental de renforcer sa position. 

Beaucoup de personnes disent que le Mudam est un splendide écrin, mais qu’il n’y a rien à l’intérieur…

«J’ai entendu cela effectivement et j’espère que c’est en train de changer. Le challenge avec ce bâtiment, c’est que l’architecture est très présente. Or, il faut désormais que les œuvres d’art qu’il héberge occupent une position égale dans l’esprit des gens. Des belles architectures, il y en a plusieurs ici au Luxembourg, mais nous sommes un musée d’art contemporain et il faut donc que l’art y reprenne la première place.

  (Photo: Edouard Olszewski)

  (Photo: Edouard Olszewski)

Il n’y a rien de vrai dans ce cliché? 

«Les bases de la collection sont très fortes. C’est aussi pour cela que je voudrais faire sortir les œuvres de manière plus systématique peut-être. Dans le passé, plusieurs ont été montrées dans le cadre d’expositions thématiques où elles dialoguaient avec des prêts extérieurs. Ce que j’aimerais ajouter à cette histoire, c’est quelque chose d’un peu plus structuré, où l’on commence à écrire les différentes narrations de la collection.

Cela va aller de pair avec notre stratégie digitale qui est en développement, mais qu’on va faire décoller dès 2019 avec une médiation et des interfaces plus dynamiques, car c’est un moyen pour le public d’accéder à la collection avant même de venir au musée.

Vous disiez tout à l’heure qu’il fallait donner des lignes directrices à la collection. La politique d’acquisition depuis 12 ans aurait-elle été erratique? 

«Non, on peut voir des lignes directrices, notamment à l’époque où Marie-Claude Beaud était directrice, de par ses orientations professionnelles et ses goûts personnels pour la mode ou le design par exemple. On trouve des amorces, mais pour développer une collection dans le futur, il faut faire des choix et déterminer des priorités, parce que nous avons aussi des moyens limités. Nous ne sommes pas le Metropolitan Museum, le MoMA ou le Centre Pompidou, qui peuvent se permettre d’avoir plusieurs départements et de nombreux spécialistes dans toutes les disciplines. 

Quels sont les axes à développer?

«C’est un travail en cours. À l’origine, Marie-Claude Beaud avait annoncé que la collection du Mudam devait commencer en 1989, parce qu’à cette époque, la première commission d’acquisition avait déjà acheté des œuvres des années 1980, mais aussi parce qu’il n’y avait pas assez d’argent pour constituer une collection avec des œuvres des années 1960-1970.

Mais déjà, la BEI (Banque européenne d’investissement) avait donné une œuvre majeure de Blinky Palermo qui date de 1968. Et Marie-Claude Beaud elle-même avait aussi acquis un ensemble mobilier d’Alvar Aalto des années 1930. Il y a donc des ouvertures avec des œuvres plus anciennes. Récemment, j’ai aussi eu le privilège de m’entretenir avec Bernard Ceysson qui m’a parlé des débuts de cette collection et m’a dit de lire les textes liés aux premières acquisitions. Ceux-ci précisaient qu’il est important d’aller au-delà sans pouvoir évidemment être exhaustif.

L’histoire de tous les grands musées est faite de dons de grandes collections privées.

Suzanne CotterdirectriceMudam

Il faut donc mixer des œuvres de référence et d’autres très contemporaines?

«Il est important pour la collection d’avoir quelques ensembles d’œuvres de base, ce que j’appelle du 'contemporain historique', pour comprendre les formes d’art qui se sont développées plus tard. C’est aussi un moyen de stimuler les donations. L’histoire de tous les grands musées est faite de dons de grandes collections privées: Guggenheim, Tate Gallery, etc.

Pour le reste de nos futures acquisitions, la fin du 20e siècle et le 21esiècle font partie des lignes directrices. Avec quelle diversité? Comment? On peut par exemple s’appuyer sur la création contemporaine luxembourgeoise mais en contextualisant ces artistes dans une histoire plus large et dans une contemporanéité qui est celle de la mondialisation.

Autre ligne directrice: l’Europe et le monde, car je trouve que cette ouverture fait partie de l’ADN du Luxembourg. L’art, depuis des décennies déjà, mais surtout depuis les années 1980, est devenu de plus en plus globalisé à travers le marché de l’art, les grands événements comme les biennales, les triennales… 

La mondialisation a-t-elle standardisé la création artistique?

«Je ne le crois pas. La diversité de l’art vient aujourd’hui du fait qu’il n’y a pas une seule école, une École de Paris ou de New York par exemple, mais des artistes en mouvement qui dialoguent les uns avec les autres, se nourrissent des histoires à travers le monde et utilisent aussi la technologie. Les nouvelles générations peuvent avoir accès aux sources visuelles et plastiques à travers la technologie et l’intelligence artificielle.

Il faut afficher de fortes ambitions, des lignes claires.

Suzanne CotterdirectriceMudam

Le Mudam passera-t-il des commandes?

