La banque centrale de Russie opère depuis 2014 le système national de paiement alternatif à Swift, le SPFS, qui compte déjà 400 participants. (Photo: Shutterstock)

La banque centrale de Russie opère depuis 2014 le système national de paiement alternatif à Swift, le SPFS, qui compte déjà 400 participants. (Photo: Shutterstock)

La messagerie financière russe alternative à Swift, le SPFS, s’est donné comme priorité stratégique d’attirer de plus en plus de participants étrangers, principalement dans les économies émergentes. Le but étant de protéger le système interbancaire domestique des futurs trains de sanctions.

L’Union européenne décidait le 2 mars dernier d’ sept des principales banques russes du réseau Swift, le système de messagerie financière sécurisée communément utilisé par les institutions financières de par le monde. En amont de la décision, Josep Borell, haut représentant de l’Union européenne aux affaires étrangères, soulignait que l’exclusion de la Russie ne pouvait .

Il se pourrait bien qu’en retour, ce soit la Russie qui soit en train d’opérer «un coup de ciseaux» avec l’alternative à Swift qu’elle développe. À l’aube de la décision de l’UE d’évincer des banques russes de Swift, il nous avait été laissé entendre que les banques russes devraient alors mettre en place d’autres canaux de communication avec leurs contreparties. Déjà en 2021, la banque centrale de Russie avait indiqué que le trafic interbancaire national pourrait facilement être migré vers son système propriétaire, le SPFS.

Tout comme elle compte sur son système national de paiement Mir de Mastercard, Visa et American Express de son territoire, la Russie poursuit le développement de sa propre version de Swift, le SPFS, pour pallier la menace de se voir évincer encore davantage de la messagerie financière occidentale. Opéré par la banque centrale de Russie à partir de 2014, moment où l’Union européenne avait pour la première fois brandi la menace d’une exclusion de Swift, le SPFS se présente comme «un canal d’échange de messages électroniques sur les transactions financières». De la sorte, «le SPFS garantit la transmission ininterrompue des messages financiers à l’intérieur du pays».

Selon un document commercial de la banque centrale de Russie, les utilisateurs du SPFS bénéficient d’un service aussi bien d’envoi et de monitoring des messages Swift que d’envoi en format propriétaire. Le SPFS offre également la possibilité d’envoyer des messages basés sur la norme ISO20022, soit la norme utilisée pour les paiements transfrontaliers par Swift à partir de novembre de cette année. Cette norme a pour but de créer un langage commun pour les paiements dans le monde entier.

Un voile de secrets

En 2021, le SPFS comptait environ 400 participants. Un nombre composé de banques russes et étrangères ainsi que d’entreprises russes et étrangères. Pour information, le nombre de codes d’identification russes au réseau Swift tourne autour de 450.

Force est tout de même de constater, àl a lecture de documents plus anciens, que la banque centrale communique le même chiffre de 400 participants depuis au moins 2018. Parmi ces 400 utilisateurs, 52 sont des organisations basées à l’étranger, dans 12 pays. Une publication de l’assureur-crédit français, Coface, rapportait en mars de cette année que des banques d’Allemagne, de Suisse, de France, du Japon, de Suède et de Cuba participent au SPFS.

Bien que le nombre d’utilisateurs du SPFS soit connu, il est impossible d’en connaître les noms. Alors que la banque centrale russe avait pour coutume de publier sur son site web régulièrement les noms des participants au SPFS, elle a marqué sa volonté de ne plus le faire, dans un commentaire envoyé par email à Reuters le 19 avril: «Dans les conditions actuelles, nous avons pris la décision de ne pas révéler la liste des organisations connectées au SPFS. Néanmoins, cette liste est disponible pour les utilisateurs du système.»

Ce n’est pas la première fois que Moscou place un voile de secret sur un pan de son système bancaire en vue de se protéger des sanctions économiques occidentales. En novembre 2018, le Kremlin avait par exemple déposé une proposition de loi auprès de la Douma pour que la banque centrale ne publie plus la liste des établissements de crédit qui financent les producteurs d’armes contrôlés par l’État.

Une analyse de la stratégie 2021-2023 de développement du système de paiement national révèle que l’un des objectifs clés de la banque de centrale de Russie est de poursuivre la croissance de son volume d’utilisateurs, notamment parmi les participants non-résidents: «La promotion des services du SPFS à l’étranger reste l’objectif de développement le plus important pour le système. Afin d’étendre la participation étrangère au SPFS, il est prévu de rationaliser la procédure de connexion.» Pour ce faire, la banque centrale a prévu un système d’accès via internet et «la mise mise en œuvre de nouvelles interfaces pour les utilisateurs, y compris l’introduction de technologies web et d’API».

Rapprochement avec les pays émergents

En 2020, le trafic quotidien transitant par le SPFS atteignait un volume de 70.000 messages. Au cours de la même année, plus de deux millions de messages ont été transmis mensuellement via le SPFS, soit plus de 20% du trafic Swift national.

Avec l’arrivée des récents trains de sanctions contre la Russie, la gouverneur de la banque centrale, Elvira Nabiullina, s’attend à une hausse significative du nombre d’utilisateurs étrangers, rapportait Bloomberg le 19 avril. «Jusqu’à ce qu’il y ait une telle menace d’être coupé de Swift, les partenaires étrangers n’étaient pas très pressés de rejoindre, mais maintenant nous attendons à ce qu’ils soient plus prêts», s’est ainsi exprimé Elvira Nabiullina.

En mars dernier, la presse économique internationale rapportait que le gouvernement indien envisageait de donner suite à la proposition de Moscou d’utiliser le SPFS pour les paiements en roubles. Les tentatives russes d’attirer des acteurs étrangers ne sont pas neuves pour autant. L’agence de presse russe Tass relatait déjà en novembre 2018 que la Douma examinait un projet de loi pour ouvrir le SPFS à des participants étrangers. Ainsi, des négociations auraient été en cours à l’époque avec l’Union économique eurasienne et les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). L’agence de presse indiquait qu’il était également fort probable que des accords aboutissent avec la Turquie, l’Iran et la Chine.

À l’instar du rapprochement entre son système de paiement Mir avec le chinois UnionPay, des commentateurs internationaux s’attendent à ce que Moscou et Pékin augmentent leur coopération en matière de messagerie financière. En 2010, Vladimir Poutine avait annoncé que le commerce entre les deux pays serait libellé en yuans ou en roubles, non plus en dollars. Alors que la majorité des transactions entre la Chine et la Russie transite encore par Swift, il se pourrait qu’une éventuelle éviction d’un plus grand nombre de banques russes de Swift provoque le déclenchement d’une réelle coopération entre le SPFS russe et son homologue chinois.