«C’est un sujet un peu tricky, car on ne sait jamais quel sera le résultat. Si on commande une œuvre pour la collection, on a la responsabilité de cette œuvre pour toujours. Mais je ne rejette pas toutefois la possibilité de passer des commandes. Mon idée est d’utiliser les expositions comme des moments d’essai.

Cela nous permettra d’évaluer l’impact de ces œuvres qui pourraient éventuellement entrer dans la collection du musée. Avec des œuvres faites pour l’intérieur ou l’extérieur du site. Je porte un grand intérêt à l’extérieur du musée, car c’est une grande opportunité d’ajouter des œuvres à la collection. On en a déjà quelques-unes, mais j’aimerais renforcer cette caractéristique. 

Un Mudam à l’air libre... 

«Oui, on commence déjà et c’est en discussion avec les bâtiments publics et nos collègues au Musée Dräi Eechelen. Nous souhaitons utiliser l’esplanade derrière le musée qui est un emplacement privilégié pour présenter tous les ans une sculpture. On commence en janvier prochain avec la présentation de Nairy Baghramian, «Privileged Points», qui est également une nouvelle acquisition.

Mais ça pourrait être aussi une exposition qui s’étendrait plus loin. Il faut afficher de fortes ambitions, des lignes claires, mais aussi trouver les moyens de payer ces projets. En plus des lignes d’acquisition et de celles de la programmation temporaire, il faut une ligne budgétaire correspondante. 

À combien se monte le budget du Mudam?

«Un peu moins de 8 millions d’euros, dont 80% proviennent de la subvention de l’État.

Ce n’est pas beaucoup?

«Non, ce n’est pas beaucoup, car cela inclut le budget d’acquisition qui est pour 2019 de 600.000 euros.

Collection – Suzanne Cotter devant l’œuvre «Sans titre» (1995) d’Éric Poitevin, dans les réserves du musée.  (Photo: Edouard Olszewski)

Collection – Suzanne Cotter devant l’œuvre «Sans titre» (1995) d’Éric Poitevin, dans les réserves du musée.  (Photo: Edouard Olszewski)

Vous demandez une augmentation des subventions de l’État?

«Oui, car mon ambition est de commencer avec 1 million d’euros et d’aller vers 1,5 million d’euros pour le seul budget d’acquisition. Comparé aux autres musées dans le monde, ce serait bien. Je suis consciente que pour beaucoup de personnes, ce chiffre peut paraître énorme. Mais il faut bien être conscient que si on veut acquérir des œuvres emblématiques, il faut un budget qui corresponde au marché. 

Vous êtes choquée par les prix du marché de l’art?

«Pas du tout, cela fait des années que c’est comme ça.

Vous ne trouvez pas les sommes en jeu excessives?

«On ne peut pas lutter avec le marché. Même des musées comme la Tate, le Guggenheim ou Pompidou n’ont pas forcément les budgets pour acquérir des œuvres majeures. 

J’aimerais par exemple faciliter l’acquisition d’une œuvre majeure de Julie Mehretu, avec laquelle j’ai travaillé lorsque je dirigeais le musée Serralves à Porto. C’est une artiste afro-américaine très pointue qui parle avec contemporanéité des migrations et des mouvements, des politiques économiques et des cultures.

Ce sont des œuvres qui seraient superbes pour ce musée, mais il faut commencer à 1,5 million d’euros pour en acquérir une de qualité muséale. Car là aussi, il faut savoir distinguer les œuvres qui ont une valeur suffisamment importante pour être conservées dans un musée. Nous devons donc à la fois identifier les artistes qui vont être les grands de demain et acheter au bon moment.

Aujourd’hui, certains artistes qui ont eu beaucoup de succès ne veulent plus que leurs œuvres aillent dans le privé.

Suzanne CotterdirectriceMudam

Les expositions peuvent être une bonne plate-forme pour cela, car on développe alors des relations privilégiées avec l’artiste qui peuvent ensuite se concrétiser par des dons ou une commande pour une exposition. Nous regardons aussi les artistes qui ne sont pas encore pris par le marché, mais qui ont un pedigree historique.

Cela nécessite des recherches, de se tenir au courant. Enfin, pour les artistes dont la valeur sur le marché est très élevée, nous n’avons pas d’autres solutions que les donations ou les partenariats avec ces institutions. Heureusement, aujourd’hui, certains artistes qui ont eu beaucoup de succès ne veulent plus que leurs œuvres aillent dans le privé, mais qu’elles soient placées dans les musées.

Parmi les œuvres emblématiques du Mudam, il y a la fameuse Chapelle de Wim Delvoye. Que devient-elle aujourd’hui?

«Elle a été le sujet d’une étude de conservation. Elle est maintenant en stockage et nous sommes en train de réfléchir à une nouvelle présentation hors site.

La polémique qui a suivi son retrait du Mudam vous a-t-elle surprise?

«Oui, totalement. 

Pourtant, il y a toujours eu des polémiques dans l’histoire de l’art... 

«Oui, mais je crois que ce n’était pas vraiment une polémique d’art, mais une polémique politique. Avec une histoire sur laquelle je n’avais aucune emprise.»

Retrouvez la deuxième partie de cette interview .